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Le Festival du Film sur l’Art

Publié le 06/04/2010 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Événement

Art et cinéma

Du 18 au 28 mars 2010, Montréal a accueilli producteurs, réalisateurs, distributeurs, diffuseurs d’un genre un peu particulier : le film sur l’art. Un grand événement dont le succès ne se dément pas au fil des années. Documentaires ? Fictions ? Docu-fictions ? Questions et interrogations autour et alentour d’un festival et d’un « genre » qui se veut à part.

fifaLe film sur l'art est-il un genre ? De l'analyse détaillée d'une œuvre (comme la célèbre série Palettes d'Alain Jaubert qui décortique un tableau de maître durant 26 minutes) à la présentation historique d'un courant artistique (histoire du surréalisme, cubisme, dadaïsme accompagné, généralement, du contexte politique et social) du portrait d'un artiste (biographies avec documents d'archives ou scènes de reconstitution, captations in vivo dans un atelier, interviews) à l'approche expérimentale qui impose une esthétique propre (lettrisme, journal filmé, found footage), difficile de définir précisément ce qu’est un film sur l'art lorsqu'il se décline sous des formes qui paraissent infinies.

Pourtant, depuis près de trente ans, Montréal accueille chaque année, au mois de mars, des centaines de films venus des quatre coins du monde pour son Festival du Film sur l'Art, FIFA pour les intimes. La production annuelle, évidemment inchiffrable, se laisse quand même deviner par le nombre de films reçus à ce seul festival chaque année : 700 ! Un seul point commun réunit les productions, aussi diverses que variées, retenues par le jury de sélection, l'art. Mais qu'est-ce que l'art aujourd'hui ?
Si Hegel, au tout début du XIXème siècle, en dénombrait six (architecture, sculpture, peinture, musique, danse et poésie) dans son Esthétique, il semblerait que, depuis, le concept se soit élargi. Il est évident que l'introduction de « nouvelles » technologies (« nouvelles », depuis Hegel, pour le cinéma ou la photographie et nouvelles, depuis le XXème siècle pour les arts numériques) a créé d’autres formes d’art. Mais il faut encore ajouter à cela que des spécificités anciennes ou traditionnelles se trouvent reconsidérées aujourd’hui : les arts décoratifs, la joaillerie, l'archéologie, la gravure, le design, le mime, le cirque, le dessin, etc. Certains vont même jusqu'à ajouter à cette liste déjà longue, la télévision - no comment.

Bref, vous l’aurez compris, ce grand fourre-tout multi-céphale qu’est le « film sur l'art », comprend des choses aussi hétéroclites qu’un documentaire sur un tableau de Pablo Picasso et un reportage sur la vie de Monsieur Karl Lagerfeld, une plongée historique dans les peintures rupestres et une incursion dans les coulisses des studios d'animation Disney... De quoi faire tourner la tête et y perdre son latin.


 

Mais si l’on se demande ce que peut bien être l’art aujourd’hui, on peut aussi s’interroger sur les spécificités même d’un artiste. Il est loin le temps où l’on utilisait l’expression « bête comme un peintre ». L’art, c’est la grande occupation de la population occidentale, et à l’ère des super-méga-giga technologies, tout le monde, dans les pays dits développés, a l’opportunité d’en « être ». Regardez autour de vous, pas un garçon de café qui ne soit dessinateur ou comédien ; pas une ouvreuse de cinéma qui n’ait pas un scénario dans le tiroir de sa table de nuit.  

Qu’est ce qu’un artiste au fond ? Dans un entretien de 1967 filmé par André S. Labarthe (1) entre Godard et Fritz Lang intitulé Le dinosaure et le bébé, le vieux réalisateur allemand répond à cette question avec une humilité un peu feinte peut-être : « un artiste est un homme qui travaille beaucoup et qui aime son métier. » À cela, Godard, le bébé donc, répond au dinosaure avec sa nonchalante impertinence qu’à choisir, il préfèrera toujours van Gogh à l’artisan merveilleux et passionné qui lui a fabriqué son chevalet ! Si l’on se range plutôt du côté de Godard au risque de passer pour élitiste, on est en droit de se demander ce que certains « films » pouvaient bien faire dans ce festival néanmoins prestigieux. Des exemples ? La vie privée de Romy Schneider révélée de façon indécente et ridicule (Romy Schneider – Une femme en trois notes), la chronique quotidienne et grandiloquente des petits chanteurs de Vienne (The Vienna’s boy choir), les pensées d’un collectionneur et l’accrochage des œuvres dans son salon (Vivre avec l’art… Un art de vivre).

Pourtant, le problème du film sur l’art est plus large, et ne tient malheureusement pas seulement au sujet abordé, mais bien à la valeur cinématographique qui, soyons francs, faisait cette année la plupart du temps défaut.

Un film sur l’art n’est pas (ne devrait pas être ?) un reportage pédagogique qui trouve sa place dans une case télé. Un film sur l’art ne devrait pas être un catalogue d’exposition filmé, une biographie chronologique ennuyeuse dans laquelle le réalisateur se cantonne au rôle d'illustrateur. Enfin, un film sur l’art ne devrait pas non plus tomber dans le portrait hagiographique sentant la vénération béate. Un film sur l’art doit avant tout être un Film (phrase qui est moins une lapallissade qu’il n’y paraît) dans lequel le réalisateur nous entraîne dans sa vision subjective du monde et celle de l’artiste, un voyage avec son lot d’émotions et de surprises.

archipels nitrateCes véritables Films, heureusement, il en existe beaucoup. De ces véritables films, hélas, il a été trop peu question dans cette 28ème édition. C’est simple, on a pu les compter sur les doigts de la main. Parmi, eux, un film belge, Archipel Nitrate de Claudio Pazienza, qui, avec sa façon si particulière et décalée d’aborder un sujet, nous entraînait au cœur de la matière filmique avec intelligence et humour. Mais ce n’est pas ici un parti pris nationaliste que de vanter les qualités de ce documentaire. La preuve, le second et seul autre film belge retenu pour la compétition, Magritte le jour et la nuit d’Henri de Gerlache n’était pas à proprement parler un chef-d’œuvre.

Ce docu-fiction ampoulé dans lequel tout le monde semble se chercher sans se trouver alors que l’idée était au départ de trouver Magritte, laisse sans voix. Lorsqu’on pense que Petite anatomie de l’image d’Olivier Smolders, petit bijou anti-conformiste, n’a pas attiré l’attention du festival qui lui a préféré ce « Magritte », on s’étonne. Mais jouons le jeu, le cinéma est plein de surprises, et on le sait, les surprises ne sont pas toujours du meilleur goût ! 

(1) Le Festival du Film sur l’Art a eu l’excellente idée de rendre hommage à André S. Labarthe et sa série mythique Cinéastes de notre temps. Au programme, des entretiens entre Jean-Luc Godard et Fritz Lang, avec Ford et Hitchcock, mais aussi des moments magiques passés en compagnie de John Cassavetes, Arthur Penn ou encore Martin Scorsese devant une table de montage.  

PS : On apprend avec joie que le jury a décerné son Grand prix au film belge Archipel Nitrate de Claudio Pazienza. Un prix qui a fait l’unanimité et qui est largement mérité !

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