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Le Syndicat du Crime 1, 2 & 3, de John Woo & Tsui Hark

Publié le 06/07/2008 par Grégory Cavinato / Catégorie: Sortie DVD

A Better Tomorrow / Le Syndicat du Crime (1986, de John Woo)

A Better Tomorrow 2 / Le Syndicat du Crime 2 (1987, de John Woo)

A Better Tomorrow 3 : Love and Death in Saigon / Le Syndicat du Crime 3 (1989, de Tsui Hark – proposé dans sa version cinéma et en version longue.)

 

Once Upon a Time in Hong Kong...

Le Syndicat du Crime 1, 2 & 3, de John Woo & Tsui Hark

 

Une fois de plus, HK Video nous gâte avec la sortie dans les bacs d’un superbe coffret 4 DVDs comprenant la trilogie culte de John Woo et Tsui Hark, agrémentée d’un ouvrage (144 pages) de photos retraçant la carrière de Woo, dans lequel le réalisateur chinois le plus populaire au monde se livre au jeu de l’interview et s’épanche longuement sur la genèse des trois films, mais également sur le reste de sa carrière (à Hong Kong, puis en exil aux Etats-Unis), ses films, ses frustrations, ses rapports à la critique, ses rêves… Une interview passionnante et INDISPENSABLE à tous les amoureux du cinéma de Hong Kong... ou du cinéma tout court.

 

Déçu et épuisé par quinze années passées à faire ses armes en tant qu’assistant du légendaire Chang Cheh, puis à réaliser des comédies légères et des films de kung fu de seconde zone (malgré une poignée d’œuvres intéressantes et très réussies comme Princess Chang Ping et Last Hurray for Chivalry), John Woo, en 1983, est un réalisateur aguerri, malheureux que ses projets les plus personnels ne puissent voir le jour, la faute au manque d’intérêt des costards-cravates de la Shaw Brothers qui le voient encore comme un « yes man » à leur solde, prèt à se plier à toutes leurs exigences. Les Larmes d’un Héros (Heroes Shed No Tears), qu’il réalise cette année-là, représente pour lui une première tentative de polar sérieux et hardcore, un genre alors peu populaire et méprisé. Contenant en germes le style et les thèmes qu’il développera par la suite (l’héroïsme, la fraternité, l’amitié, les valeurs familiales traditionnelles, la violence…) ce film maladroit, mais singulier, se verra remonté par le studio, caviardé de nouvelles scènes tournées par un autre. Ce film ne sortira sur les écrans qu’en 1986… quelques semaines après le succès phénoménal du Syndicat du Crime.

 

C’est donc début 1986 que John Woo, frustré de la direction que prend sa carrière, va démarcher Tsui Hark, le jeune cinéaste le plus en vogue, le plus original et le plus timbré du pays (Butterfly Murders, Zu, les Guerriers de la Montagne Magique) et lui proposer de produire Le Syndicat du Crime, une fresque policière sans concessions, brutale et a priori peu commerciale. Les deux hommes ne savent pas encore qu’ils vont cosigner LE film qui va définir leurs styles respectifs pour le restant de leurs jours, l’œuvre qui changera à jamais la face du cinéma de Hong Kong et qui va contribuer à sa popularité dans le monde entier.

 

Pierre angulaire de la carrière du grand cinéaste chinois, le premier Syndicat du Crime revendique fièrement ses trois influences principales : Jean-Pierre Melville pour son romantisme et pour la dépiction réaliste des organisations criminelles (les fameuses triades), Sam Peckinpah pour sa violence opératique et enfin… les comédies musicales américaines et ses chorégraphes, qui influencent la manière dont Woo découpe et compose ses scènes d’action, que l’on a souvent décrites - à raison - comme des « ballets de la violence ».

