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La Séquence Silverstein de Jean-Luc Gason

Publié le 01/04/2004 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

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La Séquence Silverstein de Jean-Luc Gason

 

 

Dans un petit parc d'une grande ville anonyme, Stan savoure la vie. Jeune, brillamment diplômé d'une école de commerce, publiciste plein d'avenir au centre commercial, apprécié de ses collègues et de ses voisins, sans souci matériel, Stan est l'exemple parfait de la réussite néolibérale. Un incident banal va cependant troubler l'harmonie de sa journée : lors de son arrivée à son bureau, les portes automatiques refusent de s'ouvrir à son passage. En consultant un ami électronicien, il apprend que les senseurs qui en commandent l'ouverture ont été récemment remplacés par un nouveau modèle programmé pour reconnaître et refuser les porteurs d'une certaine séquence génétique, génératrice d'instabilité sociale potentielle. Et Stan en est porteur. Sa situation va du coup se dégrader rapidement : ses collègues l'évitent, son statut professionnel et social est en chute libre, et les fameux senseurs d'ouverture des portes automatiques se généralisent. Stan ne peut bientôt plus entrer ni dans son bureau, ni chez lui, ni nulle part. Sa mère lui avait toujours affirmé qu'une fée s'était penchée sur son berceau, et aujourd'hui, Stan ne lui dit plus merci.

 

Le monde de Stan est ainsi fait. Souriant aux esprits conformes, aux costumes trois pièces de la culture Microsoft pour qui aucune merveille matérielle et idéologique n'est assez belle, il est impitoyable pour tout ce qui sort du moule. C'est alors l'exclusion radicale, sans considération pour les conséquences. Et le moule est de plus en plus étroit, de plus en plus serrant. Dans ce monde de paranoïaques obsédés par le mythe d'une sécurité parfaite, on en vient à exclure les gens de manière préventive, sur base d'une simple potentialité de déviance décelée dans les gènes. Le comble : même un parcours sans faute de parfait fayot n'est plus une garantie de réussite sociale. Et pour ces nouveaux parias, pas besoin de prison ou d'asile psychiatrique comme en URSS. On se contente de les laisser crever de froid sur un trottoir ou dans un parc. Voilà le monde de Stan. Euh! ...de Stan seulement ? Il n'est pas non plus un peu le nôtre ? C'est ce beau miroir, avec ce qu'il suppose d'individualisme égoïste, de petites lâchetés et de bêtise médiocre, que les scénaristes de la Séquence Silverstein nous tendent brillamment dans un « petit » film d'un peu moins de 10 minutes. Plan après plan, la narration déroule avec régularité les fils d'une histoire qui donne froid dans le dos pour rejoindre avec la dernière image l'entame de la première séquence, fermant la boucle immuable de la vie. Réalisation et montage sont à l'avenant, sans fausse note. On apprécie l'énorme travail de préparation. On regrettera simplement l'usage exclusif de la voix off qui est à la longue un peu lassante et met entre le sujet, le personnage et le spectateur une distance qui n'a pas lieu d'être. Et puis, on n'aurait pas rejeté une toute petite touche d'optimisme dans cet univers impitoyablement gris. Reste que la maîtrise un peu appliquée (mais c'est un premier film) du réalisateur met dans le mille et fait de ce court-métrage un essai parfaitement transformé. On est épaté.

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