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Le Nova fête ses quinze ans

Publié le 15/02/2012 par Sylvain Gressier / Catégorie: Entrevue

Le Nova fête ses 15 ans ! En ces temps difficiles pour la culture, au-dessus de laquelle plane l'ombre maugréante de « La Crise © », voilà un anniversaire qui fait plaisir à fêter. Pour un projet qui devait au départ durer deux ans, porté par une équipe entièrement bénévole, ça relève même de l'exploit. Profitant de l'occasion, nous sommes descendus au sous-sol du 3 rue d'Arenberg afin d'y rencontrer dans le bar Katia Rossini et Gwenaël Breës, co-fondateurs du projet Nova.

Cinergie : En préambule, pouvez-vous nous présenter le Nova ?
Gwenael Breës : Le Nova, c'est une salle de cinéma associative et non-commerciale, gérée par un collectif de personnes qui travaille bénévolement, par envie, par passion, située dans le centre de Bruxelles. Il fonctionne depuis quinze ans, et montre toutes sortes de films, essentiellement des films indépendants, contemporains et qu'on n'a pas beaucoup, voire pas du tout, l'occasion de voir ailleurs. Des films qui, éventuellement dans d'autres pays, sortent en salle, mais pas ici, d'autres qui, parfois, se limitent au réseau des festivals. Ce sont des films d'écoles, des films amateurs, des documentaires, des fictions, des films expérimentaux, de la performance... C'est un peu ça, le Nova. On travaille plutôt de manière thématique, que ce soit étalé sur un mois ou par petits modules. On essaie de créer des contextes autour d'une idée, d'une région, parfois d'un mouvement, d'un réalisateur, et donc de créer un contexte. On met des films en lien et on essaye, un maximum, de provoquer la discussion, d’avoir des invités, des débats. Les réalisateurs et les spectateurs débattent autour des questions portées par ces films.

C. : Quelles motivations portent à se lancer dans un projet comme celui-ci et comment y êtes-vous parvenus en pratique ?
Katia Rossini : Je dirais que, pour démarrer un projet comme ça, il faut être très naïf, ne pas imaginer au préalable tout le boulot que ça va être et l'énergie que ça va demander pour faire tourner le lieu. Il faut beaucoup d'enthousiasme, et une certaine forme d'engagement. Le point de départ de la création du Nova était de combler un manque, un vide. Essayer de créer un lieu où montrer des films différents, qui sont peut-être plus casse gueule au niveau de la démarche formelle, de production et de réalisation, et qui restent soit dans la marge, soit totalement invisibles. 
G.B : Il n'y a pas de recette-miracle. Je crois que ce qui a permis qu'on ouvre ce lieu, est difficilement reproductible. Au niveau immobilier, beaucoup de choses ont changé, la pression financière est beaucoup plus forte et le fait de récupérer un lieu comme celui-ci est, aujourd'hui, beaucoup plus compliqué. Depuis cent ans, ce lieu a quasiment toujours été un cinéma. C'était le studio Arenberg qui s'était fait éjecter par une banque qui voulait en faire des bureaux et qui n'en a jamais rien fait à part stocker des vieux meubles. Il était vide depuis dix ans. On était à la recherche d'une ancienne salle de cinéma, on a reçu un certain nombre d'appuis qui ont fait qu'on a pu persuader la banque de nous donner ce lieu pendant deux ans gratuitement, puisque au-delà, ils comptaient s'en défaire et revendre le bâtiment. Il y a eu toute une série de hasards, de coïncidences et de chances qui ont fait que sans argent, on a pu se lancer. Il y avait énormément de travaux à faire puisque il n'y avait plus rien ici. Cela s'est fait très vite. Entre le moment où on a négocié l'occupation du lieu et celui où on l'a ouvert, il y a eu six ou sept semaines. Puis, on a été propulsé dans l'aventure, et on a cherché à se débrouiller, on a inventé au fur et à mesure une manière de fonctionner. On a essayé, on a eu le culot, l'envie et ça fonctionne.
K.R : Le Nova ne veut pas être juste un lieu où on montre des films, on veut se positionner aussi avec une façon d'aborder le cinéma et donc une façon de penser le cinéma d'aujourd'hui. 

