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La Cantante de tango de Diego Martinez Vignatti

Publié le 04/04/2008 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Quand le tango vous fait chanter

Souvent, je me demande quels sont les composants de la poudre de Perlimpinpin qui font que 30 à 50 personnes se concentrent, écoutent attentivement, notent, agissent, bref, travaillent consciencieusement sans compter leurs heures, ne laissant rien au hasard, dans une atmosphère où le plaisir du travail bien fait est palpable.
Samedi dernier, en franchissant les portes du Centre Culturel de Schaerbeek, et en découvrant la grande salle d'accueil, fraîchement repeinte de rouge vermeil et de noir mat, un cercle de rails délimitant l'espace, des HMI diffusant une lumière tamisée, des éclairagistes ajustant la couleur de la lumière dans des gélatines orangées, le preneur de son et l'assistant vérifiant les micros, les diffuseurs de musique, les câbles, le chef op' vérifiant la caméra, le cadreur marquant ses repères..., tout ce grouillement autour du réalisateur, pour quelques centimètres de pellicules sauvés des rushs, m'a laissée sans voix. J'ai ressenti, moi aussi, cette grâce qui vous enveloppe, qui accélère la respiration, qui fait résonner les battements du cœur dans les tympans et fait tressaillir le derme sous le tissu. J'ai compris en voyant Diego Martinez Vignatti et son équipe mettre la dernière main à la préparation du plateau sur lequel allait se tourner la scène de milonga, que lorsqu'on a goûté à cette saveur, on est prêt à tout pour la sentir à nouveau couler dans son sang ! Si la couleur du fluide d'un plateau de cinéma détermine le film qui en résultera, nous pouvons affirmer sans nous tromper que La Chanteuse de tango de Diego Martinez Vignatti avec Eugenia Ramirez Miori dans le rôle principal sera une réalisation tendre, chaleureuse et mélancolique comme un air de Carlos Gardel. 

 

Cinergie : Ton parcours cinématographique mélange les genres et les formats. Avais-tu le désir d’arriver à la fiction dès le départ ? 
Diego Martinez Vignatti : C’est vrai qu’il y a une sorte de logique dans ce parcours. Mon premier court métrage, réalisé à l’école, Tango nocturne, avait mis cet art en position centrale. Le tango est une chose qui me fascine et qui fait partie de ma culture. J’ai ensuite tourné un film documentaire sur des danseurs de tango de Buenos Aires. Ensuite, j’ai commencé ce projet de fiction qui, au départ, s’appelait Helena.

C. : Pourquoi ce changement de titre ?
D. M. V. : Pendant le tournage, j’ai réalisé que le chant a une place énorme dans ce film, c’est pour cela que je l’ai intitulé la Chanteuse de tango. C’est un film qui parle de l’âme d’une femme, mais c’est aussi un film sur la musique.
Ce qui m’intéresse dans le cinéma, c’est ce qui ne se voit pas. Ce que je veux montrer, c’est l’intérieur de cette femme, son évolution tout au long de son histoire. Dans la première partie du film, elle est enfermée sur elle-même et, au fur et à mesure, elle s’ouvre, elle commence à communiquer, elle sort de cette espèce d’autisme dans lequel elle vivait. Forcément, ma mise en scène s'adapte à ces changements du personnage.
La part de l'inconscient est très présente dans mon travail. Je m’oblige, pendant que je tourne, à être le moins rationnel possible. Je n'ai pas d’impératif formel, je fais confiance à une logique interne, à la cohérence. Je fais attention à ce que je ressens moi-même, à mes envies. Je ne filmerai jamais des story-boards comme je ne filmerai jamais des scénarios.

C. : Cette Chanteuse de tango est comme un creuset où se rejoignent tes deux premiers films; le documentaire sur le tango, Nosotros, et "la douleur humaine mise sur pellicule" dans la Marea.
D. M. V. : J’ai quitté le documentaire pour passer à la fiction car les limites formelles du documentaire me restreignaient dans mon expression, mais mon regard reste inchangé. Il est vrai que j'ai une démarche proche du documentariste dans le sens où je me laisse guider par mon sujet, quitte à devoir réécrire complètement une séquence si j'en ressens le besoin devant une situation imprévue. Mais j'ai une démarche esthétisante : avant tout, j’aime que les images soient belles et que le cadre soit net. 
Quand le moment de tourner arrive, j'oublie le scénario. Il m'a aidé à concevoir mon film, mais dès que le plateau se construit et la caméra tourne, je me laisse imprégner par mon regard.

