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La Régate de Bernard Bellefroid

Publié le 04/11/2008 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage
Sylvie van Ruymbeke de chez Artémis Productions, nous invite à nous rendre sur le plateau de Bernard Bellefroid. Bernard, nous le connaissons par documentaire sur les dialogues entre génocidaires et parents des victimes, Rwanda, les collines parlent. Etonnés qu'il passe à la fiction, nous sommes partant pour nous rendre sur le plateau de son long, surtout quand elle nous apprend que Sergi Lopez s'y trouve. (Quand on est argument de marketing, on doit assumer!). Nous nous retrouvons à Wépion, au bord de la Meuse, dans un quartier résidentiel, de villégiature presque, aux villas avec jardinets soignés. Sergi Lopez nous accueille, décontracté, souriant, en hôte qui reçoit. Avant sa prise, il se soumet volontiers à nos questions.
La Régate de Bernard Bellefroid

Cinergie : Comment se fait-il qu'un comédien connu et reconnu comme toi joue dans un premier long métrage ? Non pas que l'on puisse avoir des doutes sur la qualité du réalisateur, mais quand on a une certaine renommée en tant que comédien, je suppose que l'on peut se permettre de choisir le film dans lequel on va jouer.
Sergi Lopez : En fait, cela s'est passé, comme il serait souhaitable que cela se passe toujours. Je ne connaissais pas Bernard, mais je connaissais Patrick Quinet d'Artémis qui m'a envoyé le scénario. Je l'ai lu, j'ai été bouleversé par l'histoire et j'ai accepté d'y jouer. Tout simplement. Je mise beaucoup sur l'intuition de la première lecture d'un scénario pour déterminer mon choix. Cela ne me dérange pas que cela soit un premier ou un second film, au contraire même. J''aime beaucoup l'énergie et le désir que renferment les premières œuvres. Même si, dans une jeune équipe, je me sens comme un extra-terrestre. Avant, j'étais parmi les plus jeunes, maintenant, ils sont tous plus jeunes que moi, mais c’est facile de s'y intégrer car ils ont une forte envie de travailler. Les acteurs en général sont privilégiés sur un plateau, mais moi encore plus. Je me sens très aimé, entouré, gâté même. Ils me connaissent tous comme acteur, je me sens un peu comme Nathalie Baye, mais en plus moche ! 

 

C : Tu joues un personnage gentil et aimable, qui apporte du réconfort et de la compréhension à un jeune qui vit des moments pénibles avec son père. C'est un personnage que tu avais envie de jouer pour te réconcilier avec toi-même et l'image que tu donnes de toi, après les rôles de criminel et de fasciste dans lesquels on t'a vu dernièrement ?
S. L. : On n'est pas obligé de tout partager avec le personnage que l'on joue. Heureusement, sinon on deviendrait fou ! J'aime bien jouer, quel que soit le personnage, car il s'agit toujours de jeu et cela n'intervient pas sur mon caractère. C'est vrai qu'après avoir eu ces rôles de « méchants », cela me rassure de jouer à nouveau un rôle de gentil.
Je ne choisis pas de jouer dans un film en fonction de mon personnage, mais en fonction de l’histoire. Il faut qu’elle vaille la peine d'être racontée. La Régate est l'histoire d'Alexandre, un jeune de 17 ans qui fait de l'aviron, et qui vit avec son père une histoire très dure, violente et sombre. Il y a deux univers, un univers, obscur et un univers plus ouvert, où il y a des jeunes, de l'eau, du sport. Mon personnage est du côté de la lumière. Je joue l'entraîneur d'aviron, je suis comme un deuxième père qui apporte de l'espoir, la force de croire pour avancer. Mais, comme cela se passe souvent dans la réalité, mon personnage n'est pas conscient de ce qu'Alexandre vit chez lui. Il lui apporte du réconfort malgré lui.

