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Jonathan Lenaerts, attaché de presse du BIFFF

Publié le 08/03/2016 par Grégory Cavinato / Catégorie: Événement

Jonathan Lenaerts, attaché de presse du BIFFF

Cinergie : Chaque année, le BIFFF propose près d’une centaine de films, souvent inédits et en avant-premières. Peux-tu entrer dans le détail du processus de sélection ? Comment se déroule le tri ? Y a-t-il une personne en particulier à la tête du comité de sélection ou est-ce que vous faites ça tous ensemble, à parts égales ?
Jonathan Lenaerts : C’est une grande récré de sélectionner les films ! Nous sommes huit dans le comité de sélection : les quatre fondateurs : Freddy et Annie Bozzo, Georges et Guy Delmotte et ensuite Jean-Marc Cambier, Chris Orgelt, Youssef Seniora et moi-même. Comme nous sommes très dissipés, il faut que quelqu’un tienne la baguette et ça, c’est le rôle de Freddy ! L’avantage d’avoir autant de personnes dans le comité de sélection, c’est qu’il y a toujours des débats. Chacun peut proposer des films complètement différents. Il y a des films que j’apprécie moins et pour lesquels les autres vont avoir des coups de cœur, et vice versa. Tout le processus est très subjectif, ce qui nous permet, chaque année, d’avoir une programmation extrêmement éclectique. Parfois, le choix de certains films est une bataille acharnée. Si trois d’entre nous ont aimé un certain film, la question ne se pose pas. Mais si un seul insiste pour programmer un film bien particulier, il devra défendre son steak, prouver aux autres pourquoi ce film mérite d’entrer dans la sélection ! Un exemple récent de film pour lequel nous nous sommes battus, c’était Rare Exports : A Christmas Tale (2011, une comédie horrifique finlandaise de Jalmari Helander, - ndlr). Certains hésitaient parce qu’il avait fait le tour des festivals et était déjà disponible un peu partout en dvd. Mais nous avons insisté parce que le film est délirant, drôle et horrifique à la fois - une vraie réussite ! - et finalement, il a décroché le Prix du Public !… Au niveau du processus, nous voyons d’abord tous les films que nous recevons : une moyenne de 400 films par an envoyés directement au festival ! Puis, il y a surtout la prospection, durant laquelle nous en voyons à peu près 400 également : nous partons dans de nombreux festivals et marchés de films de genre : Cannes (France), FrightFest (Londres), Sitges (Espagne), Busan (Corée du Sud), l’American Film Market (Los Angeles) et depuis deux ans, nous partons également au « Blood Window » (Buenos Aires), un marché de co-production où ils présentent des work in progress et qui nous a permis de présenter quelques séances l’année dernière…

 

C. : Le fantastique est un genre particulièrement vaste, qui va de la science-fiction à l’horreur en passant par le thriller, parfois même par les films expérimentaux. Et la production mondiale a explosé ces dernières années. Etant donné que vous visionnez 800 films par an, le tri doit être un véritable casse-tête !
J.L. : On commence à Cannes au Marché du Film, juste après avoir fait le bilan de l’édition précédente, mais le gros du travail commence réellement en juillet. Il y a effectivement beaucoup de déchets parce que le fantastique, au sens large est un genre extrêmement populaire. La différence par rapport aux années 80, c’est qu’à l’époque, le fantastique était en grande partie cantonné à la série B avec des films qui ne sortaient qu’en VHS ou en direct-to-video. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée : si tu examines le box-office mondial, la plupart des films produits depuis une quinzaine d’années font partie du genre. Le genre est très vaste : ça va du merveilleux au gore en passant par la science-fiction... Beaucoup de gens ont une vision très restrictive du fantastique : ils pensent qu’ils vont passer 1h30 devant un étal de boucher et rien d’autre. C’est regrettable parce que le genre est très riche ! Un autre problème c’est qu’avec le succès mondial du genre, arrivent toutes sortes de copies. Après Harry Potter, on a vu des dizaines de films avec de la magie et des petits sorciers. Il y a également eu la mode du « found footage », que nous appelons ici le « found foutage de gueule » tellement ce sous-genre a accouché de daubes. Alors c’est vrai que le « found footage » a permis une démocratisation du genre et que beaucoup de jeunes cinéastes sans argent se sont mis à tourner. Le problème c’est que ces gens se contentent d’acheter une caméra, ils découvrent la fonction infra-rouge et se permettent de faire un film, sans grande réflexion. Bien souvent, ça se résume à des plans où ils filment leurs pieds ou leurs compagnes nues à l’écran… et ces gens s’autoproclament réalisateurs ! Cette démocratisation amène beaucoup de déchets et, paradoxalement, un manque de créativité, parce que le genre reste très codifié. Tu te retrouves donc souvent avec 150 pâles copies d’un film qui marche, tu sais exactement ce qui va se passer, à quel moment… et le public n’est pas dupe ! En tant que sélectionneurs, nous devenons beaucoup plus intolérants envers ce genre de films !