 

Ho (Ti Lung) et Mark (Chow Yun-Fat) sont truands, et Kit (Leslie Cheung), le petit frère de Ho, est flic. Ce dernier ne sait pas que Ho fait partie de la pègre, et quand celui-ci se fait arrêter et que son père est assassiné, c'est un choc pour le jeune policier, ainsi qu’un scandale qui l'empêchera d'obtenir la promotion qu’il attendait. Quand trois ans plus tard, Ho sort de prison, il retrouve Mark zonant dans un garage, son frère qui ne veut plus entendre parler de lui, et un nouveau chef de la pègre qui veut le faire replonger.

 

Mémorable par les relations entre ces trois personnages magnifiques, Le Syndicat du Crime fera date par quelques moments cultes : la fusillade finale sur les docks, hallucinante de virtuosité, ou encore celle du « pot de fleurs » (dans lequel Mark cache ses armes avant une réunion chez les caïds de la pègre, puis les récupère sous leurs yeux ébahis pour commettre un carnage…) Chez Woo, la violence fait partie intégrale de la progression des personnages ; le récit ne s’arrête pas pour « insérer » une scène d’action pour mieux reprendre ensuite sa narration. Au contraire, ici, les scènes d’action SONT le récit. Le film n’aurait aucun sens sans ses ballets sanglants au cours desquels les « héros » sont iconisés à souhait. Brindille en bouche, long manteau noir, lunettes de soleil, un flingue dans chaque main, Chow Yun Fat, acteur charismatique en diable, devient une star mondiale du jour au lendemain, l’acteur chinois le plus populaire depuis Bruce Lee. Pas étonnant d’ailleurs qu’il fut surnommé en France « l’Alain Delon chinois ». Le Syndicat du Crime devient le plus grand succès du cinéma de Hong Kong et de Chine. Malgré tout inférieur aux futurs chefs d’œuvre de Woo (The Killer, A Bullet in the Head, Hard Boiled), qui affinera son style pour le rendre encore plus percutant (avant de perdre de sa superbe aux Etats-Unis), ce premier opus reste, 22 ans plus tard, un inoubliable chef d’œuvre.

 

Comme on ne change pas une équipe qui gagne, Woo et Hark enchaînent directement sur Le Syndicat du Crime 2. Plus épique, plus ambitieux (le film se déroule en parallèle à Hong Kong et à New York), plus élégant, Le Syndicat du Crime 2 est à ranger sans la moindre hésitation aux côtés du Parrain 2 et de L’Empire Contre-Attaque dans le club très fermé des suites qui dépassent un modèle déjà excellent. Cette fois, Ho est obligé de s'infiltrer dans la mafia sous peine de voir la carrière et la vie de son frère compromises. Il découvre que Mark avait un frère jumeau, Ken, parti aux USA. Sur une idée à priori absurde et purement motivée par l’appât du gain (le personnage de Chow Yun-Fat étant mort à la fin du premier volet, on lui invente un frère jumeau dans le seul but de faire revenir la star), Woo signe ici son Once Upon a Time In America à lui, passionnant de bout en bout et émouvant à souhait. On en retiendra surtout l’assaut final dans la demeure des « méchants » ainsi qu’une échauffourée mouvementée dans le couloir d’un appartement new-yorkais. Le succès, colossal, est à nouveau au rendez-vous et la question d’un troisième volet se pose donc rapidement.

 

Mais à cette époque, Woo, à nouveau en état de grâce, préfère passer à autre chose, autrement dit à son projet le plus personnel : A Bullet In the Head (Une Balle Dans la Tête), histoire d’une amitié brisée entre trois jeunes chinois qui vont être séparés par la guerre du Vietnam. Cette histoire écrite des années auparavant devait au départ servir de scénario pour Le Syndicat du Crime 2, qui n’en conservera que des allusions au passé des personnages. Problème ? Tsui Hark est bien décidé à se servir de ce point de départ pour écrire et réaliser lui-même le troisième volet de sa trilogie / poule aux œufs d’or. La brouille est inévitable, Woo reprochant à Tsui Hark l’échec au box office de A Bullet in the Head, sorti quelques mois après ce Syndicat du Crime 3 au sujet similaire. Pourtant, si ce troisième volet se révélera une excellente surprise, il ne peut faire de l’ombre au chef d’œuvre guerrier de Woo boudé par le public et lourdement remonté par le studio. Blessé par cet échec, Woo, réfugié aux Etats-Unis après un dernier baroud d’honneur dans son pays (Hard BoiledA Toute Epreuve, en 1992) se réconciliera cependant avec Hark quelques années plus tard.