C : Il a un parti pris social important et audacieux, ne serait-ce que dans la structure uniquement bénévole, le prix des places très démocratique, et le choix des films programmés. Comment parvenez vous à garder cette situation pérenne ? 
G.B : Une des choses qui ont changé par rapport au début, c’est qu'on a quand même réussi à avoir des subventions publiques, même si on peut dire que c'est largement insuffisant pour le projet qu'on a, c'est quand même quelque chose qui s'est un peu pérennisé. Les premières années, ce n'était quasiment rien, puis, il y a eu plusieurs années où on avait des subsides projet par projet, c'était très fragile économiquement. L'autre chose, c'est qu'on a passé beaucoup de temps à se structurer en interne, en prenant le parti de dire : « On est un collectif, c'est bénévole ». Si, un jour, on arrive à payer des gens, ça sera peut-être une ou deux personnes, mais jamais l'ensemble du collectif, or on sait que si on choisit cette voix-là, on met fin à cet esprit, avec tout ce que cela a d'enrichissant pour un projet comme celui-ci. C'était une nécessité, il fallait des gens, de l'énergie, du temps, et, au bout de quelques années, on s'est dit, c'est une réalité, on va continuer avec ce socle.
K.R : Il y a un processus de constante remise en question, que ce soit au niveau de l'organisation ou de la programmation. Il faut pouvoir évoluer, parce que le contexte évolue, parce que le cinéma et le public évoluent. On ne pense pas avoir trouvé la recette magique qui permet d’exister comme ça pendant encore cinquante ans, c'est peut-être une des raisons pour lesquelles après quinze ans, le Nova est encore là.
G.B : D'un point de vue purement économique, ce n'est pas rentable.Montrer des films coûte cher, la location, la projection dans leur support original, avoir une salle chauffée, etc. Ce sont les subventions publiques et le bénévolat qui rendent ça possibles. Il y a d'autres salles de cinéma indépendantes ou d'art et essai qui rencontrent des problèmes économiques beaucoup plus forts, et qui parfois doivent fermer, mais on ne peut pas tout à fait les comparer au Nova parce qu'on ne comptabilise pas l'entièreté du travail qui est fait. Si on devait comptabiliser le travail effectué, en recherche de films, en prospection, en réunions, c'est énorme. Une autre chose qui joue aussi dans la pérennité, c’est que le Nova est traversé par plein de gens qui sont dans d'autres mouvements sociaux. On est en lien avec beaucoup de groupes, d'associations etc. Les programmations se conçoivent souvent aussi avec d'autres gens de l’extérieur. Il y a un lien, une ouverture permanente vers d'autres groupes qui ne sont d'ailleurs pas forcément des gens du cinéma. Mais cela nous donne un ancrage dans la société.
K.R : Je pense que cet aspect du projet qui est de polariser, d'attirer des énergies multiples, est peut-être à l'image de quelque chose de très contemporain dans la culture actuelle. On est de plus en plus face à des projets hybrides où des démarches artistiques très différentes se croisent. En ce sens, le Nova a, je l'espère, un rôle non seulement de défricheur, mais aussi de producteur d'idées et de réflexions tout en restant axé sur un centre d'intérêt, qui dans notre cas est le cinéma. Là, par exemple, on travaille sur un projet de réseaux pour essayer de créer des liens entre des salles de cinéma ou des lieux de diffusion qui fonctionnent un peu dans le même esprit que le Nova ailleurs en Europe.