 

Sergi Lopez

 

C. : En six ans d’activité au festival, tu as vu défiler les plus grands noms du fantastique. Quels sont tes meilleurs et pires souvenirs des invités ?…
J.L. 
: Bizarrement, les meilleurs souvenirs, c’est toujours avec les très grands réalisateurs qui n’ont presque plus rien à prouver. Quand John Landis est venu, il s’est prêté à absolument tout ce qu’on lui a demandé. Quand il est monté sur scène, nous avons passé son clip Thriller (pour Michael Jackson) et il a demandé à toute la salle de se lever, il a joué avec le public, lui demandant de prendre des poses pendant qu’il les photographiait. C’était un moment exceptionnel !… Terry Gilliam est adorable également. Je lui avais mis 5 heures d’interviews dans le nez et il m’a dit : « À une condition, c’est que tu m’apportes des petits nounours à manger. » Les invités se prêtent au jeu et adorent l’ambiance conviviale du BIFFF. Je me rappelle de Lance Henriksen qui se promenait pieds nus parmi les festivaliers ou encore de Sergi Lopez, qui faisait partie de notre jury. Après le premier soir, il s’amusait tellement qu’il voulait absolument un t-shirt du BIFFF ! Il s’est donc mis torse-nu dans le bar en attendant que j’aille lui chercher son t-shirt !… Mon pire souvenir par contre, c’est malheureux à dire, c’était avec le réalisateur d’un de mes films favoris, L’Exorciste ! William Friedkin, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est une des personnes les plus difficiles qu’on ait jamais reçues au festival ! Il est très charmeur, il joue beaucoup avec le public, mais il aime s’écouter parler et faire de longs discours. Finalement, on a réussi à s’apprivoiser mutuellement et on s’est même pris dans les bras, mais au début c’était très difficile. Déjà, avant qu’il n’arrive, j’avais dû refaire son planning presse à peu près 50 fois ! Il nous avait donné comme consigne de ne surtout pas mentionner L’Exorciste, parce qu’on ne lui parle que de ça et qu’il en a marre ! Tu imagines ? Il débarque dans un festival de fantastique et… interdiction de mentionner L’Exorciste ! Nous l’avons installé dans sa chambre d’hôtel, dans la Suite Magritte (parce qu’il adore Magritte…) Tout à coup, nous l’entendons crier : « Jonathan, Youssef » et voilà qu’il nous montre le tableau L’Empire des Lumières de Magritte. Et il nous dit : « Vous savez, c’est ce tableau qui m‘a inspiré l’affiche de L’Exorciste »… Et nous étions affolés parce que, du coup, nous ne savions pas quoi lui répondre… Ce furent trois jours passionnants avec ce grand monsieur ! C’est un très grand réalisateur mais…

 

