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François L. Woukoache

Publié le 01/04/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

A l'heure où la Cinémathèque Royale de Belgique rencontre de graves difficultés au point de frôler la faillite dans une indifférence politique que je n'ose qualifier de peur d'être poursuivi par les tribunaux, nous rencontrons François L. Wakouache, jeune cinéaste camerouno-belge, qui vient de réaliser, coup sur coup, deux longs métrages, et nous avoue que grâce au Musée du Cinéma il a rattrapé en un an dix à quinze ans de culture cinématographique : " On se tapait la séance de 18 heures puis celle de 20 heures. On achetait le programme au début du mois et on établissait notre liste de films à voir. Le minimum qu'on voyait était deux films par jour quatre fois par semaine (muets ou parlants). "

François L. Woukoache

François L. Woukoache 


Nous sommes au mois de mars. Les rares arbres de l'avenue des Arts luttent contre un vent froid, évitant de ployer sous les rafales qui les secouent. Les vieux papiers d'emballage roulent le long des trottoirs. Dans les caniveaux, les mégots de cigarettes s'éparpillent. En mars, la grêle menace (les gît boulées) mais notre porte blindée reste de marbre sauf lorsque François Wakouache la franchit. Il monte quatre à quatre nos quatre étages malgré un rhume qui l'empêche de respirer convenablement, " Enfant, je vivais quasiment dans une salle de cinéma, nous explique-t-il après avoir avalé un Rhinofébryl avec un verre d'eau plate. Dans le quartier de Mokolo, à Yaoundé, où je suis né, il y avait une salle de cinéma à cent mètres de chez moi, le Febe, et une autre un kilomètre plus loin. J'ai passé mon enfance entre ces deux salles de quartier qui passaient énormément de westerns et des mélodrames. Ce sont toutes ces histoires qui nous ont fait rêver. Après, on rejouait des scènes qu'on avait vues dans les films. On ramassait les bouteilles usagées pour les revendre et aller voir des films. C'était un rêve de gosse que de pouvoir raconter soi-même des histoires, faire des films. Nous vivions dans un contexte où il n'y avait rien, aucune structure cinématographique. Il n'existait pas de films camerounais ni même africains. J'ai commencé à les voir quand j'étais au lycée, une dizaine d'années plus tard. On avait un ciné-club avec des copies en 35mm puisque la vidéo n'existait pas. Et c'est là que je me suis dit qu'il était possible de réaliser des films en Afrique. Le cinéaste qui a provoqué un choc, chez moi, celui dont on parlait le plus et dont on voyait le plus les films était Ousmane Sembene, écrivain et cinéaste. On avait lu ses livres puisqu'ils étaient inscrits au programme scolaire, notamment le Mandat dont il a réalisé une adaptation cinématographique. Ensuite, je suis parti en France pour entreprendre des études de physique et de mathématiques à la Fac de Jussieu (Université de Paris). Tout en continuant à penser au cinéma. Je m'étais inscrit à des cours à option dont l'un était donné par Jean Douchet qui m'a fait découvrir plein de cinéastes : Satyajit Ray, Kenji Mizoguchi, la Nouvelle Vague, toute une autre face du cinéma. À Paris grâce à une amie j'ai rencontré Antoine Bonfanti qui m'a dit : tu as trois possibilités : aller à Cuba (il y enseignait), en Pologne ou à l'INSAS à Bruxelles. C'est comme ça que j'ai découvert L'INSAS où j'ai réussi le concours d'admission. Une nuit et des jours dans Bruxelles est un travail d'étudiant. " Une histoire d'amour entre deux personnages qui se croisent dans le métro de Bruxelles. Puis, c'est Melina, en 1992, un documentaire de création produit en dehors des structures de l'école. " C'est une réflexion sur le travail de deuil, après la mort de mon père qui était quelqu'un de très chrétien. Je l'ai très peu connu, j'avais des rapports distants avec lui. Dès l'age de huit ans, j'ai eu une existence nomade, je suis parti de la maison familiale et j'ai vécu successivement dans plusieurs villes du Cameroun. " En 1995, François Woukoache réalise un coup d'éclat avec Asientos, un documentaire de création qui parle du refoulé de l'Afrique, du tabou de l'Amérique et de l'Europe : le trafic des esclaves africains. Comment montrer l'innommable (le dire) mais aussi l'immontrable (il n'y a pas d'images d'archives). Sinon en filmant les paysages africains qui furent témoins du commerce de " l'ébène ", paysages qui ont peuplé la mémoire des Africains déportés, vendus et réduits en esclavage. La narration s'effectue par le biais de l'imaginaire d'un jeune Africain traumatisé par la violence du monde et qui se trouve confronté à ce refoulé de l'Histoire. Le sujet est traité par la parole, les images étant leur hors-champ. Ainsi que le souligne le réalisateur : " C'est un vrai travail sur le cinéma. Même au Bénin, au Sénégal ou au Congo, on se rend compte que ce n'est pas quelque chose qui fait partie de la mémoire collective. Il est difficile d'en parler. " François, qui a le sens de la famille et de la transmission du savoir, a eu l'occasion de travailler sur ce film avec Antoine Bonfonti " qui représente la mémoire du cinéma - il a commencé à travailler sur la Belle et la Bête de Cocteau. Me retrouver avec lui sur un plateau, c'était extraordinaire. Il nous a apporté beaucoup. " Fragments de vie, son premier long métrage, est à cheval sur la fiction et le documentaire. " On a beaucoup travaillé sur l'improvisation. Le film se passe au centre-ville de Yaoundé, sur les lieux de mon enfance. Il y a un aspect mémoire des lieux. Le cinéma dont je t'ai parlé tout à l'heure n'existe plus. Il a été transformé en supermarché. J'aurais aimé faire l'avant-première de ce film dans cette salle. Il y avait ce désir de filmer des endroits qui sont en train de disparaître. Ce sont des lieux qui sont chargés d'Histoire et d'histoires. Il y a trois histoires différentes dans le film. L'unité de celui-ci étant le quartier, l'espace de la ville et le thème la violence urbaine qui empêche de vivre des histoires d'amour authentiques ". Malgré son succès en festival, le film n'a pas encore eu de sortie en salle en Belgique. Ce qui n'a pas empêché François L. Woukoache de réaliser Nous ne sommes plus morts, un film de 126', sélectionné au Festival de Berlin 2001, et qui aborde la vie au Rwanda après le génocide. Hormis une soirée thématique sur Arte, pourra-t-on le voir en salle ? Avis aux distributeurs.

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