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Jean-Michel Vlaeminckx, photographe de plateau

Publié le 15/08/2014 / Catégorie: Métiers du cinéma

En 2004, Claude Savaroc interviewait Jean-Michel Vlaeminckx sur le métier de photographe de plateau. L'entretien avait paru sur un blog dédié à la photo. Nous le publions aujourd'hui en mémoire de Jean-Michel, inopénement disparu.

 

Jean-Michel VlaeminckxClaude Savaroc : Jean-Michel, être photographe de plateau, cela consiste en quoi ? C'est le gars qui apporte les consommations sur un tournage ?

Jean-Michel Vlaeminckx : En général, c'est un stagiaire de la régie qui s'occupe du café et des consommations. C'est le seul point que nous avons en commun avec Hollywood. Pour le reste il n'y a de photographe de plateau salarié sur un film que sur les grosses productions (deux fois l'an). Pour le reste c'est l'un des membres de l'équipe image qui fait les photos (voire un électro, la plupart de ceux-ci étant, des diplômés de l'INSAS ou de l'IAD en section image). 

Personnellement je fais des reportages photo et textes sur les tournages, ce qui est différent puisque le photographe de plateau ne fait que doubler le plan que le réalisateur a choisi de tourner. Ce n'est plus mon cas. J'aime montrer l'envers du décor : l'équipe au travail. Le cinéma belge n'ayant pas les moyens promotionnels qu'ont des cinématographies comme la France ou l'Amérique, le travail du photographe de plateau est aléatoire. Ceci étant avec l'image numérique, un réalisateur peut choisir le plan qui symbolise le mieux son film s'il travaille en DV ou en HD-Cam.

 

C. S. : C'est peu courant, me semble-t-il, cette démarche qui privilégie l'envers du décor sur un plateau de tournage. Peut-on dire que c'est une approche plutôt branchée qui va dans le sens des making-of qui font florès sur le marché du dvd notamment ? Si cela permet de montrer des aspects peu connus d'un tournage ou de conserver ces moments privilégiés d'une œuvre d'art en train de naître (comme Clouzot filmant Picasso), n'est-ce pas finalement aussi un projet indécent, dans le sens où il risque d'ôter au spectateur cette part du rêve inhérente au cinéma ?

 

JMV : Peut-être, mais pas exceptionnelle. John Huston a accordé à l'Agence Magnum l'exclusivité du tournage de The Misfits, ce qui nous a permis de voir Marilyn Monroe, Montgomery Clift et Clark Gable hors prises, lors des moments creux du tournage. Le problème du photographe de plateau est de n'être que le fantôme du réalisateur. Il photographie ce que celui-ci a déjà cadré et désire mettre en lumière. C'est normal ses photos sont destinées à donner une visibilité au film.

 

Ce qui m'intéresse c'est de montrer une même concentration : celle des comédiens et de l'équipe lors des ultimes répétitions avant le fatidique : "Moteur !" Ainsi que les contrastes de luminosité entre l'espace que capte la caméra et l'espace moins éclairé où se trouvent les techniciens. Si ce genre de photos a ses clichés, il offre aussi des moments de grâce ou d'humour. Elle permet au photographe de se faire son cinéma, tel le regard d'une actrice vers le réalisateur qui la dirige hors champ, tandis que l'équipe-son dissimule un micro dans ses vêtements. Et, ce que je recherche le plus, des quatuors de techniciens ou comédiens dont les regards divergent, étant plongés dans un hors champ qui révèle un imaginaire qui est autre (ou peut-être en correspondance) avec celui du film.

Certains making-of sont bourrés de clichés, d'autres nous révèlent - comme pour The Quiet American - que Chris Doyle a utilisé plus de cinq angles de prises de vues avec sa caméra pour saisir l'attentat se déroulant devant l'Hôtel Continental à Saigon. Si en plus, le réalisateur Philipp Noyce explique au montage pourquoi la séquence est plus dynamique en multipliant les points de vue, cela peut être passionnant. Donc pas d'a priori, il y a des making-of intéressants tout dépend de qui les réalise : un auteur ou un publicitaire.

Pareil en photos : si Joseph Koudelka et Inge Morath photographient le tournage de White Nights de Taylor Hackford, c'est quasiment aussi captivant que le film. Ou encore, Raymond Dityvon sur le plateau d’un film de Jacques Doillon, c'est également passionnant. Donc pour résumer, tout est une question de regards. Certains ont un regard singulier, d'autres un regard formaté de publicitaire ou pire de drogués du marketing.

