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Ivresse d'une oasis de Hachimiya Ahamada

Publié le 18/05/2011 par Dimitra Bouras / Catégorie: Tournage

Dans les couloirs de l'arrière-maison de la Francité, Maison qui héberge Cinergie, nous rencontrons régulièrement des documentaristes soutenus par le C.B.A., occupant les salles de montage de l'atelier d'aide à la production. Parmi ces locataires occasionnels, généralement discrets, concentrés à temps doublement plein sur l'agencement des images, nous faisons la connaissance d'une jeune femme qui nous décrit le motif central de son film; une maison construite par des émigrés, partis loin du pays, restant quasi totalement vide. La chaleur qu'elle met dans son récit et l'intelligence de son analyse titillent notre curiosité et nous cherchons à en connaître plus sur cet étrange personnage. Elle nous apprend qu'elle est née et a grandi à Dunkerque, qu'elle a été touchée par le virus du cinéma lors d'un atelier vidéo et Les Rencontres Audiovisuelles où elle rencontra des cinéastes comme Frans Buyens, Boris Lehman et Philippe Simon. De la bande des cinéphiles, plusieurs ont tenté le concours d'entrée à l'INSAS. Entraînée par cet engouement, elle se laisse convaincre et présente, malgré toutes ses craintes, les épreuves qui lui permettraient d'endosser le titre de réalisatrice. Non seulement elle les réussit, mais elle termine la formation, sur les mêmes bancs que Nicolas Rincon Gilles ou Clémence Hébert, également  documentaristes. N'y tenant plus, nous lui proposons une interview.

Cinergie : Quand tu t’es lancée dans le cinéma?
Hachimiya Ahamada : Quand j’ai fait mes premiers pas cinématographiques au sein de cet atelier qui s’appelait « l’Ecole de la rue ». On faisait des petits portraits documentaires des habitants de nos quartiers, et j’adorais les échanges qu’il y avait avant et pendant le film. Comme j’aimais bien tenir la caméra, j’ai eu envie de continuer à partager ces échanges. Etant plutôt timide, la caméra me permet de m’exprimer et de casser cette timidité. Je me sentais plus d’affinités avec le documentaire qu’avec la fiction. Même au sein de l’INSAS, les exercices qu’on faisait étaient plutôt tournés vers le documentaire. En 3ème année, j’avais travaillé sur un sujet qui était le mariage arrangé au sein de la communauté comorienne sous forme de docu-fiction. Pour mon travail de fin d’études, je me suis aussi dirigée vers le documentaire parce que je ne me sentais pas à l’aise pour diriger une équipe. Ce qui était important pour moi, c’était de pouvoir rencontrer des gens et de partager ensuite ce que je pouvais obtenir à travers mes images. Je suis plus à l’aise  dans le travail sur le réel que de le manipuler ou créer quelque chose de superficiel. En fait, ce qui m'importe le plus c'est mon sujet, les Comores. Et comme il n’y a pas d’acteurs là-bas et que le cinéma n’existe pas, je suis donc obligée de travailler sur le terrain du réel.

C. : Pourquoi cet intérêt pour les Comores alors que tu es née en France et que tu ne les connais qu'à travers tes parents ?
H. A. : La première fois que je suis partie aux Comores, j’avais 21 ans, et je ne maîtrisais pas la langue. J'ai reçu une vraie claque en découvrant les Comores et ma famille restée sur place. Le rêve de mon père, comme tous les autres pères de cette génération comorienne, était de construire une maison dans son village natal. Cette maison a mis du temps avant d’être construite et elle n’est toujours pas terminée. Je me suis rendu compte qu’au sein des autres familles, c’était la même chose. La majorité des maisons de la diaspora comorienne sont inachevées. Quand je suis retournée aux Comores, c'est avec l’envie de faire des projets cinématographiques là-bas. C’était une manière de découvrir le pays par le biais du cinéma et à travers ma caméra, et non à travers la famille. D’ailleurs, les rencontres que j’ai faites après ont été beaucoup plus fortes que celles que j’avais pu faire lors de mon premier voyage.

C. : Est-ce que la caméra était une manière pour toi de ne pas devoir subir le regard de la déracinée ?
H. A. : Je ne voulais justement pas partir en étant perçue comme telle, mais l’étiquette m’a rattrapée malgré moi. Pendant mon voyage dans chacune des îles de l’archipel et dans les rencontres que j’ai eu la chance de faire, on me voyait toujours comme cette fille née en France, qui ne parle pas la langue, mais dont les parents sont d’origine comorienne. Quelque chose s’est perdu dans la transmission identitaire.
Le cinéma est pour moi un prétexte pour mieux connaître mes origines, l’histoire du pays et peut-être arriver à gérer et combiner mes deux origines, françaises et comoriennes.