C. : Serais-tu emporté par ton regard sur ton compagne? En d'autres mots, te serait-il envisageable de réaliser un film sans elle? 
D. M. V. : Actuellement, imaginer faire un film sans elle, serait une déclaration de divorce ! Si je fais des films, c'est pour mieux la connaître, pour connaître sa propre complexité. La chose qui m’intéresse le plus, c'est la complexité féminine, comme Antonioni. Je me sens très proche de lui dans sa démarche, j'essaye comme lui de comprendre la femme et sa relation avec le monde. La question de savoir si je pourrais faire un jour des films sans Eugenia ne se pose pas.
C’est une comédienne formidable, c’est une travailleuse, elle se prépare depuis plus d’un an pour ce rôle. E puis, c’est un véritable partenaire, elle porte le projet avec moi.
Dans ce genre de films, la plupart des chanteurs se doublent eux-mêmes, mais je voulais des prises en son direct pour récolter pleinement l'émotion du plateau. Les premiers rushes me donnent raison.Je ne suis pas quelqu’un qui suit la mode, je me sens plus un cinéaste des années 70, mais cela ne me pose aucun problème. Mon producteur, Joseph Rouschop et moi avons eux beaucoup de mal à monter financièrement ce film. Comment faire accepter qu'il n'y ait pas de sexe dans un film d'amour !
Je me prépare à être encore plus coriace et résister encore plus car des films comme celui-ci vont être de plus en plus difficiles à mettre sur pied. Il a fallu que quatre pays participent (Belgique, Hollande, Argentine et la France) pour qu’on obtienne les fonds nécéssaires à la réalisation.
Mon producteur croit dur comme fer au film et moi également, nous sommes donc dans le même bateau et c’est ce qui est formidable.

C. : Entre « La Marea » et maintenant, peu de temps s’est écoulé, que s’est-il passé ? 
D. M. V. : Ce projet était mort. On n’arrivait pas à réunir suffisamment de fonds pour le tourner. Entre temps, j’ai réalisé La Marea qui a eu un certain succès auprès des critiques. Après avoir été sélectionné en compétition à Rotterdam tout s’est très vite débloqué. En moins de trois mois, on a trouvé l’argent pour compléter le financement et on a commencé à tourner la Chanteuse de tangoLa Marea a, en quelque sorte, ressuscité ce projet. Sans ce film, on n’en serait pas là aujourd’hui.

C. : Est-ce par obligation de coproduction que vous avez choisi trois endroits différents pour le tournage ?
D. M. V. : Au départ, avant même de savoir qu’on avait le financement pour produire le film, je voulais tourner dans le Nord-Pas de Calais. Les trois jours de tournage à Rotterdam, c’était pour une histoire de coproduction et vu qu’on y trouve le plus gros port du monde, ça tombait bien pour notre séquence avec le bateau.
 J’ai choisi de tourner au Centre Culturel de Schaerbeek, ici à Bruxelles, car c’est un endroit que j’adore. J’y ai passé des moments très heureux avec ma femme et ma fille. Pour la production, c’est vrai que ça aurait été plus simple de tourner en France, mais on n’aurait jamais eu l’ambiance de vrais bals comme moi je les connais et qu’on aura tout à l’heure sur le plateau.

Eugenia Ramirez Miori, l’égérie de Diego

C. : Etais-tu comédienne avant de connaître Diego ?
Eugenia Ramirez Miori : Oui, j’ai fait le conservatoire pendant cinq ans, en Argentine. J’ai beaucoup joué pour le théâtre, j'ai tourné aussi dans quelques courts métrages et dans un long métrage iranien. 
Quand je suis arrivé ici, en Belgique, j’ai arrêté le jeu, pendant cinq ans, le temps que Diego commence la réalisation. 
 
C. : Participes-tu à l’écriture des films ?
E. R. M. : Les films appartiennent entièrement à Diego, mais je suis sa première lectrice et il me demande mon avis. Pendant le tournage, nous discutons souvent avec Diego et s’il le faut, il réécrit le story-board.
 
C. : Peut-on dire que La Chanteuse de tango  est ton histoire ? 
E. R. M. : Oui, je me retrouve beaucoup dans ce personnage, pas dans les péripéties qu’elle vit, mais dans ses états d’âme.
 
C. : D’où est venu cet amour pour le tango ?
E. R. M. : Dans ma famille, on n’écoutait pas de tango, et il était un peu mort à Buenos Aires. C’est au conservatoire d’art dramatique que je l’ai découvert. J’ai tout de suite accroché et j’ai tout fait pour l’apprendre. Le tango est devenu ma passion.
Ensuite, j’ai arrêté le tango pendant plusieurs années pour m’adonner à ma carrière de comédienne. En arrivant à Bruxelles, étant dans l’impossibilité de la continuer à cause de ma mauvaise connaissance du français, je me suis redirigée vers le tango, en l’enseignant. C’est grâce à lui que je m’en suis sortie !La scène du bal que nous allons tourner ce week-end est lourde de sens et d’émotion pour moi car c’est dans cette salle que je donne mes cours. D’ailleurs, la plupart des danseurs figurants sont mes élèves.
 
C. : Peut-on dire que le tango est devenu une mode ?
E. R. M. : Cette danse n’était plus d’actualité en Argentine, elle est redevenue à la mode. Le tango s’exporte très bien, mais il s’agit souvent d’un tango plus moderne.J’enseigne un tango plus classique, je suis plus traditionaliste dans le mouvement. J’essaye de montrer comment cette danse a été créée, quel est son but. C’est une danse populaire qui n’a pas du tout été créée pour le spectacle, qui est née d’une culture et j’essaye de faire passer tout cela.

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