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Le Prix des lycéens du cinéma : les réactions

Publié le 09/06/2006 par Katia Bayer et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Dossier

Rencontre avec des participants de la remise des prix des lycéens

Le Prix des lycéens du cinéma : les réactions

Ce qui m’a surtout épaté, c’était la curiosité des jeunes, l’acuité de leur regard. Ils n’ont peut-être jamais pris le temps de se poser des questions sur ces films ou d’aller voir ce genre de films. Tout à coup, leur horizon s’ouvrait et en général, c’était très pertinent et très intelligent. Il y a même des classes où j’étais franchement surpris par le niveau d’analyse des films, l’intelligence, la subtilité. C’était super intéressant : il y avaient des jeunes avec des points de vues. Si j’avais prévu cette facilité de dialogue ? Oui, mais je ne m’attendais pas à un tel niveau. (…) On ne leur apprend pas à regarder les films. Ils sont tous seuls, poussés à la consommation, pas à l’analyse. Pour la discussion [avec le réalisateur], ils en avaient parlé entre eux, ils avaient tous réfléchi, revu le film. Donc, ils avaient un regard hyper pointu sur des détails, des trucs incroyables que la plupart des gens ne voient même pas. (…) Aujourd’hui, je ne sens pas de starification. Je trouve qu’il y a un côté beaucoup plus bon enfant et amical. Quand je suis arrivé, un mec m’a dit : « ça ne m’étonne pas que vous soyez venus à pied! » On est perçu comme des gens normaux, on peut nous parler. Il n’y a plus d’idée préconçue à notre sujet." (…) 

 

Julien Louis, professeur de sciences sociales à l’Athénée Maurice Destenoy, à Liège. 

Je trouvais le projet intéressant dans le cadre de mon cours puisqu’il aborde l’éducation à l’image, l’analyse de l’image dans la mesure où elle transmet un message. D’un autre côté, au moins quatre des films pouvaient entrer dans le cadre d’un cours de sciences sociales et donner lieu à une réflexion sur la problématique sociale, que ce soit la problématique des sans-papiers [Hop !], celle d’un certain quart-monde [L’enfant], la condition féminine dans le passé [La femme de Gilles] ou la psychologie de l’inconscient [Trouble]. (…) J’ai donné aux élèves la grille d’évaluation en leur disant : « maintenant, vous allez regarder un film de façon différente ». J’ai d’ailleurs dû les redresser parce qu’ils étaient fixés sur les notes d’analyses : « ça, c’est un canevas et maintenant, vous en sortez. Quelle est votre propre analyse? » Leurs intentions par rapport au cinéma belge? Ils ne connaissaient absolument rien. Ils allaient voir tous les films américains. Il n’y avait pas de curiosité. Mais quand j’ai proposé le projet en classe, ils l’ont accepté immédiatement. Pour moi, les résultats étaient positifs dans le sens où après, ils étaient capables de me dire : « je n’ai pas aimé parce que ». Le « parce que » était intéressant. Leur argumentation se tenait très bien. Ils ont fait des découvertes. Non, Trouble n’est pas un film américain ! (…) Est-ce que leur regard sur le cinéma a changé? Je le crois. Maintenant, la preuve, je la verrai plutôt l’année prochaine. Puisque ici, il s’agissait de cinq films. Ça fait partie d’un ensemble. C’est peut-être prétentieux, mais je pense que je modifie leur regard sur la vie. Et modifier le regard sur le cinéma, ça fait partie de cet ensemble qui est de modifier le regard sur la vie, d’apprendre à l’approfondir. (…)

 

Frédéric Fonteyne, titulaire, pour La femme de Gilles, du Prix des «plus beaux plans» et celui des délégués de classe.

 

J’ai l’impression que les choses changent et cela vient de tout ce qui a été fait, comme le Prix des jeunes critiques et le Prix des Lycéens. On en avait parlé à l’époque dans Cinergie. Le simple fait que les jeunes voient ces films, qu’ils en discutent avec les enseignants, fait que des films qu’ils ignoraient existent pour eux. C’est exactement comme cela que je l’ai vécu en étant élève. L’échange avec les réalisateurs est très important. On n’a malheureusement pas pu aller dans toutes les classes. Il y a cette espèce de rêve hollywoodien qui plane. On a l’impression que ceux qui font du cinéma sont inaccessibless, alors que ce n’est pas le cas. Nous, en tant que cinéastes ou producteurs, on savait qu’il fallait qu’on aille vers les écoles. Si parmi ces 3.500 élèves, de vrais amateurs de cinéma sont nés, c’est formidable. (…) Tout à l’heure, quelqu’un me posait la question de la différence entre le cinéma d’auteur et le cinéma commercial. Le cinéma d’auteur est un cinéma dont on n’entend pas parler parce qu’on a mis tout l’argent dans le film et qu’il n’y a plus de moyens de faire de la promotion sur toutes les chaînes de radio ou à la télé. Il faut inventer d’autres moyens, et ce prix en est un très beau.

 

Une enseignante du secondaire supérieur.