C. : À propos de réseaux, quelles relations avez-vous avec les cinémas à Bruxelles, et plus généralement tout ce réseau de salles et d'organisations en Belgique, et au-delà ?
G.B : La question des réseaux est très importante. Il y a un réseau des lieux indépendants de cinéma au niveau européen qui est en train de prendre forme, même si on avait déjà beaucoup de liens à l'étranger par le passé. Le Nova a aussi été un lieu qui a rassemblé toute une série de télévisions indépendantes, communautaires et alternatives dans le monde. On les a invitées ici à Bruxelles, une rencontre internationale qui a programmé les productions de ces télévisions. Tout ça, sur le long terme, apporte aussi des contributions dans la programmation. Sur les relations avec d'autres salles de cinéma à Bruxelles ou en Belgique, dans le monde de la distribution ou de la production, voire le monde des écoles de cinéma, le lien est très maigre. Je pense que  la manière dont on fonctionne a très peu à voir avec d'autres salles de cinéma, qui elles, travaillent avec les distributeurs et en fonction de ce qu'ils proposent. C'est un tout autre rapport, d'autres problèmes, c'est une autre réalité. On montre des films qu'on trouve bons, intéressants, des films qui n'ont pas d'écrans, mais on n’est pas un écran privilégié pour montrer du cinéma belge, et on ne veut pas le devenir non plus. De ce point de vue-là, on a un côté un peu isolé, c'est-à-dire qu'on a plus de liens avec d'autres pays ou avec des associations ici qui ne sont pas dans le cinéma. On ne se sent pas vraiment appartenir à un monde du cinéma, ici en Belgique.
K.R : Mais régulièrement, on parle, en réunion, de ce manque de lien avec le lieu professionnel du cinéma belge, qu'il soit francophone ou flamand. Si on a parfois subitement des occasions qui font que l'on peut tisser des liens avec certaines boîtes de production ou avec certains réalisateurs, il n'y a pas de dialogue continu, et ça, c'est probablement très dommage. D'un point de vue vraiment personnel, j'ai souvent l'impression qu'il y a beaucoup de projets dans le cinéma belge qui se font de façon très isolée, où il n'y a pas de dialogue, d'effervescence généralisée. 

C. : À propos d'ouverture à autrui, le PleinOpenair illustre bien cette volonté de sortir des murs et de passer outre les institutions pour aller s'intéresser aux autres et les intéresser aussi à d'autres choses.
G.B :
Chaque été, on organise ce festival en plein air, le PleinOPENair. On peut dire, de façon schématique, qu'il s'articule autour de deux pôles. Comme on est en plein air, on montre des films qui s'adressent à un autre public, et pas uniquement à ceux qui viennent ici le reste de l'année, donc c’est une programmation un peu différente, avec le même type de recherche au niveau des films. Puis, avec le pleinOPENair, on retrouve le cinéma comme lieu de rencontre. Ce sont des séances gratuites, en plein air, ça renoue avec cette vieille tradition du cinéma forain qui a un peu disparu. Il n'y a pas de publicités, ce n’est pas un drive-in, les gens ne sont pas enfermés dans leur voiture avec un casque : c'est un moment de rencontre et d'échange. Ce projet est porté par une volonté d'agir dans la ville, de mettre en lumière des problématiques sociales, urbanistiques, de s'intéresser à ça, et de participer, à une petite échelle, à une démocratisation des politiques urbaines. Là, c'est effectivement un moment intéressant, qui crée une rencontre entre des publics différents et dans des lieux qui sont complètement incongrus ou, en tout cas, qui ne sont pas faits pour accueillir des projections de cinéma. Ce sont des terrains vagues, des lieux désaffectés, des espaces publics, mais pas des lieux où on a l'habitude d'organiser une manifestation culturelle. 

C : Il y a donc toujours cette volonté d'intégrer le cinéma dans un ensemble social plus large.
K.R : Dès le départ, c'était un choix de programmer des films en les contextualisant, ce qui veut dire aussi créer des activités annexes à la projection de cinéma. D'emblée, on savait que l'on voulait qu'il y ait un café au Nova, parce que quand on a vu un film, c'est important de pouvoir en discuter. Et puis, finalement, la salle de cinéma, c'est un lieu public. Aujourd'hui, dans un contexte où tout peut se faire chez soi, il est vraiment important que l'espace public soit habité d'une vie sociale.
G.B. : Notre salle de cinéma idéale, on n’est pas parvenu à la faire. Il y a eu des tentatives, des expériences : enlever les fauteuils, faire que la salle et le bar soient le même lieu où l'on puisse s'asseoir, être à plusieurs autour d'une table, ou se coucher dans des coussins, manger, boire etc. Une salle plus facilement modulable que ce qu'elle est, mais il se trouve que c'est beaucoup de travail, et qu’il y a des questions de sécurité, etc. On irait plus volontiers dans cette direction-là, mais en restant dans une vraie expérience de cinéma, toujours avec le film dans son support original sur grand écran. 

