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Here-After de Wim Vandekeybus

Publié le 13/07/2007 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Make it pure

Alors Hérode, voyant que les mages s’étaient joués de lui, entra dans une grande colère, et il envoya tuer tous les enfants qui étaient à Bethléem et dans tout son territoire, depuis l’âge de deux ans et au-dessous, d’après le temps qu’il connaissait exactement par les mages.

Évangile selon Saint-Mathieu, chapitre 2

 

En 2005, à Avignon, les Belges créaient l'événement et...la polémique. Alors que Jan Fabre, aspergeait la cité des Papes d'un parfum de scandale (et d'urine) avec Histoire des larmes, Wim Vandekeybus se faisait remarquer avec Puur, un spectacle inspiré du récit biblique sur le Massacre des Innocents.

Des scènes jugées insoutenables projetées sur une paroi de pierre accompagnaient les danseurs qui n'hésitaient pas à brutaliser des poupées en plastique ! C'en était trop... Une partie du public, choquée, hurla son indignation et quitta la salle...Une autre applaudit des deux mains.

L'expérience avignonnaise n'a pas, semble t-il, découragé le chorégraphe, puisque deux ans plus tard, voilà qu'il nous revient avec l'adaptation cinématographique de ce même spectacle. Provocation ou jusqu'au-boutisme ? Here-After crée l'événement au Palais des Beaux-Arts.

 

Here-After de Wim Vandekeybus

 

La sauvagerie animale des gestes que le chorégraphe invente semble nous prouver combien l’instinct se dresse toujours contre l’esprit. Sa danse est une danse contact, une danse combat, animée d’élans brusques, de chutes, qui entraînent les corps dans un rapport fusionnel, excessif. Mais les images de Wim Vandekeybus sont belles, épouvantablement belles. Il ne s'agit pas d'esthétiser la violence, mais de montrer la douleur, il ne s'agit pas d’exposer des corps en mouvement mais de dévoiler la chair, tremblante, palpitante. En plein cœur de la tourmente, les danseurs s’interrompent soudain au milieu du désordre pour créer un espace hors du temps.Aucun cri d'indignation au Bozar ce lundi 23 avril, mais bien plutôt une admiration collective et des applaudissements enthousiastes. Le public belge serait-il différent du public français, ou bien la transposition de la scène à l’écran atténuerait-elle la violence de ce qui est montré ? Il faut dire que la violence des images est notre pain quotidien, servi chaud entre 20h00 et 20h30. Guerres, répressions, massacres, génocides sont, depuis longtemps, vulgarisés par la grand-messe cathodique.

Le dernier moyen métrage de ce Flamand terrible mêle danses, musiques, théâtre, images en 16mm et en super 8 (issues du spectacle Puur) pour créer une sorte de tableau dionysiaque endiablé. Pour point de départ, un épisode biblique, le plus inhumain sans doute, le plus gratuit, la mise à mort des nouveaux-nés par Hérode. Tout commence après la catastrophe. Loin de tout contexte religieux, le réalisateur s’empare du mythe pour lui donner une valeur universelle et déployer sa portée en tous temps et en tous lieux. Car le massacre des innocents, c’est Ici et maintenant… Irak, Tchétchénie, Soudan, Virginie, la liste serait trop longue.
La violence, pour le chorégraphe, c’est aussi ici et après (here-after), car la douleur laisse des traces, se perpétue de génération en génération, s’inscrit dans les corps traumatisés qu’il met en scène. Les corps, sans cesse, se percutent et se persécutent.

 

Here-After de Wim Vandekeybus

 

Le travail de Vandekeybus joue sur les extrêmes et se nourrit de contradictions. De là, un renversement radical des clichés qui surprend à chaque minute. Et cette question sans cesse : Qui est la victime et qui est le bourreau ? Le père ou le fils ? Cette femme étouffant son enfant pour étouffer ses cris ? Ce vieillard se moquant de l’orphelin dans un grand rire d’enfant ? Impossible de décider. Chez Vandekeybus on n’est pas soit l’enclume soit le marteau, mais bien les deux à la fois.

Le texte de Pieter Frans Thomése, ajoute encore à la confusion du qui est qui. Tout comme la matière corporelle, le texte est un matériau à triturer. Répétitions, double sens, mélange des langues (espagnol, italien, anglais) font que chacun se débat et que personne ne se comprend.
Cet univers étrange est accentué par la musique éclectique de David Eugene Edwards, du groupe rock 16 Horsepower, et les compositions hallucinées de Fausto Romitelli qui amplifient la perception physique, rythmique des sensations corporelles. Un spectacle total plus qu’un film, un matraquage émotionnel qui impressionne et ouvre un espace de pensée et de réflexion.

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