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Interview de Boris Lehman

Publié le 15/12/2011 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

L'odyssée, jour après jour

Entre deux éternités de ténèbres, il y a une vie dans la lumière, de la naissance à la mort. Qui sommes-nous dans ce bref espace-temps ? Sommes-nous des immortels, traversant le temps de l'odyssée, comme Homère chez Jorge Luis Borges (l'Immortel dans l'Aleph) ? On aimerait bien ne pas devenir amnésique, ne pas enterrer notre présent afin qu'il puisse s'étendre. La durée, comme mémoire de la vie, est ce qui travaille le cinéma de Boris Lehman lequel parcourt le monde tel un moderne Ulysse, en circulant d'un ami à l'autre, d'une île à l'autre.
Rencontre avec Boris Lehman à la Bibliothèque Solvay, pavillon néo-classique du Parc Léopold consacré, actuellement, à l'événementiel. Plus qu'un entretien nous avons parcouru les sentiers de la durée plutôt que l'autoroute du temps. Nous avons donc essayé de restituer un dialogue dont vous pouvez découvrir les images sur l'un de nos web-film-vidéo.

- Pouvez-vous faire le clap s'il vous plaît ?
- Comme ça ? *CLAP*
- C'est parfait.
- J'en ai fait pas mal dans ma vie, des « claps ».
- J'imagine.
- Et toujours à la main. Je me suis pas mal mis dans mes films, mais j'ai été aussi beaucoup filmé par d'autres. J'ai joué dans plus de 70 films. J'accepte de jouer dans les films d'amis, de gens que je connais qui me le demandent. J'ai fait beaucoup de théâtre, je voulais faire une carrière d'acteur, mais je ne rêvais que de jouer dans les films de Fassbinder ou de Kubrick !

 

Magnum Begynasium Bruxellense de Boris Lehman

Cinergie : Donc, tu as commencé par le théâtre ?
Boris Lehman :
J'ai commencé par la musique, le piano. Ensuite, j'ai dessiné, puis j'ai fait du journalisme, pour enfin arriver au cinéma.
Quand l'INSAS s'est créé, en 1962, je m'y suis inscrit, mais je faisais déjà des films en amateur. J'ai commencé à l'Athénée, avec André Delvaux, qui était mon professeur, et avec qui on avait créé un ciné-club et une classe qu'on appelait "classe expérimentale de cinéma". Je suis venu au cinéma tout naturellement.
Je suis entré ensuite dans un centre psychiatrique, le Club Antonin Artaud, où j’ai travaillé avec des malades mentaux, des gens qui n'étaient pas des professionnels, des gens qui avaient des problèmes pour s'exprimer.

Tout mon travail ultérieur vient de là; le travail avec des non-professionnels, l'utilisation du cinéma comme médium entre moi et les autres, entre moi et le monde. Cela ne m'a jamais intéressé de faire des produits culturels ou même artistiques. Ce qui est important, c'est l'aventure du film, c'est la rencontre avec les gens. Alors, tous les moyens sont bons, les voyages, beaucoup de voyages.

Aujourd'hui, c'est devenu courant de faire participer les gens du quartier à un film, mais à l'époque, c'était un peu l'avant-garde. Cette expérience a pris quelques années. Le résultat c'est Magnus Begynasium Bruxellense, un documentaire sans commentaires ni explications. C'était plutôt un film d'observation et de participation avec les gens du quartier, une espèce d'encyclopédie qui s'est construite au montage. Le film a eu un succès très important à l'époque.

La maîtrise de la production

C. : Le sujet de tes films, c'est la découverte des autres et ton regard sur ce qui t'entoure. J'ai l'impression que tu as une relation très particulière avec la caméra 16 mm.
B. L. : Oui, parce qu'elle me permet de faire un cinéma artisanal. Mon équipe est toujours très réduite; 2 à 3 personnes. Quatre, c'est déjà une superproduction. J'ai toujours voulu rester libre et autonome, acquérir mon propre matériel. Dans les années 60, ce qu'on appelait le matériel léger, 1)tait le 16 mm, c'était le système le plus économique de l'époque - une caméra 16 mm Arriflex (1), pouvant faire du son synchro avec un Nagra. Après, j'ai acquis une salle de montage, une table de montage, et puis un laboratoire pour développer jusqu'à couvrir la chaîne complète.

