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Joseph Coché - Libération Films

Publié le 05/02/2011 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Regarder des films à caractère social en séance publique, c'est bien, certes, mais il ne faudrait pas oublier de payer des droits d'auteur... Telle serait la devise du responsable de Libérations Films, Joseph Coché, qui tente de faire régner la loi en matière de piratage.
Libération Films est une asbl pluraliste dont l'objectif est de diffuser des films documentaires et de fiction de qualité qui suscitent la réflexion sur les grands problèmes de société. Mais leur activité ne s'arrête pas là : ils louent des films sociaux issus d'une riche vidéothèque dans les milieux associatifs et scolaires, distribuent, chaque année, quelques films en salle, et organisent une série de manifestations subsidiées.

Cinergie : Quelle est l'origine de Libération Films ?
Joseph Coché : L'asbl a vu le jour en 1982, mais elle existait déjà en 1980 en tant qu'association. À l’époque, la vidéo n'existait pas encore, et c'est le 16mm qui régnait dans les circuits scolaires et les ciné-clubs. Quelques distributeurs s'occupaient des films commerciaux alors que nous avions la spécificité de distribuer des films souvent inédits à caractère social venant d'Amérique du Sud ou d'Afrique. C’est à partir des années 1990, lorsque la vidéo a pris un réel essor, que la question de notre existence s'est posée : les ciné-clubs étaient moins sollicités, et les enseignants désertaient les salles de projection pour visionner les films en classe. L'infrastructure devenant de plus en plus accessible, la demande de location de films a chuté, et la loi sur les droits d'auteur n’était nullement respectée. Cette pratique s'est maintenue, puisque les distributeurs ne semblaient guère réagir face à la situation. En conséquence, beaucoup de ciné-clubs ont disparu : ceux qui en avaient les moyens se sont adaptés au 35mm. En outre, le nombre de chaînes de télévision a explosé à cette époque, le militantisme était en crise, et beaucoup d'associations non soutenues par les pouvoirs subsidiants ont disparu. C'était l'ère de la crise du spectateur alternatif.
Avec l'essor des nouveaux supports, les spectateurs pouvaient se procurer les films en k7 vidéo sans devoir payer de droits de diffusion publique. Tout cela sans réglementation de la part des pouvoirs publics : le piratage est né. On pouvait regarder les vidéos sans payer de droits uniquement dans le cercle familial, mais il en allait tout autrement lorsqu'il s'agissait d'un cercle plus large. C'est alors que Libération a commencé à acquérir les « Theatrical Rights », c'est-à-dire les droits d'utilisation publique sur certaines vidéos, et à les proposer à leurs anciens utilisateurs. Ceux qui ne payaient pas les droits pour une séance publique étaient bien évidemment sanctionnés. Nous avons distribué les catalogues de Cinéart, Cinélibre et de Progrès Films. Les montants étaient peu onéreux et avaient surtout une valeur symbolique : il s'agissait d'éduquer le spectateur en matière de droits d'auteur.

 

C : À l'heure actuelle, que doit faire une personne qui veut utiliser un DVD en séance publique ?
J.C. : Toute personne qui souhaite regarder un DVD doit prendre en compte le message qui apparaît directement sur le DVD, à savoir, qu'il est strictement réservé à être diffusé dans le cercle familial. Si ce n'est pas le cas, cette personne devrait idéalement se demander quels sont les droits qu'elle doit acquitter et à qui ? Ces informations sont fournies soit sur la pochette du DVD sur laquelle figure l'éditeur ou le distributeur du film qui renseigne alors Libération Films, soit par les pouvoirs publics si elle demande l'autorisation pour organiser une manifestation publique autour d'un film, soit par la SABAM qui donne actuellement les informations nécessaires.

 

C : Concrètement, combien louez-vous de films par an ?
J.C. : Actuellement, on est à un millier de sorties par an du côté francophone, le côté néerlandophone étant pris en charge par nos collègues de Bevrijdingsfilms.