Enfin, si l'on regarde l'album que l'Agence Magnum a publié sur ses photos de cinéma, il n'y a là rien d'indécent : c'est une approche complémentaire à celle du film. Celui-ci comme la photo peut nous former (certains films comme certaines photos nous travaillent toute notre vie) ou nous formater (certains films nous saturent tellement que sitôt vus, ils sont oubliés). Bref, il y a des films qui sont une collection d'images et d'autres qui sont réalisés avec des plans. Il me semble que l'indécence, c'est le flux d'images insignifiantes dont nous sommes en ce début de siècle bombardés. L'indécence, c'est le cinéma pompe à fric. Un film comme Citizen Kane peut se voir dix ou quinze fois sans lasser. Ce n'est pas pour rien. Un film d'auteur est composé d'une somme de détails et chaque vision nous en révèle d'autres.  

 

C. S. : On sait que longtemps le Leica a été quasiment le seul véritable compagnon du photographe de plateau parce que son silence de fonctionnement ne gênait pas la prise de vue. D'autre part, il garantissait aussi une parfaite qualité d'image. L'arrivée du numérique, dont on peut comprendre le rôle important en photographie sportive par exemple, a-t-elle touché aussi maintenant le monde des photographes de plateau ? Si c'est le cas, comment cette nouveauté technique modifie-t-elle leur travail?

JMV : Le faible bruit du déclencheur du Leica en a fait longtemps l'appareil idéal sur un tournage. Mais depuis que les caméras sont blimpées et le son en prise directe (auparavant on utilisait le son témoin), il n'est plus possible de l'utiliser pendant les prises. Il n'en reste pas moins, grâce, à sa visée télémétrique qui permet d'anticiper les entrées de champ, l'outil naturel d'un photographe travaillant sur un plateau. Et plus encore dans l'espace du cinéma belge où les faibles moyens financiers obligent les chefs opérateurs à travailler en basse lumière. Le Leitz Summicron 35 ou 50 mm à pleine ouverture procure de la netteté et un flou tellement doux qu'il passe presque inaperçu. Raison pour laquelle certains loueurs de matériel ont conçu des bagues intermédiaires permettant à une caméra Arriflex de se doter des objectifs Leitz de la série R. Par ailleurs, et c'est un bon raccord, Leitz fabrique pour les caméras numériques Panasonic (utilisées par la RTBF) des objectifs qui font concurrence aux célèbres optiques Zeiss utilisées par les caméras numériques Sony HD-Cam. 
Pour ce qui est des appareils photo numériques, personnellement je laisse cela aux photographes d'actualité ou sportifs et aux touristes. Un plateau de cinéma est le lieu où une certaine alchimie opère entre des comédiens qui incarnent un personnage et des techniciens qui captent leurs émotions. La photo à pellicule argentique oblige, grâce au temps de développement, le photographe à jouer l'instant décisif cher à Henri Cartier-Bresson. C'est pas avant, c'est pas après, c'est à ce moment-là. La photo numérique en offrant un résultat immédiat rend paresseux. Or, personnellement, et c'est ce qui me passionne, c'est la concentration qui règne sur un plateau suivi de poses certes, mais cette concentration le photographe doit la faire sienne pour saisir la magie du cinéma sinon, une fois encore, on tombe dans la photo standard, promotionnelle.

 

Jean-Michel Vlaeminckx

C. S. : Puisque tu es non seulement photographe de cinéma, mais aussi photographe tout court, comment vois-tu l'évolution de la photographie ? À ton avis, des Salgado ou des Natchwey peuvent-ils laisser croire que des photojournalistes se sentent encore suffisamment concernés par le monde qui les entoure, pour avoir envie de le montrer à leurs semblables ? 

JMV : La photographie, comme le cinéma, deux arts qui utilisent la pellicule argentique, ont connu leur heure de gloire au siècle passé. La photographie, comme le cinéma, continuera à être populaire, mais formatée. Si on se réfère à ce qui se passe aux États-Unis, seul 2 à 3 % de la population à un niveau culturel suffisant que pour comprendre la singularité d'une expression artistique. Le rouleau compresseur de la culture standardisée à consommer rapidement engendre des retours sur investissements qui sont plus importants que la symbolique culturelle. Ce qui signifie qu'il y aura toujours des photographes posant un regard neuf sur le monde. La question est de savoir s'ils auront encore autant d'audience que leurs prédécesseurs. J'en doute. La démocratisation de la culture a été une parenthèse de quelque cinquante années. Les identités culturelles dans ce troisième millénaire tendent à disparaître au profit de l'uniformité. Donc, des Salgado et des James Natchey, il y en aura toujours. Seront-ils aussi diffusés qu'aujourd'hui ? 

En effet, là est toute la question. 

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