C. : Depuis une quinzaine d’années, on remarque une forte émergence du cinéma asiatique… Après les films d’action / fantastique de Hong Kong dans les années 80/90 et les films de fantômes japonais dans les années 90/2000, c’est aujourd’hui le cinéma de la Corée du Sud qui se démarque ! Ce qui me sidère, c’est la qualité exceptionnelle de ces films qui, bien souvent, sont des premiers films ! Je pense à des films virtuoses comme Sea Fog (de Shim Sung-bo) et Hard Day (de Kim Seong-hoon), présentés en 2015… Comment expliques-tu la qualité de leurs premiers films par rapport au manque d’audace que l’on constate au niveau des premiers films belges ?
J.L. : Tout d’abord, les Coréens sont fiers de leur cinéma, contrairement à nous ! C’est un cinéma qui a eu du mal à démarrer parce qu’ils se sont chopé la crise économique asiatique de 1997 qui, paradoxalement, a joué un rôle de déclencheur. Ces cinéastes sont vraiment soutenus au niveau des aides et au niveau de la production. Le public coréen préfère nettement son propre cinéma aux blockbusters américains, ce qui n’est évidemment pas le cas en Belgique. Ils n’ont pas besoin d’imposer des quotas pour les films étrangers comme c’est le cas en Chine. Je pense que le cinéma coréen est vraiment dérivé du traumatisme de 1997 avec ces vagues de suicides délirants. À Séoul, tu as un taux de criminalité qui doit flirter avec les -2%. C’est une des villes les plus sûres au monde ! Mais leur cinéma est toujours d’une violence extrême, une violence qu’ils transforment en art pur. Leur cinéma va dans toutes les directions, il n’y a pas de tabou sociétal qui met la bride sur les scénarios.


 

À Bruxelles, nous sommes en contact avec les attachés culturels coréens, mais c’est surtout sur place que nous travaillons avec certaines boîtes de distribution depuis quelques années. Nous avons commencé la section « thriller » du BIFFF après avoir vu The Chaser (2008, de Hong-jin Na). Nous hésitions à le mettre au programme parce que ce n’était pas du fantastique pur, mais un thriller. Mais en voyant débarquer cette lame de fond du cinéma asiatique, on s’est dit qu’il ne fallait pas laisser passer ça ! C’est donc pour ça que nous avons créé la section « thrillers ». Ça fait des années que ça dure et les Coréens sont lauréats d’énormément de prix. Cette année, je conseille particulièrement Veteran (une comédie policière de Seung-wan Ryoo.)

 

C. : Malgré le succès phénoménal du BIFFF et son retentissement sur la scène internationale, le fantastique en Belgique semble toujours quelque peu méprisé.
J.L. : C’est vrai qu’en Belgique, qui est pourtant le pays du surréalisme, nous avons une tradition de film social ! Mais nous avons quand même quelques réalisateurs spécialistes du genre : Harry Kümel, Harry Cleven, Raoul Servais, Fabrice Du Welz ou encore Jaco Van Dormael… mais ils restent des exceptions ! C’est vrai que les préjugés subsistent et que le milieu du cinéma belge ne se lance pas dans la culture du genre. Maintenant - j’en ai discuté récemment avec l’Association des Scénaristes - il semblerait que certains producteurs sont en demande de films de genre, mais qu’ils ne reçoivent pas de projets suffisamment concluants. Nous allons d’ailleurs essayer d’organiser une master-class sur le sujet pendant le festival, parce que je trouve qu’il est vraiment dommage de ne pas creuser dans ce genre-là. Il y a, en Belgique, énormément de talents qui pourraient faire leurs preuves, mais qui se retrouvent coincés à cause de ces mentalités. Il semblerait que nous abordons un virement, la RTBF par exemple propose une série/thriller avec La Trêve. Peut-être allons-nous tout doucement recommencer à rendre ses lettres de noblesse au genre… Tu remarqueras que le problème ne se pose que du côté francophone parce que les Flamands, eux, assument un cinéma complètement à l’opposé ! Leurs thrillers marchent très bien et Jonas Govaerts, avec Welp (2014) a réalisé le premier film d’horreur belge techniquement très réussi… et ça fait du bien !