 

Tsui Hark, souvent surnommé le « Spielberg chinois », est un cinéaste fou, au style diamétralement opposé à celui de John Woo. Le Syndicat du Crime 3 n’entretient finalement que peu de rapports, stylistiques ou narratifs avec les épisodes précédents. Le film se déroule dans un autre temps (les années 70) et dans un univers esthétique différent, Hark ayant l’intelligence de ne pas passer après Woo, mais avant, afin de ne pas rester prisonnier des codes mis en place dans les précédents volets. Tout juste reconnaît-t-on le thème de l’amitié / fraternité et la présence de Chow Yun-Fat, reprenant ainsi son rôle de Mark dans cette préquelle qui se déroule quinze ans avant les évènements du premier film. 1974, à Saïgon : la guerre est aux portes de la ville. Mark débarque pour retrouver son oncle et son cousin Mun (Tony Leung Ka-Fai). Il est aidé à la douane par la mystérieuse Kit (la chanteuse Anita Mui). Sous la tutelle de cette dernière, impitoyable femme d’affaires, Mark et Mun trouvent rapidement de l'argent pour envoyer le père de Mun en sécurité à Hong Kong. Le trio va vite se retrouver dans une situation inextricable. Et comme si ça ne suffisait pas, entre ces trois-là, l’amour va venir compliquer une situation déjà difficile.

 

Plus ouvertement romantique et humoristique, Le Syndicat du Crime 3 se situe dans une temporalité bien réelle : Saïgon sur le point d’entrer en guerre. Chez Hark (né au Vietnam et ayant connu ces événements), l’action, toujours démesurée, est plus « punk », moins élégante que chez Woo. Son sens du montage fait des merveilles pour illustrer un récit qui reste avant tout une histoire d’amour belle et tragique. A cet égard, les rôles masculins sont ici légèrement en retrait par rapport à celui de Kit, incarné par l’émouvante Anita Mui… Ce changement stylistique et narratif vaudra à ce troisième volet un succès beaucoup plus relatif et mettra un point final à la saga. En trois films virtuoses et différents, Chow Yun-Fat aura joué trois variations du héros chinois très distinctes : mélancolique dans le premier, à la limite de la parodie dans le deuxième, innocent dans le troisième… formidable à chaque fois ! A noter que l’acteur tournait simultanément Le Syndicat du Crime 3 et… The Killer, de John Woo !

 

Cette saga, unique en son genre, reste une œuvre importante dans le cinéma de Hong Kong, ayant permis à Woo de créer, puis d’affiner son style inimitable, à Hark de trouver le sien et de gagner ses galons de producteur, activité qu’encore aujourd’hui il semble privilégier, et surtout à une industrie déclinante de renaître de ses cendres (jusqu’à la rétrocession en 1997, mais c’est une autre histoire…) Chow Yun-Fat est ainsi devenu le héros de tout un peuple, un modèle souvent imité, jamais égalé. Leslie Cheung (épisodes 1&2) sera passé du statut de chanteur pop / idole des jeunes à celui d’acteur respecté et couvert de récompenses, avant de gagner son statut tragique de « James Dean chinois » lors de son suicide, à seulement 46 ans, en 2003, suivi dans la mort seulement quelques mois plus tard par la rayonnante Anita Mui (épisode 3), emportée par un cancer foudroyant à seulement 40 ans.

 

Si les films sont ce qu’ils sont – des œuvres précieuses et inoubliables – il est parfois difficile de revoir sans s’émouvoir ces deux jeunes acteurs fabuleux, qui auront su donner à cette trilogie de la violence et du romantisme son véritable cœur.


Sources : livret inclus dans le coffret DVD par HK Orient-extrême Cinéma