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La Voix de Sofia de Philippe Cornet

Publié le 01/05/1998 par Nicolas Longeval / Catégorie: Critique

La voie cassée

Fin des années quatre-vingt. Tout ce qui vient de l'Est fait l'objet d'une sorte d'engouement. Depuis une Bulgarie sous l'emprise d'un communisme sévère, d'étranges voix féminines s'élèvent jusqu'aux cieux. Cristallines, transcendantes, fascinantes.
On parla bientôt du "mystère des voix bulgares", dont la renommée allait très vite s'étendre aux quatre coins du globe.

La Voix de Sofia de Philippe Cornet

C'est toutefois à Sofia même que, au début de l'année 1995, le réalisateur de télévision et journaliste culturel Philippe Cornet (Rapido, Cargo de Nuit, Intérieur Nuit, Rolling Stone...) assiste à une répétition du choeur Angelite. Une impression "d'essentiel et d'universel" s'empare de lui, l'envoûte, lui file la chair de poule, et le virus d'un film. Mais si la magie de ces chants traditionnels est bien la raison d'être de La Voix de Sofia, le discours du documentaire, projeté au Festival de Nyon, s'avoue surtout très politique : depuis les premières tournées internationales, le mur de Berlin est tombé et l'Est s'est ouvert à un système dont il attendait tant, mais qu'il ne maîtrise pas vraiment. La classe moyenne disparaît, les Mercedes abondent mais les rues sont défoncées et les trams rouillent.

Alternant la vie privée et les commentaires de ses trois personnages conducteurs - Tanja, la directrice, Kera, l'ancienne, et une jeune recrue - le réalisateur dresse le portrait d'une société bulgare en mal de ses illusions perdues.

Devenu entreprise privée et rebaptisé Bulgarian Voices Angelite, le groupe subit aujourd'hui les lois impitoyables du capitalisme sauvage. Pour survivre, la troupe est désormais vouée à la rentabilité. Condamnée à évoluer et à se renouveler, le choeur procède fréquemment au recrutement de nouvelles voix, qui oblige Tanja à se séparer de quelques plus anciennes. Pour elles, il s'agira d'un véritable drame individuel autant que matériel : à la fin brutale des tournées dans les grands hôtels et de la reconnaissance mondiale, s'ajoutent la perte de confiance en leur talent, le doute et le sentiment d'inutilité.

Elles aussi guettées par le spectre du chômage, les chanteuses n'échappent pas au sentiment mitigé et teinté de nostalgie qui, passées les heures de liesse, règne sur le pays : l'insécurité financière et l'angoisse du lendemain ont succédé aux limites et certitudes, sans doute oppressantes mais rassurantes, qu'offrait l'ancien régime. Aujourd'hui que l'on ne sait plus en se couchant de quoi demain sera fait, l'illusion de la libération morale et économique s'est volatilisée et laisse un arrière-goût un peu amer.

Les reflets d'un feu mal éteint

Ce samedi 25 avril, à l'occasion du concert qui précédait l'avant-première, un parfum de nostalgie flottait entre les murs du Centre culturel d'Uccle. Mais comme le rêve, vital, se mêle et survit à toutes les désillusions, le sourire radieux des chanteuses unies par la main illuminait encore ces chants quasi religieux, auxquels seules des décennies de contraintes et de restrictions ont pu donner pareille force spirituelle... Est-ce cette forte sensation d'absolu qui fait dérailler les zooms abusifs et qui, à la manière de certains Borzage, fait danser un peu trop la caméra ?

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