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Halfweg de Geoffrey Enthoven

Publié le 15/03/2014 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Mi-chemin doux amer

Il est déroutant ce Geoffrey Enthoven. Il cultive des succès commerciaux avec un certain détachement. Son cinéma n'est jamais putassier, même s'il le frôle parfois. Il a commencé sa carrière de réalisateur avec un court métrage tendre et glaçant, Le croque-mort, puis a continué à raconter des liens familiaux déchirants dans Les Enfants de l'Amour. Avec Vidange Perdue, Happy Together, Meisjes et Hasta la Vista !, il est allé lorgner du côté de la comédie sociale à l'anglaise, tendre et ironique, faussement réaliste et souvent caustique. À chaque fois, Enthoven tente des numéros d'équilibriste réalisant des comédies populaires aux parfums tragiques, des films qui lorgnent du côté grand public et se meuvent sur l'arrière-fond de questions très noires : la solitude, le deuil, la mort. Bref, un petit côté Stephen Fears. Huis clos théâtral autour du deuil, Halfweg n'échappe à cette règle de la comédie en demi-teinte. Mais s'il n'est pas le plus réussi de ses films, il est peut-être le plus ambitieux. 

Halfweg de Geoffrey EnthovenLa nuit, dans une magnifique villa au milieu d'un parc verdoyant et isolé, des bruits d'eau dans la salle de bain, une vieille radio qui grésille près d'un rideau de douche. On voit venir l'accident. Il ne tarde pas. Et hop, exit le propriétaire. Et puis, un beau gosse fringuant, un peu arrogant, débarque pour prendre possession des lieux. Ses deux potes courent partout comme des gamins, les déménageurs arrivent pendant qu’il erre de pièce en pièce. Ses pas résonnent dans les couloirs vides. La caméra flotte à ses trousses, derrière sa nuque, et la maison craque et grince, remplie d'une présence inquiétante. La nuit, il trouve la radio, fait trôner l'arme du crime sur la cheminée, l'allume. Elle grésille... Et hop, on voit venir l'accident - et ses suites. Et Halfweg est toujours un peu prévisible. Pendant une longue première partie, Stef (le beau Koen de Graeve) va se confronter à Théo (le très bon Jurgen Delnaet), fantôme tenace qui ne veut pas débarrasser le plancher, toujours en peignoir dégoulinant au sortir d'une interminable douche. Et il faudra à Stef une bonne heure de film pour accepter l'inacceptable. Oscillant d'une inquiétante étrangeté vers le temps suspendu d'une guerre acharnée, le film avance lentement, tournoyant aux rythmes de scènes recommencées, de dialogues interrompus puis repris, de gags répétés à coup d'ampoules qui explosent, de flics qui vont et viennent, d'affrontements répétitifs. Et la temporalité patine, circulaire, à l'image des mouvements de la caméra, au-dessus du vide d'un scénario qui tient à de très légers arguments. Enthoven prend son temps pour déployer tranquillement les enjeux de ce huis clos de plus en plus catastrophique. Stef, éjecté de son boulot, viré par sa femme, jeté par sa maîtresse, veut tenir bon face à ce fantôme qui chercher à l'expulser. La maison devient alors l'enjeu de leur guerre, une forteresse à prendre. Et s'il ne s'amourache pas de son fantôme à la Madame Muir, cette rencontre improbable va tout de même le changer, ce « gros con égoïste ». Car pour faire partir le mort envahissant, il va devoir l’aider à régler des comptes émouvants avec sa fille bien vivante.

Avec ses longueurs, ses lourdeurs, la platitude un peu désuète de son histoire prévisible, Halfweg cultive une sorte de bonhomie, un côté bon enfant tissé dans ses blagues un peu idiotes et répétées, dans l'inconséquence des « jeux de mains, jeux de vilains » de ces deux sales gosses en bataille. Le film y puise sa paradoxale légèreté que renforce son élégance formelle. Avec ses lumières diaphanes ou crépusculaires, ses mouvements de caméra langoureux et délicats, ce scénario qui s'aventure tranquillement vers le vaudeville, Enthoven fait preuve d'une maestria qu'il n'avait pas jusqu'alors déployée. Et surtout, d'une certaine grâce mélancolique qui irrigue son film de bout en bout, dans le décor suranné de cette maison d'un autre siècle, dans ces douleurs d'hommes enfants incapables de faire d'eux-mêmes le deuil pour grandir et mourir.

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