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Le choix d'une mère

Publié le 01/03/1998 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

Séquence 

La pièce est grande et oblongue, le plafond assez haut, c'est une sorte de loft transformé en duplex. On y trouve, à gauche, un coin cuisine avec un évier chargé de vaisselle qui sèche, un fourneau à gaz sur lesquels gisent poêlons et casseroles, un réfrigérateur. Au centre, le living, à droite, un bureau et une chambre à coucher à laquelle on accède par un escalier en bois.

Le choix d'une mère

Jeanne (Isabel Otero) et Domingo (Ruben Benichou) sont dans le coin cuisine, assis devant le bol de leur petit déjeuner. Sur la table, une bouteille de lait, une boîte de Cola Cao, un pot de confiture et des croissants.

Jeanne se penche vers l'enfant : "Domingo, l'autre fois les policiers m'ont donné ça quand je suis venue te chercher". L'enfant s'empare du couteau. "Es mío" (c'est à moi), dit-il. Elle encaisse sans broncher :"Je sais, oui, je sais qu'il est à toi !" Après un soupir suivi d'un silence : "C'était utile pour toi dans la rue ?" Il lève les yeux vers elle, provocant : "Oui !" Elle l'observe un moment : "Pour te défendre ? - Oui... et aussi pour faire peur et voler ! " Elle repousse la chaise et se lève : "Un gamin avec une arme, ce n'est pas normal !- J'en ai besoin", répond-il d'un air buté en faisant tourner le couteau entre ses mains. "Coupez !", dit d'une voix douce mais ferme Jacques Malaterre, le réalisateur, "C'était très bien !"
L'Aaton Super 16 est calée sur une Dolly Panther pour opérer un mouvement de travelling latéral. Le réalisateur se penche vers Ruben qui fait tournoyer le couteau à cran d'arrêt entre ses doigts : "O.K., Ça tu le fais assez bien, montre-moi comment tu fais pour le poser dans le tiroir pendant que Jeanne répond au téléphone ?" Il le fait avec un regard hors champ vers Jeanne à qui il dit d'un air jaloux et provocant : "Tu es amoureuse ?"


Jacques Malaterre réalisateur

"Pour moi les acteurs c'est la chair du film, ajoute le réalisateur, si l'acteur est bon le film sera bien même s'il est un peu raté au niveau du filmage. C'est l'acteur qui doit l'emporter sur tout, c'est son implication, c'est la manière dont il va se mettre dans la peau du personnage et le vivre qui l'emporte. Si ça réussit alors ça marche complètement. Quand on dispose de ce talent-là, la caméra devient un acteur et participe aussi à cette émotion-là. Ce qui m'a poussé à faire ce film c'est la question de l'adoption et de l'exclusion d'enfants qui viennent de pays étrangers, peut-être parce qu'avant de faire du cinéma, j'ai été éducateur - mon premier poste d'éducateur a été à Bruxelles - avec des arriérés profonds.
J'ai commencé par faire du documentaire. C'est une école formidable de générosité parce que dans un documentaire il faut apprendre à donner pour pouvoir recevoir des autres. J'ai pu rencontrer à la fois des écrivains (1), des historiens et aller à l'autre bout du monde. C'est un enrichissement énorme pour connaître les gens, savoir comment ils vivent. C'est ce que j'essaye de mettre dans mes fictions, dans mes climats de plateau, surtout quand on travaille avec un enfant. Je pense qu'il faut être généreux pour qu'il puisse l'être en retour avec nous.

Souvent ma manière de filmer les scènes est imprégnée de mon passé de documentariste. Lorsque je tourne des scènes où l'émotion est importante, où la violence est importante, je me demande comment j'aurais fait en documentaire, qu'auraient fait les gens et ça me donne la direction d'acteur".


Isabelle Otero interprète Jeanne

"En fait, Jeanne se consacre aux autres plutôt qu'à elle-même, nous confie Isabel Otero, mais face à cet enfant elle découvre sa propre intimité qu'elle a toujours fui même dans ses relations avec les hommes. Confrontée à cet enfant elle est obligée de se découvrir, d'accepter ce qu'elle est vraiment et d'ouvrir son coeur, de se regarder elle-même, or elle a toujours fui puisqu'elle est partie sans arrêt de par le monde pour Médecins sans Frontière. Elle n'a jamais eu un rapport particulier avec les enfants qu'elle a eu à soigner. On ne peut pas dire qu'elle soit dure, c'est plutôt quelqu'un qui simplement a toujours refusé de se voir telle qu'elle était. Cet enfant l'oblige à être elle-même et elle découvre que Domingo - dont elle ne veut pas au départ - a beaucoup plus de points communs avec elle-même. Il a ce côté chat écorché qu'elle a aussi, cette façon de refuser les compromis - elle qui a refusé les valeurs bourgeoises. Finalement, il lui ressemble. Elle découvre qu'il y a une filiation beaucoup plus grande qu'elle ne le pensait entre elle et lui. Bien qu'elle soit assez orgueilleuse, elle finit par se rendre à l'évidence : Domingo lui est devenu indispensable."

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