C. : Pour en revenir au sujet de Ivresse d'une oasis, comment t’es venue l'idée du film ?

Extrait de Ivresse d'une oasis de Hachimiya AhamadaH. A. : C’est une idée que je travaille depuis mon film de fin d’études. Même mon court métrage précédent tournait autour du thème de la maison. J’ai vu mon père travailler comme manutentionnaire toute sa vie, et mettre toutes ses économies pour cette maison familiale. Il  a mis du temps à la construire, mais depuis, elle est toujours là, et on n’y est jamais retourné. J’ai pu constater que la génération de mes parents a fait cette même démarche. Quand on se balade sur la grande Comore, on aperçoit ces maisons inachevées, ces fondations qui sont en attentes de finition, ou ces maisons inhabitées depuis plus de 5 ans. À leurs côtés, beaucoup de gens vivent dans des maisons en taule ou en paille et ne profitent pas de ces maisons qui ne servent à personne et qui appartiennent très souvent aux membres de leur famille. La première fois que j’y suis allée, c’est la première chose qui m’a frappée. On construit la maison pour, un jour, rentrer définitivement au pays.J’ai l’impression que la génération de mon père a construit sa maison comme pour laisser une trace dans leur village natal; dire que c’est là qu’ils sont nés. Ce sont des stèles. Je me suis rendu compte que c'est souvent le cas dans toutes les communautés immigrées. Les gens partent pour mieux revenir au pays et non pas pour vivre mieux et s'installer dans un autre pays.

C. : Comment as-tu imaginé ce film ? Avais-tu déjà une idée de la forme qu'il allait prendre avant de partir en repérage ?
H. A. : Ma première envie vient d’images que j’avais sur VHS, une sorte de lettre vidéo envoyée par mon père. C'était une visite de notre maison familiale. C’était sa façon de montrer ce qu’était pour lui les Comores et nous présenter la famille. C’était ma première matière de travail. Je voulais également utiliser les images de mon premier voyage aux Comores, même si c’était des images de vacances, elles étaient pour moi l’étiquette de cette diaspora comorienne. 
J’ai commencé à écrire mon projet sérieusement vers 2006. J'ai reçu une aide aux repérages du CBA, et j'ai pu partir deux mois sur les quatre îles de l'archipel.

C. : Est-ce que la forme d’arrivée est celle que tu imaginais au départ ?
A. H. : Oui. Le projet contenait plusieurs pistes d’écriture, et il est clair que parfois sur le terrain, je ne trouvais pas ce que je cherchais. Au final, le film ressemble à l’idée de départ. J’y tenais d’ailleurs, je voulais m’en tenir à l’écriture de base qui était un peu comme un cahier des charges pour moi. Après, il fallait voir avec le monteur si l’idée que j’avais dans la tête fonctionnait. On a mis presque six mois à monter ce film. Même en essayant de rester fidèle à ce que j’avais dans la tête, le montage a été un voyage à travers les images, la trace des rencontres que j'ai faites sur le terrain.
Le repérage m’a permis de mieux comprendre ce qui se passait sur le terrain par mes rencontres avec les habitants. Au début, je suis partie toute seule, et j’avais un peu peur parce que, à part l'île de la Grande Comore, je ne connaissais ni Mohéli, ni Anjouan ni Mayotte. Je partais à la rencontre de  l'inconnu même si j’avais quelques contacts que j'avais pris par mail. J’ai tenu un journal de bord tout au long de mon voyage dans lequel je notais mes observations des villages et des témoignages. Ce journal de bord, plus les images, ont été des outils d’écriture pour la production. J’ai pu partir en tournage avec un ami d’enfance qui vient de Dunkerque et un ingénieur son qui était de la même promotion que moi. À cause des événements politiques, et d'un point de vue budgétaire, je ne pouvais pas partir trop longtemps. J'ai donc utilisé les images des repérages. L’écriture s’est aussi faite pendant le tournage parce que certaines choses ne correspondaient pas à ce que j'avais écrit au départ. L’écriture du documentaire commence pour moi avec les rencontres, les lectures et elle continue même jusqu’au mixage. Le regard change constamment, parce que l’on ne cesse de faire des découvertes qui nous obligent à nous éloigner parfois de cette ligne qu’on tente absolument de garder jusqu’au bout. C’est pour ça que j’aime bien le documentaire, il exige de la réflexion du début à la fin.  

C. : Qu’en est-il de la musique ?
H. A. : Je n’ai pas demandé à des musiciens de faire la musique du film. Je me suis servi d’une danse aux esprits collective que j’ai filmée à Mayotte où la musique fait partie intégrante de cette cérémonie. J’ai également filmé un merengue qui est une sorte de boxe et qui a pour but de canaliser les tensions entre les jeunes adolescents des différents villages. C’est un peu un rite d’initiation au sein d’Anjouan. Un orchestre vient dans le village le soir de l’événement et les jeunes organisent ces combats qui ne vont pas jusqu’au bout parce qu’un arbitre est chargé de les stopper au moment où la tension commence à monter. Il y a aussi un chant de prière enregistré chez moi, à Dunkerque, par des gens de la communauté comorienne, en l’honneur de la commémoration du décès de mon père mort en 2003. J’étais encore à l’INSAS, à cette époque-là. Mon père est un peu la raison de ce film. Il y a continuellement la trace de sa mémoire dans mes films et la maison qu’il a construite est le questionnement de ce que mes sœurs et moi allons en faire.

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