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L’amante du Rif

Publié le 09/11/2011 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Alice aux pays des hommes


Quel étrange film que cet Amante du Rif, que nous avons croisé lors du Festival du Film de Namur où il était en compétition officielle. Produit (entre autres) par le belge Tarantula, ce long métrage de fiction est le second de la réalisatrice marocaine Narjiss Nejjar, qui s’était beaucoup faite remarquer avec Les yeux secs, sélectionné en 2003 à la Quinzaine des Réalisateurs. Affaire de femmes déjà, son premier film était produit par la romancière Noufissa Sbaï dont le roman, L’Amante du Rif, est adapté ici plutôt librement pour l’écran. Histoire de femmes encore et enfin, car c’est bien d’elles dont il s’agit à nouveau, à travers Aya, et bien d’autres, de leurs luttes, de leurs beautés, de leurs fiertés dans un monde régi par la loi d’un masculin violent et mafieux.

photo du film l'Amante du RifSi L’Amante du Rif nous semble étrange, c’est que tout nous porterait à le trouver maladroit, lourd et caricatural, et que, pourtant, quelque chose d’autre le travaille du début à la fin et le sauve du navet mélodramatique humaniste dans lequel il se vautre pourtant littéralement. Sans vouloir absolument tout dévoiler de son scénario, L’amante du Rif met Aya, jeune femme belle et insoumise, à l’épreuve de ses plus beaux rêves d’amour et de ses plus violentes velléités d’émancipations. Et tout s’acharne contre elle. Sous la forme du mélodrame grossier, le film brasse allégrement toute une série de propos attendus autour de la violence que subissent les femmes, des frères omnipotents aux amants violeurs, de l’absence des pères aux sacrifices des mères, de l’argent sale à la fierté du dénuement, etc., etc. L’image léchée et saturée du film donne du Maroc, jusqu’à ses prisons, l’illusion de joie radiante, un monde outrageusement bariolé, lisse et propre. L’insouciance des jeunes filles marocaines qui aspirent à plus de liberté, rêvent d’amour et font la nique aux ombres entièrement voilées de noir peut-elle vraiment se résumer à ces sortes de sautillements virevoltants et de multiplications de pouffements que le film s’acharne à capter pour décrire l’innocence d’Aya au début du film ? Situations et personnages frisent ainsi souvent la caricature, à commencer par l’amoureux, taciturne et menaçant à souhait, la (mauvaise) copine, ou encore ces femmes qu’Aya finit par rejoindre en prison, galerie de beautés plus superbes les unes que les autres, fortes, protectrices, drôles, unies toutes ensemble contre l’adversité (soit l’homme).

Mais malgré tout cela, quelque chose de violemment sauvage et insoumis irrigue et illumine profondément L’amante du Rif. D’une part, le film est servi par de très beaux comédiens, particulièrement la mère d’Aya, sublime Nadia Niazi, que sa beauté silencieuse et digne drape d’une stature tragique digne de Sophocle. Ensuite, le parti pris de stylisation du film, qu’il s’agisse de cette esthétisation constante des lieux, des corps et des textures ou de la mise en scène qui alterne une majestueuse fluidité avec des face-à-face tendus, mène le film en dehors des chemins rebattus que son histoire lui fait prendre. Même les personnages ou les situations si peu crédibles finissent par être contaminés par cet esprit de sérieux qui parcourt tout le film, et acquièrent une réelle puissance symbolique. Lentement, L’amante du Rif se transforme tout entier en spectacle, jusqu’aux scénographies des femmes en prison qui prennent des allures de films chantés. Lentement, le film évolue de la chronique sociale et réaliste vers le contre cruel, la parabole hallucinée, se défiant toujours un peu plus lui-même, et tenant la dragée haute à qui voulait l’enceindre, porté lui-même tout entier, haut et fier, par cette essence du tragique qui habite son histoire et ses personnages. Comme s’il savait d’avance qu'il était lui aussi voué aux quolibets, mais qu’importe, il fallait aller jusqu’au bout. Rien que pour cela, il force le respect.

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