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Grégory Lecocq à propos de Harragas, sélectionné à Nisi Masa (Semaine de la Critique)

Publié le 05/05/2008 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Grégory Lecocq a participé à différents concours de scénarios en Belgique avant de remporter, il y a deux ans, celui de Nisi Masa, un réseau européen connu pour soutenir les nouveaux réalisateurs et organiser annuellement un concours de scénarios de courts métrages. Sur le thème du touriste, il a imaginé l’histoire d’un clandestin qui, caché dans une soute à bagages d’un autocar, espère atteindre son Eldorado, la Belgique, lorsqu’il se rend compte d’une présence dans ce lieu de rencontre improbable. Depuis, le scénario s’est doté d’images : Harragas est à la fois le premier film de Grégory Lecoq et celui d’une jeune boîte de production bruxelloise, Ultime Razzia. Cette année, Nisi Masa bénéficie d’une carte blanche à la Semaine de la Critique; Harragas fait partie des huit courts métrages sélectionnés. Rencontre avec son réalisateur, au Festival du court métrage de Bruxelles où le film était programmé en compétition nationale.

Trio de films.

 « Mon premier souvenir de cinéma, c’est Blanche-Neige. Je regardais tous les jours sous mon lit si la sorcière n’y était pas ! Je n’étais pas très cinéphile. Je retiens Le dernier empereur, Blanche-Neige et Rocky. C’est un drôle de mélange ! Je n’ai pas été élevé au biberon avec Godard et Truffaut. C’est vraiment en arrivant à l’université que j’ai fait mon éducation : j’ai découvert qu’il y avait un autre cinéma que celui que je connaissais. »

 L’écriture.harragas extrait
« Je voulais écrire. On m’a dit : "si tu veux écrire, va en Romanes". Cela ne m’a pas plu, je n’écrivais pas, j’ai voulu arrêter. Par hasard, j’ai entendu parler d’ELICIT. Après mes candidatures, je m’y suis inscrit. C’est vraiment là que le cinéma a commencé à m’intéresser : j’ai appris énormément de choses sur des courants tels que les années 70, j’ai été marqué par les cours de Fabien Gérard, l’assistant de Bertolucci, et ceux de Jean-Marie Buchet. Après le diplôme, j’ai remporté des concours de scénarios à Média 10/10, au Festival du court métrage de Bruxelles et à Cinéscript. Il y a deux ans, j’ai tenté celui de Nisi Masa qui a la particularité d’être européen : sur 500 scénarios, le mien a été retenu.
Je n’en revenais pas. J’ai commencé à écrire pour des réalisateurs. Comme il arrivait que les projets n’aboutissent pas, j’ai décidé de réaliser Harragas ».

Un thème, un contre-pied, un sujet.
« L’idée du film est née du concours de scénarios de Nisi Masa. Le thème imposé était celui du touriste. Cela ne me parlait pas du tout. Je me suis dit que j’allais prendre le thème à contre-pied en travaillant sur les clandestins, le huis clos et la notion de frontière (géographique, sociale, physique et éthique). Je ne voulais pas faire de politique, parler d’un pays ou d’un conflit particulier. Ce qui m’intéressait, c’était d’écrire sur les êtres humains et l’universel.

Tout a déjà été dit sur les clandestins, ces « harragas » qui font des sacrifices énormes, qui prennent des risques incroyables pour passer de l’autre côté des Pyrénées, dans l’espoir d’une vie meilleure. J’ai lu des témoignages saisissants. Pour eux, les billets poussent sur les arbres, mais cet Eldorado n’existe pas. S’ils arrivent ici, ils terminent en général leur voyage dans des centres fermés. Pourquoi ? Ils n’ont rien fait, ils n’ont juste pas de papiers. On les met en taule alors que nous, Européens, on peut partir en vacances sans souci dans leurs pays. On sait ce qui leur arrive avant et après mais pas ce qui se passe entre les deux : le trajet. C’est cet aspect que j’ai voulu traiter : toute l’action a lieu dans la soute à bagages d’un autocar. »

Tournage.
« Quand j’ai écrit Harragas, je ne pensais pas le réaliser vu que je me considère plutôt comme un raconteur d’histoires, comme un scénariste. Il y a eu le concours, puis, avec des amis (Benjamin d’Aoust, Nicolas Guiot, Stéphane Tassin), j’ai fondé Ultime Razzia, une petite boîte de production. On s’est dit que c’était le projet idéal pour lancer la boîte. Je pensais que ce serait simple : un acteur, une caméra à l’épaule, un lieu immobile. Finalement, on a reconstruit entièrement la soute et on a tourné en studio. Le problème, c’est que la technique a pris le pas sur la réalisation. Pour mon premier film, je me suis retrouvé dans un studio avec une immense soute au milieu, l’acteur, les bagages de chaque côté, le chef op’, l’assistant, le perchman, l’ingé son. J’étais derrière une porte, je ne pouvais ni entrer dans la soute ni voir le comédien ! Sur le moment, c’était dur, mais j’ai tellement appris que ça me donne envie d’en faire un autre. »

Autour de l’image et de l’obscurité.
« Avec Jean-François Metz, le directeur photo, on a cherché à recréer, à l’image, le processus de vision nocturne de l’œil. Le personnage est plongé dans le noir. Il  essaye de prendre ses repères et de s’habituer à l’obscurité, tout comme le spectateur. Lorsqu'une source de lumière apparaît, qu’elle soit déclenchée par le frottement d’une allumette ou l’ouverture d’une porte, on est aveuglé. On avait vraiment envie de jouer sur ce processus de vision nocturne et sur la sensation d’inconfort. L’ennui, c’est que ça rend le film fort sombre. Selon les salles où il est projeté, il arrive à gagner plus ou moins en clarté. Mais ses spécificités techniques le cantonnent quand même à la salle. On a d’ailleurs discuté de cet inconfort avec les télés acheteuses présentes au festival de Bruxelles : on se doutait déjà que le film passerait difficilement en télévision. Il faut le voir en salle, sur grand écran. » 
Dorcy Rugamba et Sophie Dewulf.

extrait de Harragas« Je cherchais un comédien africain pour le rôle principal. Il n’y en a pas énormément en Belgique. Lors du casting, j’ai eu un coup de foudre pour Dorcy. Il avait quelque chose de fabuleux dans les yeux. Il était le personnage directement, que ce soit à l’image, dans son élocution et son vécu. Sophie, je l'avais vu dans Sarah et j’avais envie de tourner avec elle. Je lui ai proposé un rôle difficile : elle devait rester cachée derrière des valises dans cette fameuse soute. On ne la voyait quasiment jamais car elle se résumait à une voix. »

 Cannes.
« Les membres de Nisi Masa organisent une carte blanche à la Semaine de la Critique et le film est sélectionné. Aller à Cannes pour présenter son film et pas en dilettante, c’est super ! En fait, je suis un peu dépassé parce que je ne m’y attendais pas. Pour un premier film, c’est génial. À part ça ? On cherche toujours un logement ! Il tourne bien, l’enregistreur ?!»

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