 

C. : Est-ce important pour toi de maîtriser toutes les étapes de manière économique ou, si tu avais plus de moyens, tu aurais préféré une autre méthode ?
B. L. : C'est une question de liberté. Quand on a un producteur, on est prisonnier des contraintes, des échéances, on ne fait pas ce qu'on veut, on s'autocensure aussi. La liberté, c'est le temps qu'on n'a jamais pour faire des films. Il y a des films que je fais très vite, et il y a des films qui prennent 10 ans, 15 ans : c'est comme ça. Surtout pour ce que j'appelle le journal filmé, le journal intime, on a besoin de temps, ça ne se fait pas en deux semaines. J'accumule beaucoup de matériaux que je filme en permanence et puis, à un moment, avec ces archives personnelles, je construis un film, plusieurs films, une série de films. J'ai toujours dit que mon œuvre, c'est comme un grand film, c'est divisé en petites pièces, en petits morceaux sinon, on ne pourrait pas les montrer, on ne pourrait pas les produire parce qu'à un moment donné quand je fais des copies, je dois trouver aussi de l'argent, je dois déposer des projets comme tout le monde. Donc il y a les films officiels qui sont produits, qui sont subventionnés par la Communauté française, et d'autres films qui sont faits sans aide, sans production, qui sont souvent inachevés d'ailleurs, dont il ne reste qu'un original. C'est pour ça que je me promène beaucoup avec mes films, que je les porte moi-même, que je les projette moi-même. J'ai fait, pendant plusieurs années et encore maintenant ce que j'appelle des projections à domicile, des petites projections chez les gens dans des appartements. C'est un circuit très différent de ce qu'on appelle la diffusion dans les salles de cinéma. Mais j'ai aussi un autre type de diffusion; la CINEMATEK, les centres culturels, les écoles des beaux-arts, les festivals, etc.

Des autoportraits

C. : Le cinéma est un médium idéal pour faire de l'autobiographie.
B. L. : Je fais ce que j'appelle des autoportraits plutôt qu'une vraie autobiographie. Babel, par exemple, j'appelle ça une « fiction autobiographique » parce que je me suis mis en scène, je suis un personnage. Il y a des liens entre moi et le personnage que je filme, mais ce n'est pas vraiment moi, je ne fais pas un reportage sur ma vie. C'est une fiction, mais où tout le monde joue son propre rôle. Le matériau de base, c'est un matériau documentaire que j'utilise, mais avec une mise en scène, une mise en fiction. Je fais de la mise en scène du monde… comme Henri Cartier-Bresson. Je suis là à un moment donné, je capte les choses comme je les perçois. Je n'écris pas le film avant, je vais l'écrire en le faisant, le scénario se fait après coup.

 

Boris Lehman au travail

 

C. : Mais parfois tu structures, je pense à ce que tu as fait sur Arié Mandelbaum, que tu as filmé en 1985 dans Portrait du peintre dans son atelier et puis, en 2008, 20 ans après, tu as continué son portrait dans Un peintre sous surveillance.
B. L. : 20 ans après, j'ai refait un film. La peinture d'Arié a évolué, notre amitié a évolué. C'était pour voir comment on perçoit la chose d'une manière différente, mais ce n'était pas prémédité. C'est venu comme ça, naturellement. Le film est devenu comme un diptyque. L'amitié, c'est une notion très importante, peut-être une des plus importantes dans le cinéma. On peut faire le lien avec le cinéma de Jonas Mekas, qui filme ses amis, qui a filmé tout le temps sa vie, dans un style très différent du mien, mais on a ça en commun : faire entrer nos amis dans nos films. On choisit la forme. Jonas Mekas a aussi choisi la forme du journal filmé, mais c'est plutôt lui qui tient la caméra, donc on le voit beaucoup moins que moi. Tandis que moi, j'aime retourner la caméra sur moi, c'est une espèce de mise en fiction.