 

C. : Qu'est-ce qui, dans le scénario, t'a donné envie d'y jouer ?
S. L. : En lisant cette histoire, il était évident que celui qui l'avait écrite savait de quoi il parlait !  J'ai été ému par cette douleur palpable. Je ne suis que comédien, je ne suis pas homme politique, mais j'ai l’illusion de contribuer à changer le monde. J'estime que nous n'avons pas le droit d'accepter la violence qu'on fait aux enfants ou aux jeunes, qu'elle soit physique ou psychologique.

 

C. : Tu es revenu travailler en Belgique, chez Artémis, pour retrouver une équipe que tu connaissais et que tu aimais bien?
S. L. : Le souvenir que j'ai de la Belgique après Une Liaison pornographique est tel, que je suis revenu dès que j'en ai eu l'occasion. La Catalogne et la Belgique sont liées. Tous deux sont des petits pays qui vivent à l'ombre d'une grosse nation. C'est peut-être pour cela que je m'entends bien avec les Belges !

 

C. : Indépendantiste Catalan, alors ?
S. L. : Oui, mais je trouve que le monde des indépendantistes est trop radical. Je suis logiquement pro-Catalan et donc pour son indépendance, mais sans être radical.

 

C. : Mais tu n'as pas joué dans des films indépendantistes catalans, que du contraire, tu as joué le rôle d'un militaire franquiste.
S.L. : Parce que, encore une fois, je ne joue pas dans un film pour des raisons politiques. Je ne veux pas faire un film pour défendre une cause si le film est mal écrit. Moi, mon rôle, c'est de jouer. Cela ne me dérange pas de jouer une ordure, un fasciste, pourvu que le sens du film défende le contraire. Ce qui me dérangerait, c'est de jouer le rôle d'un mec bien, sympa, mais dans un film qui défend une idéologie fascisante car trop refermée sur elle-même ! 
J'aime m'engager dans un film engagé!
Après cette rencontre chaleureuse, nous profitons d’un changement de décor pour rencontrer Joffrey Verbruggen, le jeune premier, dans le rôle d’Alexandre, l’adolescent malmené, et Thierry Hancisse dans le rôle du père.

 

Cinergie : Malgré ton jeune âge, ta valeur viendrait-elle d’une formation de comédien ?
Joffrey Verbruggen : Je viens de terminer mes humanités artistiques en théâtre, à l’Athénée Charles Janssens de Bruxelles. J’ai joué dans un court métrage, j’ai fait pas mal de publicité, j’ai chanté dans une comédie musicale, j’ai fait du café-théâtre, du one man show, j’ai tourné dans des caméras cachées, etc. J’adore ça. J’ai eu des rôles tout à fait différents de ce que je suis en train de faire dans ce film. Je suis passé de l’impro et du délire où je me suis éclaté à fond à un personnage dans la douleur, un réel drame ! Mais ça me plaît. J’aime bien pouvoir jouer des rôles si différents !

 

C. : Parle-nous de ton personnage dans La Régate.
J. V. : C’est l’histoire d’un jeune qui vit dans la souffrance, qui est battu. C’est un solitaire qui s’est blindé, qui ne veut pas montrer sa souffrance. Son échappatoire à lui c’est l’aviron, le sport. De sa souffrance, il tire une force. Alexandre préfère fuir dans le sport de compétition.

 

C. : Etant donné ton âge et le fait que tu ne sois pas encore connu dans le milieu, tu as accepté une opportunité qui t’était donnée.
J. V. : Oui, mais j’ai été emballé par le scénario, parce que même si je dois prendre ce qui se présente, je préfère quand même adhérer à l’histoire dans laquelle je vais m’impliquer.
Même si je m’imaginais plutôt commencer ma carrière par une comédie, j’ai été très heureux de devoir composer un personnage qui est à l’opposé de moi. C’était une réelle jouissance pour moi !