C : Et l'évolution des formats de projection justement ?
G.B : Ça va devenir de plus en plus problématique de montrer les films dans leur format original avec l'arrivée du numérique. Si on arrive à s'équiper, ce n'est pour nous clairement pas un format qui va remplacer les autres, mais coexister avec eux. C'est important de garder toutes les possibilités de projection. 
K.R : Pour l'instant, on est en plein débat autour de la question de l'équipement. On va devoir s'équiper, ça, on le sait. On ne sait pas encore comment, mais par rapport à la marche forcée vers le tout numérique, on se pose beaucoup de questions. Il n’y a rien à faire, une projection en 35, c'est une expérience qui n'est pas comparable avec l'expérience qu'on peut avoir avec une projection numérique.
G.B : Ce qui n'est pas assez dit sur le numérique, c'est qu'il n'y a pas que la question de l'expérience procurée et la question du format original dans lequel un film a été tourné, mais aussi celle de cette marche forcée vers le numérique. C'est en fait une intrusion de l'industrie des majors à un endroit où elles n'étaient pas, c'est-à-dire dans la cabine de projection. Jusqu'à présent, il y avait un appareil électrique, mécanique qui pouvait durer cent ans, que l'on pouvait toujours réparer. Maintenant, on va se retrouver avec des boîtes vidéos complètement hermétiques pires encore qu'un projecteur vidéo. On ne peut même pas faire le réglage des couleurs soi-même, on ne sait absolument pas intervenir, il faut appeler la société, ce qui est un changement assez radical. C'est aller vers une sorte d'obsolescence permanente où toutes les X années, on va ressortir un nouveau standard de projection : tes machines sont garanties quelques années, tu devras en permanence en changer. C'est un système prévu pour les grands complexes, ça va être très difficile pour les petites salles de se le payer. Quand on ne sait pas payer le système mis en place par le tiers investisseur - un système qui fait que tu payes moins cher et qu'il y a une sorte de caisse commune qui est organisée avec les distributeurs de films - l'intrusion est encore plus grande, parce que ça veut dire que les sociétés qui t'équipent viennent regarder ce que tu programmes. Tu dois programmer certains films, donc ceux qui sont dans le circuit des films de distribution, et tu dois avoir un certain nombre d'entrées par  années, sinon tu payes des amendes. Nous, clairement, si on rentrait dans ce système-là qui, a priori, est le seul avec lequel économiquement on puisse se payer cet équipement, on payerait des amendes à chaque séance ou on perdrait notre liberté de programmation, alors qu'elle est absolue pour l'instant. Donc, c'est un changement vraiment important qui est en train de se produire.
K.R : Il y a énormément d'enjeux qui sont absolument invisibles pour le grand public en réalité. Le secteur de la distribution au cinéma est aussi en train de changer radicalement, et, finalement, ce qui risque de se passer, c'est que beaucoup de films dits indépendants ou des petites productions risquent de passer encore plus facilement à la trappe avec le numérique. Il y avait encore la possibilité, pour de petites structures de distribution, de s'organiser pour défendre des films à petit budget ou des films difficiles, mais là, avec l'arrivée du numérique, tout ça doit être repensé, la distribution pour le secteur indépendant, pour ces films qui n'ont pas accès à la distribution commerciale.
G.B : On ne s'oppose pas aux évolutions technologiques, cependant, avec l'arrivée du numérique on pourrait croire, en regardant ça de loin, que c'est en fait une démocratisation, que ça va permettre à plus de films d'être montré dans plus de salles. En fait, ce n'est pas du tout le cas puisque tous les fichiers sont cryptés et les machines fermées. En réalité, on pourrait tout à fait avoir ce type d'équipement sans toutes ces contraintes et avoir un nombre incroyable de films en diffusion. Là, ce serait une vraie ouverture, mais ce qui risque de se passer, c'est plutôt une diminution d'accès aux salles pour les petits films.

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