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Le Cercle Romain de Raymond Haine

Publié le 01/01/2008 / Catégorie: Sortie DVD
Le Cercle Romain de Raymond Haine
L’amour selon Haine
 
"Le drame de notre époque n’est autre que la solitude peuplée. Ce film raconte l’histoire d’une solitude à trois par la faute d’un intellectuel, c’est-à-dire d’une des formes contagieuses de l’égoïsme. Les personnages ont même cet air terrible de vivre à côté de leurs corps, d’ignorer qu’ils existent".
Jean Cocteau
 
Unique film du cinéaste liégeois Raymond Haine, Le Cercle Romain peut être considéré comme un véritable ovni dans le paysage cinématographique belge du début des années 60’. C’est, encore une fois, ce qui a intéressé l’asbl Belfilm, toujours soucieuse de redonner vie à un cinéma méconnu.

Un jeune homme pâle, aux contours flous, sort d’une majestueuse demeure, son manteau sous le bras. Sur le perron, une femme, une arme à la main, essaie calmement de le retenir et, impuissante, s’agenouille, les mains plaquées sur le visage. Le jeune homme jette à ses pieds son étui à cigarettes et quitte définitivement ce lieu maudit.
Les premières minutes du film (que nous reverrons à la toute fin) révèlent donc le dénouement de l’histoire sans pour autant dévoiler toute l'intrigue. Que s’est-il passé quelques secondes avant ? A-t-elle tenté de tuer le jeune homme ? De se suicider ? Y a t-il un troisième personnage mort ou blessé dans la maison ? Par un procédé que l’on retrouve dans de nombreux mélodrames américains des années 50 (Ecrit sur le vent de Douglas Sirk, Boulevard du crépuscule de Billy Wilder pour ne citer que les plus connus), le point de départ est aussi le point d’arrivée et l’histoire se dénouera fil-à-fil par le recours aux flash-back.
En effet, la vérité verra le jour grâce au récit du jeune homme (Morill) qui relatera les faits à un interlocuteur quasi muet, sorte de Tirésias sorti des bois, présent uniquement pour faire accoucher la vérité. Le récit de Morill va immédiatement faire apparaître un troisième  personnage, Alexandre, invisible dans la scène d’introduction, et nous plonger ainsi en présence du sempiternel trio amoureux mari-femme-amant, tout droit hérité du vaudeville. Mais pas de légèreté ici, car nous sommes bien au coeur du drame comme nous l’a clairement annoncée la première scène. Chez Haine, on n’est pas chez Guitry, on ne claque pas les portes, on les referme poliment, avec froideur et dignité. Haine privilégie donc le côté dramatique du triangle amoureux comme un révélateur du mal être de nos civilisations. Le couple bourgeois est un symbole fort, construit sur les apparences de la bienséance, il est le ciment de la société conservatrice. Raymond Haine en accentue encore l’effet en faisant du couple légitime que forment Françoise et Alexandre deux personnages prisonniers de leurs solitudes respectives. Grands intellectuels, esthètes un peu ridicules (ils disent « seize » pour signifier à l’autre que quelque chose est vulgaire en référence au mobilier Louis XVI qu’ils détestent tous deux) leur discours est froid et empesé.
On ne s’étonnera pas que Raymond Haine, plus que réalisateur, soit avant tout un auteur dramatique. Sa mise en scène théâtralisée, la lenteur, le déplacement des personnages qui semble exprimer plus un état d’âme, un bouleversement intérieur qu’une véritable action, tout cela n’est pas sans évoquer le célèbre « théâtre de la menace » de Pinter qui donne au film un caractère de complète irréalité. On y retrouve d’ailleurs les mêmes thèmes : une violence qui s’inscrit dans la fragilité des êtres, l’incommunicabilité, la solitude à plusieurs, ces apparences qui cachent la peur sous un masque ironique.
Dans cet univers, ce ne sont pas les armes, mais bien les mots qui tuent.
Le personnage d’Alexandre, et ce n’est pas un hasard, exerce le métier dangereux d’auteur dramatique, confondant trop souvent fiction et réalité. Il va ainsi manipuler sa vie et celle des deux autres comme s’il s’agissait de personnages d’une pièce qu’il ne pourra jamais écrire. L’écriture tient d’ailleurs un rôle primordial, elle est prétexte aux conversations badines, aux querelles philosophiques, mais c'est elle surtout qui décidera finalement de la tournure que vont prendre les événements.
Malgré quelques problèmes de rythme, le réalisateur parvient à donner à son film une atmosphère étrange et tendue. Quelques scènes d’une audace extraordinaire en font un film déconcertant et digne d’intérêt.
Bonus
Spa, Richesse nationale – 12’ – 1953
Petite visite éducative dans la charmante ville de Spa signé Jean et Paul, les frères de notre réalisateur vedette. On visite la ville et ses environs en compagnie d’un automobiliste en panne pris en stop par un bus scolaire… Ah la belle époque !
Uniquement disponible sur  www.belfilm.be

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