 

C : Comment s'agence votre catalogue ?
J. C. : Nous disposons actuellement de plus de 400 titres qui couvrent de nombreux sujets dont des films de pays tiers (Afrique, Amérique du Sud), mais aussi des documentaires et des fictions qui abordent les problèmes sociaux en Europe et dans les pays dits avancés. C'est le milieu associatif qui utilise et fait abondamment circuler les films. Une autre facette de notre travail, est de conseiller les gens lorsqu'ils cherchent une projection qui se rapporte à telle ou telle thématique.
Nous faisons peu de vente, juste pour répondre à la demande des privés, des enseignants et des institutions.

 

C : Vous louez des films, mais vous en distribuez également ?
J. C. : Oui, nous continuons notre petite distribution propre, donc nous sortons quelques titres par an sur support 35 mm ou sur support numérique que nous faisons généralement circuler dans les salles du réseau Diagonale (réseau de salles d’art et d’essai) puisque ce sont surtout des films pointus. Afin de respecter notre statut d’asbl, je veille à ne jamais entrer en concurrence avec les distributeurs commerciaux. Même si la production cinématographique actuelle est très abondante, seule une toute petite partie de la production mondiale se retrouve sur nos écrans. Donc, dans la grosse masse de ce qui n’est pas distribué, il y a toujours quelques titres par an que nous récupérons parce que nous estimons que ce serait intéressant qu’ils soient distribués en Belgique. À côté de cette distribution, nous gérons également les titres d’une vingtaine de distributeurs qui ont signé avec nous et qui nous ont confié la circulation de leurs DVD pour une utilisation publique.

 

C : Donc, vous êtes distributeurs de films, de DVD, mais quelles sont vos autres activités ?
J. C. :A côté de la gestion des droits, l’asbl offre également un service de location de matériel de diffusion audiovisuelle et des prestations techniques dans toute la Belgique pour des tiers et des festivals « amis » qui font appel à nos compétences au niveau organisationnel (comme le festival de cinéma d’ATTAC).

Nous sommes aussi organisateurs d’une série de projets subsidiés par les pouvoirs publics. Parmi ces derniers, le plus connu sur Bruxelles, c’est « Bruxelles fait son cinéma », séances de plein air gratuites l’été. L’origine du projet a été discutée au sein du festival méditerranéen auquel nous collaborons depuis des années. Depuis onze ans, nous travaillons sur des communes bruxelloises dans lesquelles il n’y a plus de salles de cinéma active, et nous installons, pour un soir, de manière itinérante, un écran et une camionnette de projection. Nous proposons des films de caractère méditerranéen accessibles à tous. Aujourd’hui, cette manifestation connaît un vif succès dans une ambiance chaleureuse et conviviale comme on aime les créer.

 

C : Et à part « Bruxelles fait son cinéma » ?
J. C. : Nous organisons depuis des années, de manière moins apparente, le ciné-club « Ages et Images », projet soutenu par l’éducation permanente de la Cocof. Lors de cette manifestation, une classe d’élèves et des personnes âgées, venues d’un home ou d’une association, se rencontrent autour d’un film choisi en fonction de l’âge des spectateurs. Nous alternons les films plus anciens de l’histoire du cinéma à faire découvrir aux jeunes et des films plus récents à faire découvrir aux personnes âgées qui se rendent rarement au cinéma. Ces films contiennent une thématique qui permet de discuter sur aujourd’hui et hier afin de nouer un dialogue entre ces personnes. Montrer un film en noir et blanc à des jeunes aujourd’hui, c’est plus qu’utile, car ils ne savent presque plus que ça existait. Faire vivre ces films à travers les témoignages des personnes âgées qui les ont vus étant jeunes, c’est très riche au niveau des émotions et pour l’échange qui s’ensuit. Ce projet a également un rôle interculturel, puisque nous travaillons souvent dans des communes populaires dans lesquelles les personnes âgées ont souvent des a priori sur les jeunes d’origine immigrée. On espère ainsi créer plus de tolérance dans ces rapports de quartier et dans ces rapports humains qui restent une de nos priorités.

Pour plus d’informations : http://www.liberationfilms.be/

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