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Le Grand Soir de Benoît Delépine et Gustave Kerven

Publié le 15/12/2012 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

Le Grand soir est une belle métaphore sur la critique de cinéma. Les derniers critiques existants, qui défendent l'idée d'avoir un point de vue sur les films, se font de plus en plus rares. La promotion et les communicants les remballent dans le vagabondage, les chemins qui ne mènent nulle part. Les utilitaristes dominant la mondialisation, chiffres à l'appui (quels chiffres au juste ?), prétendent qu'ils ne servent à rien. Disons-le, les derniers critiques s'en foutent ! Après tout, ces chiffreteux n'arrêtent pas de tromper leur monde, que ce soit en économie ou dans le domaine culturel (crise des subprimes, crise de la dette, produits culturels poubellisés après trois jours). Nous vous parlerons donc du dernier film de Kerven/Delépine pour ce qu'il est aussi : un acte de résistance à la mort et sans mode d'emploi.

jaquette dvd le grand soirLe Grand soir est le grand rêve des ouvriers révoltés qui espéraient que la révolution renverse le pouvoir établi et puisse instaurer une société nouvelle. Que reste-t-il de la révolution de 1917 en Russie, des anarchistes et révolutionnaires qui l'ont préparée en dehors du système établi ? Retour donc sur les marginaux, les vagabonds, véritables terreurs de l'époque classique, moderne et postmoderne. Car le vagabond est un marginal fantasque et versatile. Il pratique l'errance devant des résidents qui, arc-boutés dans leur rôle de consommateurs, ne circulent pas en dehors du zoning industriel. Les punks (comme Not, interprété par Benoît Poelvoorde) sont des révoltés sans espoir. Dans le film, Not, gère lui-même son quotidien. Ses itinéraires ne sont pas préparés d'avance, et il se fiche bien de l'accélération du temps des "installés". En somme, Not, sorte de Diogène de la mondialisation ne figurant pas dans le servage du "time is money", refuse de se suicider comme d'autres le font. Not préfère le jeu de Diogène de Sinope, philosophe antique : passer de l'ascétisme à un hédonisme de clochard terrestre.

Certes, mais n'a-t-il pas une parenté, une famille rétrécie, mais une petite communauté lui permettant de survivre au temporel ? Oui, oui, le duo Delépine/Kerven nous refile un trio parsemé d'embûches : les Bornzini. Le père (Areski Belkacem) et la mère (Brigitte Fontaine) sont dans le continu et le discontinu de leur époque postmoderne. Jean-Pierre, le frère de Not, est quant à lui, avide de promotion sociale, mais embourbé dans un système de performance qui le dépasse. Not est l'autre, un rebelle sans cause, une sorte de pèlerin déboussolé, mais qui ne cesse de parler. Belle séquence où les deux frères parlent ensemble à leur paternel qui examine en silence ses chiffres. La communication sans communication du système des communicants.

Autre belle séquence à la Prévert : un flic représentant de l'ordre établi (interprété par Bouli Lanners) prévient le père, un fin rhéteur : « - Ça va ? - Ça va et ça ne va pas. - Ça va ou ça ne va pas ? - Ça ne va pas avec vos deux fils. - Ça ne va pas ? Donc ça ira ? - Ça ne va pas, mais ça pourra peut-être aller. »

Inutile de vous dire que le film nous a fait gondoler (sans pour autant sortir d'un bac à gondole) et que nous vous recommandons le DVD. Le côté fragmenté du film a un petit côté Tristram Shandy, le célèbre roman de Laurence Sterne - ce qui est très amusant. D'autant qu'en bonus, nous pouvons comprendre davantage le fil du récit grâce aux répétitions de certaines scènes et des plans coupés sur Jean-Pierre, sa femme et son enfant tout aussi drôles que les multiples chapitres de la version finale.

Le Grand soir, réalisé par Benoît Delépine et Gustave Kerven, édité par Ad Vitam et diffusé par Twin Pics.

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