 

C. Comment, en tant que comédien, t’es-tu préparé à jouer ce personnage ?
J. V. : Il y a eu une double préparation. D’une part, j’ai beaucoup discuté avec Bernard Bellefroid, le réalisateur, car c’est son histoire qu’il raconte. Je me suis beaucoup inspiré de ce qu’il me disait pour construire mon personnage. J’ai lu quelques livres et regardé des documentaires sur les enfants battus.
D’autre part, il y a eu la préparation sportive, pour être crédible en tant que rameur. Ce n’est pas un sport facile car il exige d’intégrer des gestes contradictoires; il faut être à la fois tendu dans les bras et détendu dans les épaules. Pour suivre la cadence, tous les muscles travaillent ; les bras mais aussi les jambes. Et quand on rame à deux, c’est encore plus difficile, car il faut prendre le rythme de l’autre. Avec l’autre comédien, on a  vraiment dû «entrer en religion». Pendant deux mois, j’ai fait attention à ce que je mangeais, je me suis entraîné physiquement.
À l’opposé, Thierry Hancisse est comédien, Belge, sociétaire de la Comédie française. Dans le cinéma, il a principalement eu des seconds rôles. Dans la Régate, il déploie enfin ses talents d’acteur de cinéma et ce n’est qu’un début. Après ce tournage, il enchaîne avec une réalisation sur le jazz et son monde incertain. Ses traits de baroudeur lui attirent les rôles d’homme marqué par la vie, jonglant sur la frontière du rationnel. 


Thierry Hancisse : Je connais personnellement Bernard Bellefroid. Je suis son parrain de baptême et j’ai suivi de loin son histoire, son évolution. J’ai été très heureux de suivre sa carrière dans le cinéma.
Pour ce film, il m’a fait lire les différentes versions du scénario. Il aimait bien en parler avec moi et moi avec lui. J’ai pleinement confiance en lui. C’est un garçon très intelligent, plein de sensibilité, très exigeant dans son travail, qui sait ce qu’il veut. Cela ne l’empêche pas d’être ouvert à la discussion. Nous vivons un formidable moment d’entente et de collaboration.

 

C. : Est-ce la confiance qu’il a en vous qui lui a permis de vous demander de jouer le personnage de son père ?
T. H. : Il est vrai que c’est un personnage très ambigu, très complexe. Sans essayer de sauver le père, c’est un personnage qui a des tentatives d’amour, mais qui n’a plus de repères sociaux et qui se retrouve dans l’incapacité d’aimer. Le père et le fils sont dans l’incapacité de donner de l’amour ou d’en recevoir. Ce sont deux personnages qui pourraient être fusionnels, mais qui s’écartent de plus en plus. Cette incommunication crée de la violence, encore plus dérangeante que la violence quotidienne. C’est une violence surprenante car elle arrive alors qu’elle ne devrait pas arriver.

 

C. : Ça fait quoi de jouer le personnage du méchant ?
T. H. : Sans vouloir excuser le père, encore fois, ce n’est pas un personnage méchant, mais perdu. Perdu dans la façon d’aimer son enfant, perdu dans le regard qu’il porte sur lui-même. Par réflexe de survie, il ne trouve le remède que dans la violence, la ceinture ou la gifle. Il est pitoyable plutôt que méchant. Père et fils sont deux êtres en souffrance. Cette souffrance mutuelle vient de la non-communication, de leur propre frustration et celle engendrée par l’autre.

 

C. : Vous connaissiez Joffrey Verbruggen avant ce tournage me semble-t-il ?
T. H. : J’ai fait des essais avec Joffrey au cours Florent, et c’est comme cela que je l’ai rencontré. C’est un garçon très drôle, très vivant. Il apporte à son personnage cette légèreté qui fait que, finalement, la jeunesse et la possibilité d’amitié et d’amour restent. Ce qui nous sort de la caricature sociale.  De mon côté, j’essaie d’apporter le côté humain à mon personnage qui se déteste lui-même d’agir comme cela. C’est un film qui dénonce la violence des adultes à l’encontre des enfants mais sans tomber dans la caricature du père foncièrement mauvais et du fils profondément blessé, raconté par un être qui en a souffert mais qui sait comment survivre.

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