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Le Sel de la mer d'Annemarie Jacir

Publié le 05/12/2008 par Dimitra Bouras / Catégorie: Critique

Le goût amer de l'exode

C'est l'histoire de Soraya, jeune américaine de Brooklyn (New York, Etats-Unis), qui, comme la quasi-totalité de la population américaine actuelle, a des ancêtres venus d'un autre continent. Bien qu'elle ait le type métissé, type qui, grâce à Barak Obama, va avoir la cote, elle puise ses racines en Asie, dans une région appelée Proche-Orient. Ses grands-parents viennent de Jaffa, le pays des oranges. Son grand-père, dans sa nostalgie du pays et de sa jeunesse, lui a légué l'image idyllique d’une ville façonnée pour elle.

« Mon grand-père se baignait tous les jours à la mer. Ensuite, par la rue Al Helwa, il passait devant la librairie Al Tawfiquiya, et il continuait par la rue Al Nuzha. La rue Al Nuzha était interdite aux voitures. Les marchands d'oranges se rassemblaient au souk Al Salari. Il parlait toujours du café Al Madfa. Oum Kalsoum y chantait de même que Farid El Atrache. Ma grand-mère adorait Farid. Mes grands-parents allaient parfois au cinéma, au cinéma Hamra. S'ils étaient fauchés, ils attendaient à l'entrée de service que le concierge les fasse entrer.»

 

Le Sel de la mer d'Annemarie Jacir

 

Les parents de Soraya, eux, n'ont pas connu cette terre. Ils ont grandi à quelques kilomètres de là, où l'ombre des cèdres a remplacé celle des agrumes et où les baraquements provisoires se sont substitués aux fermes et aux maisons ancestrales. Du camp de réfugiés du Liban, ils ont embarqué pour les Etats-Unis. Ils font partie de ce qu'on appelle la diaspora palestinienne.

La trentaine arrivant, Soraya veut renouer avec ses racines pour mieux se préparer à ce qu'elle va transmettre elle-même à ses héritiers futurs. À Brooklyn, elle rencontre une jeune femme qui vit à Ramallah, en territoire palestinien. L'occasion faisant le larron, elle s'envole pour la terre de ses origines. Le désenchantement commence à l'aéroport pour se poursuivre tout au long de son périple en quête de la mer où son grand-père allait se baigner. 

 
Le Sel de la mer connaît les maladresses d'un premier long métrage, réalisé difficilement avec des moyens réduits et dans des conditions dangereuses, exposant l’équipe de tournage aux humiliations administratives d'un côté à l'autre des frontières israélo-palestiniennes où visas et laissez-passer sont refusés ou enfin octroyés pour un temps très limité (voir l'entretien avec Joseph Rouschop et Françoise Joset). Mais il a le mérite d'avoir été réalisé avec beaucoup de sincérité et de profondeur, ce qui lui donne cette couleur oscillant entre nostalgie, désespoir et révolte, en passant ponctuellement par la joie et le bonheur.
 
C'est un film politique, bien entendu, dénonçant une réalité souvent masquée par l'actualité violente. Annemarie Jacir a pris le parti d'utiliser le cinéma pour essayer d'expliquer les sources de la révolte palestinienne. Quelques précisions géopolitiques s'avèrent indispensables pour comprendre les enjeux du film. La réalisatrice n'ayant pas voulu s'alourdir sur des explications didactiques complexes, cherchant à maintenir le caractère artistique de la fiction. Le spectateur intéressé devra mener ses recherches, car jamais la géographie et les délimitations des territoires n'ont eu une portée politique aussi concrète qu'autour de la notion de Palestine ! Ce film s'est fait découvrir à Cannes en 2008, dans la section « Un Certain Regard », puis, plus proche de nous, au Festival du film francophone de Namur. Il est à présent au festival Méditerranéen, avant de sortir en salles ce mois de décembre 2008.

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