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La Belge histoire du festival de Cannes d’Henri de Gerlache

Publié le 22/05/2017 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Avec la Palme d’Or pour dernier terrain vague… 

« Le cinéma belge est riche de son absence d’identité. Pas de système ou d’industrie mais le souvenir heureux d’artistes libres »… Voilà la conclusion, optimiste et gentiment naïve, à laquelle arrive Henri de Gerlache dans son joli documentaire relatant la joyeuse et bordélique histoire du cinéma belge au Festival de Cannes depuis 70 ans. Entre images d’archives et road movie (le film suit un camping-car en route pour Cannes et ses étapes aux domiciles des personnalités interviewées), le réalisateur établit un dialogue entre nos cinéastes d’hier et d’aujourd’hui pour dresser le portrait d’un cinéma hétéroclite, allant d’Henri Storck à Felix Van Groeningen. Malgré une durée beaucoup trop réduite - qui contraint parfois le réalisateur à une simple énumération de titres – La Belge Histoire… raconte une poignée de destins artistiques et humains se jouant en stoemmelings ou en grande pompe sur la Côte d’Azur, à côté de laquelle notre Mer du Nord fait bel et bien office de dernier terrain vague… Et dire que le Festival de Cannes a failli se dérouler… à Ostende !

La Belge histoire du festival de Cannes d’Henri de Gerlache

Les Belges à Cannes, c’est plus de 120 films présentés depuis 1946 ! Parmi les titres cités, trois Palmes d’Or : le court-métrage animé Harpya (1979) de Raoul Servais, Rosetta (Palme 99) et L’Enfant (Palme 2005) des incontournables Frères Dardenne, dont tous les films depuis La Promesse en 1996 ont été présentés en compétition officielle. À notre palmarès également, cinq prix d’interprétation (Pascal Duquenne pour Le Huitième Jour, Natacha Régnier pour La Vie Rêvée des Anges, Emilie Dequenne pour Rosetta, Séverine Caneele pour L’Humanité, Olivier Gourmet pour Le Fils) et quelques gros triomphes critiques et publics (de Toto le Héros au Tout Nouveau Testament en passant par le mordant C’est arrivé près de chez vous) qui ont, chacun à leur tour, enthousiasmé la Croisette. Des œuvres ayant contribué à donner des Belges une image d’iconoclastes décontractés, gentiment décalés (et régulièrement saouls), se moquant du qu’en dira-t-on et dont la vision du monde s’avère tantôt austère et désespérée (André Delvaux, les Dardenne), tantôt punk et provoc’ (le trio Belvaux / Bonzel / Poelvoorde), souvent poétique (Jaco Van Dormael), hilarante (aaah, l’adorable papy du Signaleur !) ou vulgaire (Noël Godin qui baisse son pantalon sur les marches, les cyclistes à poil de La Merditude des Choses) mais toujours originale.
Parmi les films ayant pris le Thalys, citons encore Le Banquet des Fraudeurs (1952, Henri Storck), Des Hommes comme les autres (1954, Henri Fabiani et Raymond Vogel), Les Mouettes meurent au port (1955, Rik Kuypers, Ivo Michiels et Roland Verhavert), Si le vent te fait peur (1960, Emile Degelin), Malpertuis (1972, Harry Kümel), Belle (1973, André Delvaux), Le Far-West (1973, Jacques Brel), La Cage aux ours (1974, Marian Handwerker) qui provoqua le scandale à cause de sa thématique incestueuse, Het Sacrament (1990, Hugo Claus), Between the Devil and the Deep Blue Sea (1995, Marion Hänsel), Le Signaleur et Les Convoyeurs attendent (1997 et 1999, de Benoît Mariage) et Eldorado (2008, Bouli Lanners) …

Les intervenants témoignent du rôle déterminant que la manifestation a eu sur le reste de leurs carrières et le binamé Thierry Frémaux, délégué général du festival, nous passe la pommade. C’est l’occasion de revoir des images d’archives émouvantes, mettant en scène des lauréats encore tout pafs d’être arrivés de ce plat pays qui est le leur pour, avant même d’avoir eu le temps de dire « potferdek », monter sur la scène du Grand Palais et recevoir un prix alors que le monde entier les regarde. On se remémore l’immense sourire et le regard émerveillé d’un tout jeune Jaco Van Dormael, prix de la Caméra d’Or en 1991 pour Toto le Héros ou des larmes de joie de la magnifique Emilie Dequenne tentant tant bien que mal de reprendre son souffle lorsqu’elle reçoit son trophée des mains de Johnny Hallyday. La standing ovation réservée à Daniel Auteuil et Pascal Duquenne, « un acteur à part entière » est un moment de pure joie… Des images précieuses également empreintes de mélancolie (on y voit le regretté Rémy Belvaux, heureux et hilare, à l’aube de la grande carrière qu’il ne fera jamais) et d’une tension terrible. Car comme l’explique ce bon Jaco : « Quand tu es sélectionné à Cannes, le reste de ta vie se joue en 12 heures ». Pour un Jaco, un Poelvoorde ou un Dardenne couverts de gloire et de lauriers, beaucoup de « one-hit wonders » ne visiteront Cannes qu’une seule fois et n’en reviendront qu’avec des riquettes comme des mandaïes !
On s’amuse donc beaucoup devant cette sympathique évocation de bons souvenirs mais on peut regretter l’absence d’un véritable point de vue sur notre cinéma dit « sans identité », qui, de Bruxelles, de Flandre ou de Wallonie, reste l’affaire d’une poignée de « bricoleurs inventifs », « un ramassis informe d’esprits poétiques gentiment dérangés, burlesques ou engagés » que l’on peine pourtant toujours à définir au-delà de ces formules passe-partout recopiées du dossier de presse, malgré (ou à cause de) sa diversité.

On remerciera Henri de Gerlache qui, par la grâce de quelques images d’archives inoubliables, voyageant dans l’espace et dans le temps, revisitant des mythes, des rêves, des déceptions et des triomphes, nous propose quelques grands moments d’émotion et nous donne sacrément envie de découvrir (ou redécouvrir) les œuvres évoquées, dont les qualités ne sont pas à remettre en cause.

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