 

C. : Le fantastique est, par définition, un genre transgressif. Mais les gros films des studios hollywoodiens ne le sont plus depuis longtemps à cause du politiquement correct, de l’autocensure et de l’exploitation mondiale sur des territoires moins « ouverts ». Est-ce que la mission du BIFFF c’est de nous faire découvrir des œuvres différentes et subversives, que l’on ne pourrait même pas rêver de voir en salles ?
J.L. : Oui bien sûr, parce qu’il est jouissif d’avoir un propos qui n’est pas aseptisé, contrôlé, censuré… Il existe encore quelques blockbusters un peu transgressifs : quand James Gunn réalise Les Gardiens de la Galaxie, c’est une exception mais c’est jouissif. Et le succès de ce film a montré la voie pour des films ouvertement transgressifs comme Deadpool ou Suicide Squad. Les studios commencent à se rendre compte qu’ils vivent dans une bulle et qu’effectivement, il faut arrêter de prendre les gens par la main. Le cinéma de Kim Ki-Duk, par exemple, est d’une violence psychologique incroyable, preuve qu’il y a encore des cinéastes libres de toutes contraintes ! Prenons l’exemple de A Serbian Film, sans soute un des films les plus scandaleux que nous ayons diffusé : c’est un film qui a réveillé la problématique de la liberté d’expression. Par principe, nous étions d’accord de le montrer, mais nous en avons quand même longuement débattu. Et le Q&A qui a suivi la projection a duré 3 heures ! Le film a ensuite été condamné en Espagne… Mais le paradoxe, ce qui m’inquiète le plus, c’est qu’à l’heure de la liberté d’expression, de l’Internet où absolument tout est à la disposition de tout le monde, il y a encore des mouvements nauséabonds comme « Promouvoir » qui sont en train d’essayer de museler le cinéma : ils font un scandale pour un bout de nichon ou pour une goutte de sang, ils infantilisent totalement le public.

 

C. : Selon toi, quels sont les plus grands cinéastes du genre ? Ceux dont tu attends les films avec impatience ?…
J.L. : Dans les jeunes il y a Jeremy Saulnier (Blue Ruin, Green Room) qui est très intéressant. Alex De la Iglesia reste un cinéaste absolument fascinant. Son nouveau film, My Great Night (Mi Gran Noche) sera d’ailleurs au programme cette année !…

 

C. : L’année dernière, vous receviez Joe Dante pour la première fois en 33 ans ! Y a-t-il un encore une grand nom du cinéma fantastique qui vous a échappé et que vous souhaitez inviter ?
J.L. : La plupart des grandes pointures du fantastique sont passées par le BIFFF. Maintenant je sais qu’à une époque, Freddy Bozzo harcelait pratiquement Steven Spielberg pour qu’il vienne au festival, il lui téléphonait sans cesse ! La légende veut que Spielberg ait répondu qu’il ne viendrait qu’à condition que l’équipe brûle Freddy sur la Grand Place !… Il y a également John Carpenter, qui ne se déplace pratiquement jamais. Mais pour les 30 ans du Festival, nous lui avions demandé de nous envoyer une petite vidéo pour nous souhaiter bon anniversaire et il l’a fait. C’était très sympathique. Peter Jackson est déjà venu, à l’époque lointaine où il parlait vaguement d’adapter Le Seigneur des Anneaux. Ce qui me rappelle une autre anecdote : Wes Craven, lors du festival, avait commencé à gribouiller une idée de scénario sur un bout de table, dans un restaurant ici en Belgique : c’était Le Sous-Sol de la Peur ! Sinon, je crois que si un jour Jeff Bridges pouvait venir au BIFFF, je pourrais mourir heureux ! C’est un de mes acteurs préférés, formidable notamment dans The Fisher King, le chef-d’œuvre de Terry Gilliam où il formait un beau duo avec Robin Williams…

 

C. : Un petit scoop pour l’édition 2016 ?
J.L. : L’actrice Bai Ling sera une de nos invitées de marque, elle fera partie du jury international !

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