 

C. : Tu aimes les détails de la vie de tous les jours, tu sais que Dieu est dans les détails, comme Kubrick. As-tu un côté, je ne vais pas dire christique mais, comme si tu portais sur tes épaules le poids du monde.
B. L. : Christique, c'est clair. Si on a vu la dernière scène d'évangile que j'ai filmée, bien sûr. Homme portant, homme qui porte ses films, sa caméra, qui souffre et qui essaye de s'envoler, d'échapper à cette pesanteur. Dans le cinéma, l'élan est christique. Il y a quelque chose du sacrifice, le sacrifice du créateur, de l'artiste. Je pense qu'on n’obtient rien sans travail. On peut avoir l'impression que mes films sont faits comme ça, très facilement. Ce n'est pas une question d'argent, c'est une question d'idée fixe, d'acharnement et de persévérance. Je suis un homme de la marche, je suis un piéton. Avancer, comme une tortue, ça prend beaucoup de temps. Il faut accumuler des miettes de choses dont on ne voit pas le résultat tout de suite. Il faut beaucoup de temps pour le voir et, bien sûr, il y a peu de gens qui peuvent vous accompagner dans ce périple. Alors les gens m'accompagnent. Il y a beaucoup de gens qui m'aiment bien autour de moi, j'ai un « fan-club ». Il y a des gens qui viennent sur mes tournages, ils viennent un moment puis, ils disparaissent parce qu'il n'est pas possible de m'assister 24 heures sur 24.

Filmer pour résister

C. : Mais c'est aussi une résistance, comme dirait Deleuze, créer, c'est résister.
B. L. : Par rapport à l'ordre, par rapport au cinéma standardisé. Une résistance pour rester indépendant, pour ne pas être happé par la normalisation, la mondialisation, le produit.

 

C. : Tu me fais penser au conte de Jorge Luis Borges, L'immortel, dans lequel Homère traverse le temps.
B. L. : Oui, je connais, Borges. C'est un écrivain important pour moi. C'est une belle idée, personne ne me l'avait dit avant. Kafka aussi est très important pour moi, et peut-être plus proche de nous, Perec. Ce sont des gens qui travaillent dans le même sens que moi. Des artistes comme Boltanski ou Perec avec qui j'ai beaucoup d'affinités dans mon travail. Je suis plutôt un personnage qu'on rencontre ici et là, je suis plus un personnage qu'un cinéaste qui fait des films.

 

C. : Tu as été aussi critique de cinéma à La Revue Nouvelle et même à Cinergie, mais plus maintenant.
B. L. : C'est le chemin de la plupart des gens de la Nouvelle Vague. Voir beaucoup de films, faire des critiques, rencontrer des réalisateurs. Je voulais travailler chez Kubrick, mais évidemment, on m'a fermé la porte au nez. Je voulais aller voir David Lynch qui tournait à Mexico, et je n'ai pas pu entrer dans le studio. Je suis arrivé sur les tournages d'Alain Resnais, de Jacques Demy et d'autres cinéastes. J'ai vite compris que ce n’était pas ce genre de films que je voulais faire. J'aurais pu entrer dans ce cinéma conventionnel, traditionnel, avec de bons auteurs qui font de bons films. C'est la forme de cinéma et la forme de tournage qui ne m'intéressait pas, cela m'ennuyait. C'est une équipe énorme, c'est une mise en boîte de quelque chose. Tout le monde attend, on recommence 10 fois, 15 fois les prises. Moi, je ne fais qu'une prise. Je ne mets pas en boîte des scénarios, je filme la vie, telle que je la vois, et j'essaye de vivre et de filmer en même temps - ce qui est évidemment impossible. C'est cette idée que je poursuis, très présente dans le premier épisode de Babel,mais continuer comme ça mène droit à la folie. On met sa propre vie en jeu, ce n'est pas une image. Et donc, c'est un cinéma du risque. On ne risque pas seulement de rater son film, ça ce n'est pas très grave, mais on risque de perdre une amitié. C'est ça que je ne vois pas dans le cinéma conventionnel ou très peu. Ils ne risquent pas leur vie en faisant leur film. Ils ne mettent pas leur vie en jeu, ce n'est pas un cinéma existentiel.

