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Le Défilé des toiles de Gilles Brenta et Claude François

Publié le 15/07/2000 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Le charme discret de la bourgeoisie

On les appelait pompiers, fine allusion aux casques qui couvraient le chef de leurs romains de pacotille, et leur nom est aujourd'hui synonyme de mauvais goût ostentatoire, d'académisme pompeux et d'absence totale de talent créatif. Ce furent pourtant les peintres officiels de la bourgeoisie triomphante de la deuxième moitié du 19ème siècle. De leur temps médaillés, adulés, couverts d'honneurs, de gloire et de fortune, leur nom allait petit à petit sombrer dans l'oubli et leur style figuratif et grandiloquent dans le ridicule.

Le Défilé des toiles de Gilles Brenta et Claude François

Couture, Cormon, Bonnat, Gerôme, Carolus Duran, Rosa Bonheur, Jean-Paul Laurens, Meissonier, Detaille, De Neuville, Théodore Ralli, Charles Thériat, Fromentin, ils sont tous là...même le symboliste Gustave Moreau. Gilles Brenta et Claude François habitués du documentaire artistique, puisque déjà coauteurs de Charles et Félicien (sur Baudelaire et Rops) et Le Jeu des figures (réalisés par Claude François) manient le plumeau pour extraire de leur gangue de poussière ces maîtres oubliés. L'une après l'autre, leurs toiles reprennent vie dans une superbe photographie, mettant remarquablement en valeur le jeu des lumières, des textures et des matières. Cette technique impeccable est complétée par un habillage sonore plein de verve et d'humour de Philippe Vandendriessche. Le commentaire, enfin, achève de donner une unité à cette oeuvre très en phase avec son sujet dont elle reprend la perfection académique et le charme un peu désuet.

Le sujet est pourtant passionnant et le documentaire soulève en filigrane pas mal de réflexions, sur l'art, reflet d'une culture, d'une époque, d'une idéologie dominante et sur sa place dans la société. Visions antagonistes de l'art, perçu soit comme forme de représentation, soit comme moyen d'expression. Réduite à sa fonction esthétique et décorative, la peinture de ce temps a incarné le triomphe sans partage du pédantisme du "bon goût". Elle reflétait le conservatisme moral d'une classe bourgeoise imbue d'elle même, avide de paraître et à qui l'argent tenait lieu d'esprit critique. Le monde de l'époque était marchand, ses toiles furent prostituées en salons où elles étaient vendues comme des bêtes de concours à la foire agricole de Libramont. Cette école académique a fini par recevoir le retour de bâton de son triomphalisme en suscitant la réaction radicale de ceux qu'elle avait méprisés, raillés et censurés pendant des années et qui finirent par triompher d'elle: les artistes créatifs de toutes les écoles en ...isme. Ayant à son, tour sombré dans le ridicule, son esthétique n'a pourtant jamais cessé d'être présente dans nos vies, des monuments aux morts pour la patrie aux films à grand spectacle du cinéma américain.

Tout cela n'est-il pas à méditer, à l'heure où nous sommes à nouveau confrontés à une période d'esthétisme codifié et sponsorisé? Si le film de Brenta et François se garde de toute prise de position politique ou sociologique de cette nature, le spectateur ne peut s'empêcher, heureusement, d'y songer.

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