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La Antena d’Esteban Sapir - BIFFF 2008

Publié le 01/05/2008 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Compétition 7ème parallèle

la antena Au BIFFF, le 7ème parallèle, c’est le rendez-vous des cinéphiles. Née de la collaboration entre le Festival du film fantastique et le Nova, la section accueille des films plus pointus, à la limite de l’expérimental. Bref, un autre regard sur le cinéma fantastique et de science-fiction dans lequel l’imaginaire retrouve pleinement sa place comme vecteur de la démarche de cinéastes qui y expriment, de façon plus ou moins décalée, leur vision du monde et des hommes. Une bouffée d’air frais qui manquait aux véritables amateurs, dès lors que la place dans la grande salle était chaque année davantage occupée par des films de plus grande consommation. 

Rapatriée cette année dans l’espace de Tours et Taxis, où une deuxième salle plus petite avait été érigée pour l’occasion, la compétition se cherche un nouveau souffle. C’est du moins l’impression que nous a laissée une sélection assez morne et sans véritable cohérence, d’où a heureusement émergé une petite perle, logiquement distinguée par le jury. La Antena (en anglais The Aerial, en français Télépolis), deuxième long-métrage d’Esteban Sapir, est un très beau témoin de la vitalité du jeune cinéma argentin. À  travers cette fable onirique et un peu enfantine, contée sur le mode du « Il était une fois …», c’est une critique acerbe de l’asservissement des esprits par la télévision en même temps qu’un formidable hommage au pouvoir du cinéma qu’on nous propose. Pour nous raconter sa belle histoire, Sapir n’hésite pas à emprunter les formes un peu désuètes des chefs-d’œuvre du cinéma muet : les expressionnistes allemands bien sûr, mais aussi Feuillade, voire Harold Lloyd. Rien de nostalgique pourtant dans cette métaphore très contemporaine de nos sociétés surmédiatisées dans lesquelles, selon un vieux slogan libertaire qui garde toute son acuité, c’est moins le bruit des bottes qu’il nous faut craindre que le silence des pantoufles. Au contraire, le portrait qu’il nous brosse de Mr Télé, le maître de la ville sans voix où télévision et consommation règnent en maîtres, la main dans la main, sur des foules anonymes et décérébrées, n’est vraiment pas loin de la réalité d’un certain Silvio B. que l’actualité nous remet, une fois de plus, sinistrement dans les pattes. Et ce n’est pas gratuitement que le réalisateur emprunte les ressorts du cinéma muet pour nous conter l’histoire de ces « sans voix » luttant désespérément pour sauvegarder leurs dernières parcelles de liberté.   

Ce qui pourrait n’être qu’un exercice de style un peu ampoulé pour une fable simpliste fonctionne en réalité grâce à la magie d’une réalisation empreinte d’une grande rigueur, qui met en valeur une vraie poésie, servie par des personnages on ne peut plus attachants. Et le manque de moyens, encore renforcé par le choix délibéré de ne recourir à aucun artifice digital, oblige le réalisateur à une ingéniosité de tous les instants, présente dans chaque plan. Une audace portée par une foi inaltérable qui confère à La Antena un charme et une fraîcheur roborative qui n’est pas sans évoquer un ancien corbeau d’or du BIFFF, bien injustement oublié : Akumulator 1 du tchèque Jan Sverak. Souhaitons une carrière un peu plus significative à ce prix du 7ème parallèle pleinement mérité.

 

Argentine 2007, Beta Digit, fiction, N/B, 93’. Scénario et réalisation Esteban Sapir. Image : Cristian Cottet. Montage Pablo Barbieri Carrera. Musique : Leo Sujavitch. Int. : Alejandro Urdapilleta, Valeria Bertucelli, Rafael Ferro, Julieta Cardinal, Raul Hochman, Ricardo Merkin, Gustavo Pastorini,… Produit par Gonzalo Agula et José Arnal pour La Doblea Productores.