 

C. : Mettre sa vie en jeu, c'est le risque de ne plus faire la différence entre son œil et l'œil de la caméra ?
B. L. : C'est la relation avec les gens, je les filme dans certaines circonstances, il y a des relations intimes qui sont filmées directement, indirectement, métaphoriquement si on veut, mais elles sont là.
Comme je filme la vie, je filme déjà le bébé dans le ventre de la mère, ça m'est arrivé souvent et puis, c'est comme en amitié, on espère que ça va durer. J'aime bien filmer les gens que j'aime, les amis ne sont plus les mêmes aujourd'hui qu'en 83, mais il y en a quelques-uns qui sont encore en vie. On rencontre d'autres personnes, il y a d'autres amitiés, ça rentre dans mon cinéma. Les quelques spectateurs qui verront les Babel 1, 2, 3, 4, 5, verront comment je change ou ne change pas, comment mes amis sont toujours là ou plus là. Il y a un côté archéologique, et même anthropologique dans mon cinéma, quelque chose d'ethnographique, lié à ma vie, à mon itinéraire.

Babel

C. : Le Babel 1, 2, 3, 4, 5 sont dans le coffret ?
B. L. : Non. Dans le coffret, il n'y a que le premier épisode de Babel - lettre à mes amis restés en Belgique accompagné d'un livre dans lequel est décrit le plan des sept films. Le deuxième film, c'est Tentatives de se décrire, le troisième épisode, Histoire de ma vie racontée par mes photographies, le quatrième Mes sept lieux, le cinquième Histoire de mes cheveux, le sixième Le retour d'Ulysse, le dernier épisode prévu, signé Je reste encore en vie, ou comment l'histoire est entrée en moi. J'ai prévu qu'il pouvait se faire après ma mort, puisqu'on n’utilise que des archives. Babel c'est un peu A la recherche du temps perdu, pour donner une référence. C'est une œuvre qui est une part de mon œuvre, plus globale, avec d'autres films qui ne rentrent pas dans ce cycle, comme Muet comme une carpe, Homme portant, A comme Adrienne.

C. : Babel est ton œuvre centrale.
B. L. : Oui, c'est central ! Et puisqu'on avance en âge, qu'il y a plus d'années derrière que devant, il y a comme une espèce d'angoisse pour essayer d'achever le film. C'est sûr que je vais vers un inachèvement… comme la tour.

 

BabelC. : Tu démarres avec Antonin Artaud.
B. L. : L'œuvre d'Antonin Artaud m'a beaucoup bouleversé dans les années 60. J'ai voulu refaire le voyage d'Antonin Artaud chez les Indiens Tarahumaras, ceux qui cultivent les champignons hallucinogènes. J'ai refait ce voyage, c'était une espèce de voyage initiatique. C'est le moteur de tout l'épisode Lettre à mes amis restés en Belgique. Le film se construit avant mon voyage et l'après voyage.



C. : Tu n'aimes pas le côté esthétique de l'art.
B .L. : Il y a toujours une esthétique, une forme. On ne peut rien dire sans une mise en forme. Quand je dis l'esthétisme formalise, cela concerne une forme gratuite qui ne repose sur rien. Comme on dit, on fait une belle image. Je n'aime pas beaucoup les films de Terrence Malick, par exemple. Bien sûr, il y a une mise en forme plastique, picturale, mais assez simple, pas sophistiquée. Je suis plus proche de Cartier-Bresson ou de Diane Arbus, c'est-à-dire un cinéma brut. Il faut trouver la place de la caméra, la lumière, être attentif au cadre ou ce qu'il y a dans le cadre. Je compose le plan comme un metteur en scène de fiction, mais j'utilise les choses qui sont là, devant moi.