 

J’ai une classe de cinquième et de sixième qui ont participé au Prix des Lycéens. L’enjeu consistant à faire découvrir le cinéma belge m’a semblé intéressant. On a essayé de décoder la vision de ces cinq films, d’avoir une lecture différente de la manière dont ils consomment les films habituellement. On s’est aperçu que c’était assez difficile parce qu’il s’agit d’un genre de films qu’ils n’ont pas du tout l’habitude de voir. Maintenant, ils voient le cinéma belge sous un autre œil. C’est donc une expérience réussie. Si le Prix des Lycéens du cinéma belge francophone est remis à l’honneur dans deux ans, j’y participerai encore.

 

Luc Dardenne et Jean-Pierre Dardenne. L’Enfant a été gratifié du prix du «film qui nous a ouvert les yeux ».

 

Je viens de revoir certains élèves et enseignants de l’Athénée Gatti de Gamont. Ils ont fait un bon travail sur le film. Dans les humanités artistiques, aussi. Dans les classes professionnelles, ce n’est pas le même public. A Seraing, on a fait beaucoup de classes. C’est un genre de cinéma qu’ils ne voient pas. Ce que je retiens dans ce qu’ils disent, c’est que Bruno, le personnage de L’Enfant, a fait une connerie mais qu’il s’en sort. Là-bas, il y en a beaucoup qui ont fait des conneries et qui essaient de s’en sortir. C’est souvent de cela que l’on parle, de la trajectoire du personnage. A Seraing, ce qui est marrant, c’est que l’on nous dit que Seraing n’est pas comme nous le montrons, que la ville est beaucoup mieux, qu´elle n’est pas sale. Ils pensent qu’on stigmatise la ville. Je leur réponds que lorsqu’on montre le film ailleurs, en Belgique ou dans le monde, on ne dit pas au public que cela se passe à Seraing. Les gens voient cela comme une histoire qui peut se passer à Tokyo, New-York ou Moscou. Et là, la discussion s’enclenche. On parle aussi de la réalité. Des gens nous disent que notre cinéma est trop dur parce qu’ils ont des problèmes et préfèrent se distraire. D’autres disent que c’est bien qu’on parle d’eux. Les deux réactions coexistent. Certains pleurent en parlant à des moments où l’on ne s’y attend pas. C’était surtout vrai pour Rosetta. Le film est trop proche de leur vie. C’est le rapport entre la fiction et leur réalité qui est toujours l’enjeu du débat. (…) C’est important d’aller dans les écoles quand on a une relation directe avec les élèves grâce à l’appui de leurs professeurs de français, d’histoire, de morale, de religion, sans représentation médiatique.

 

Henry Ingberg, Secrétaire général de la Communauté française de Belgique

 

Notre défi consistait à faire se rencontrer les jeunes et les professionnels du cinéma belge. Il n’y avait pas de contact, pas de familiarité, pas de revendication d’appartenir à un même espace culturel. Donc, comment créer ce contact ? Le premier signal du succès a été de devoir arrêter les inscriptions après que 3.500 élèves aient rejoint l’initiative. D’autres écoles arrivaient pour s’inscrire mais faute de moyens, on a dû clôturer. Ensuite, on a vu les réalisateurs se déplacer dans les écoles et nous dire que l’expérience était passionnante et qu’ils y participaient au lieu de nous dire : « J’ai autre chose à faire, j’ai un scénario à écrire ». On sentait que la pâte levait. La dernière étape était de réunir tout le monde : les professionnels et les différentes écoles dans une salle remplie et réactive. Cela a ajouté un plus parce que les gens se sont rendus compte qu’ils faisaient partie d’un mouvement global. C’est la première fois, je crois, que nos réalisateurs ont eu une pareille séance de demandes de dédicaces. Le cinéma belge francophone est en train de dépasser le stade de la confidentialité grâce aux contacts humains. On a eu l’illustration que le fait de partager une sensibilité avec des auteurs permettait à des jeunes de mieux pénétrer dans les œuvres et de mieux se les approprier. Il y a une forme d’éducation qui a fonctionné grâce à cela. (…) Ce ne sera pas un événement unique. On va garder le contact avec les écoles et avec les jeunes. Ils vont créer un fichier de spectateurs du cinéma belge qui servira à tous nos réalisateurs et ils vont devenir eux-mêmes, j’en suis sûr, des promoteurs du cinéma belge. Ils vont en parler à leurs copains, à leur famille. (…) Le Prix des lycéens est une réussite qui va au-delà de nos espérances. L’objectif pour 2007 est d’atteindre toutes les écoles. On va prendre des dispositions pour qu’il n’y ait pas trop de limites matérielles, physiques et organisationnelles pour mobiliser aussi les salles d’art et d’essais qui, au début, n’étaient pas toutes convaincues de la nécessité de faire cela. Ne pas voir uniquement des films sur DVD mais donner aussi l’envie d’aller dans les salles parce que cela fait partie du spectacle. L’objectif est de rebondir et d’utiliser l’événement comme un tremplin.

 

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