 

C. : Le rond, le triangle...?
B. L. : C'est un film particulier qui a été fait en studio sans référent réel. C'est une expérience. J'aime bien faire des expérimentations, ne pas refaire ce que j'ai déjà fait. C'était sur ma relation avec Nadine à l'époque, donc c'est un film d'amour, un film sur le couple, par le couple, mais pas réalisé d'une manière traditionnelle, psychologique. C'était plutôt un film symbolique, avec des références alchimiques, mais de pacotille. Je dis toujours qu'il ne faut pas prendre mes films trop au sérieux, il y a un côté ludique, un peu léger. Même Histoire de mes cheveux, c'est un film assez grave sur la vieillesse qui commence, la mort qui approche. C'est un sujet grave, mais il y un côté léger où je parle de mes cheveux, où je vais chez le coiffeur, des choses assez comiques.

 

C. : Au festival Filmer à tout Prix, tu vas présenter un film.
B. L. : Un petit film. Choses qui me rattachent aux êtres, qui montre bien ce dont j'ai parlé : l'amitié. Il y a une connotation philosophique dans le titre. C'est un court métrage de 14 minutes. On me reproche de faire des films trop longs, mais il y a aussi des films courts. Chaque objet a une histoire qui n'est pas dévoilée. Mais si tu as vu quinze films de Boris Lehman, alors tu verras mieux les liens. La loupe d'Adrienne, tu vois vraiment que c'est Adrienne, ce n’est pas juste un nom que j'ai mis comme ça. Chaque objet a une référence, il n’est pas choisi au hasard. Chacun de nous a des objets issus d'autres. Le spectateur peut faire l'exercice, il peut continuer l'exercice. Et là, c'est un film qui montre vraiment que je n'existe que par les autres. C'est une démonstration par l'absurde de ma dépendance aux autres.

Le cinéma est un acte social

C. : Et la recherche de reconnaissance aussi ?
B. L.: Quand on fait un film, on a besoin que quelqu'un le voit. Il faut qu'il intéresse au moins une personne. C'est comme quand on écrit une lettre, il faut au moins un destinataire. Mais il ne faut pas des millions de spectateurs. Il faut des millions de téléspectateurs quand le film a coûté beaucoup d'argent et qu'il faut le rentabiliser. Moi, je fais des films sans argent donc je n’ai pas besoin de rentabiliser, juste un petit peu parce qu'il faut de l'argent pour vivre. Il faut trouver son économie. 

 

C. Tu travailles souvent avec les mêmes personnes, que ce soit au son ou à la caméra.
B. L. : C'est pour la même question d'amitié. Je ne travaille pas seul. J'ai besoin de quelqu'un pour l'image, besoin de quelqu'un pour le son, quelqu'un pour le montage : ce sont les trois postes principaux, je dirais. Quand on est habitué à quelqu'un, on continue à travailler avec cette personne parce qu'on gagne du temps. Souvent, les opérateurs me demandent : où est-ce qu'on tourne ?, où est-ce qu'on va ?, quel est le plan de travail de la journée ? Ce sont des questions auxquelles je ne sais pas répondre. On va à la cueillette de plans, peut-être qu'on reviendra bredouille. Il y a peu de techniciens qui acceptent ce genre de choses. Demander cette disponibilité à un opérateur est pratiquement impossible. Van der Keuken travaillait avec sa femme, il a trouvé son système. Je me demande comment Fassbinder est arrivé à ça, parce qu'il avait sa troupe, des gens qui vivaient ensemble, avec plein de tensions par ailleurs. Ingmar Bergman a pu faire son œuvre aussi comme ça. Je ne peux travailler de la sorte qu'avec Antoine Meert. Je l'appelle, on se donne rendez-vous. On se voit, au café. Nos rendez-vous commencent toujours au café. On se raconte ce qu'on a vu, ce qui nous est arrivé. Et puis, on se promène. Je lui dis, la lumière est belle ici, arrêtons et prenons un plan.

 

Histoire de vie

 

C. : Tu pourrais aussi travailler seul, ça te faciliterait la vie, comme Cavalier.
B. L. : Oui, mais je ressens la solitude de Cavalier quand je vois ses films. Je ne veux pas vivre comme lui, reculé, comme dans un monastère. Les écrivains ou les peintres s'isolent pour travailler. Le cinéma, c'est social. C'est une école de vie, c'est mon école de vie, c'est sûr. J'ai beaucoup existé grâce au cinéma.

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