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Leçon de cinéma - François Weyergans

Publié le 01/02/2006 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

Festival Premiers Plans Angers
Leçon de Cinéma - François Weyergans.

"Je m'engage dans la grammaire, c'est déjà pas mal".

Présent à Angers au festival Premiers Plans où il présentait deux films, Béjart et Aline dans la section Figures libres, François Weyergans donnait une leçon de cinéma à la suite de la projection. Présenté par le directeur du Festival, Claude-Eric Poiroux, qui l'appelle "Veilleur Grave", la leçon commençait en retard, et tandis que les intervenants s'excusaient auprès du public, l'écrivain-cinéaste donnait le ton en avouant tout à fait ouvertement que ce retard était "un peu dépendant de ma volonté puisque j'ai eu un peu de mal à me réveiller, étant donné que d'ordinaire je me lève vers midi..."

Genèse
"Ça a commencé par la naissance, d'abord… A Bruxelles, pendantla SecondeGuerreMondiale. Et les deux ont toujours été très mêlés, le cinéma et la littérature. Chacun a sa vie, mais moi, je suis tombé dans une famille où le père était un peu un homme orchestre. Il était libraire, éditeur, auteur, critique de cinéma et très cinéphile : il animait même des ciné clubs. Il m'a assez vite emmené au cinéma. Mais cela ne veut rien dire, il y a des gens qui font des films dont les parents ne connaissaient rien au cinéma. La seule chose qui m'amuse, c'est qu'à l'âge de neuf ou dix ans, j'avais commencé à écrire un roman, que je faisais très sciemment pour qu'il ait du succès, pour le vendre, avoir beaucoup d'argent et m'acheter une caméra. Je trouve cela assez drôle, trente ou quarante après, j'ai écrit un roman qui a beaucoup de succès et finalement, on va produire mon film. Le modèle était déjà là, tout au début. Je trouve cela assez drôle."

Devant l'absence de réaction de la salle, le cinéaste ajoute un "enfin, moi, personnellement, vous n'êtes pas obligé de me suivre" qui fait mouche.



 L'IDHEC

"J'ai d'abord fait des études de philologie. Vos parents vous voient toujours professeur d'université, c'est plus rassurant. Il y avait un concours d'entrée à l'IDHEC et j'ai été reçu premier à l'examen d'entrée, ce qui voulait dire que j'étais très motivé. Je me souviens très bien d'une question qui portait sur la composition du gouvernement britannique à la veille de la guerre de 14. Et figurez-vous que j'ai su répondre ! Ahurissant. Après, on vous montrait un film-surprise et on avait trois heures pour écrire une sorte de critique. Comme j'étais déjà critique de cinéma, cela s'est bien passé."

A peine âgé de 18 ans, donc mineur à l'époque des faits, Weyergans cumule déjà les casquettes : "J'étais entré en même temps aux Cahiers du Cinéma. D'ailleurs, cela ne plaisait pas du tout au prof d'avoir un type qui écrivait dans les Cahiers. Et en plus, la première année, pendant les vacances de Pâques, je tournais mon premier court métrage sur ce jeune chorégraphe d'avenir qui s'appelait Maurice Béjart. Je faisais ça à Pâques, dans un cadre professionnel et j'étais assez content : je venais d'avoir 19 ans et j'étais même fier de moi d'avoir fait ça. Le montage dure un peu, je reprends les courts à l'IDHEC au troisième trimestre, et je vais voir le directeur pour lui dire, voilà, je suis en retard parce que j'ai tourné un court métrage en 35mm.

- "Professionnel ?"

- "Oui, oui, bien sûr, j'ai été payé."

- "Et bien on vous renvoie."

 

Parce qu'on n'avait pas le droit, en étant élève, de faire des travaux professionnels. Si vous êtes élève, vous ne devez rien faire pendant trois ans… Aberrant ! Et j'ai vraiment été renvoyé. Et quinze ou vingt ans plus tard, je reçois le prix Renaudot pour mon roman et je reçois une lettre du mec de l'IDHEC mourant pour me demander de pouvoir me mentionner comm ancien élève (rires). J'avais gardé la lettre de renvoi, donc je lui ai envoyé une copie."

Premiers pas

"J'avais vu deux trois spectacles de ballets à 17 ans, un peu cucul : Tchaïkovski, que je n'aimais pas tellement. Et puis un jour, on m'emmène à Bruxelles au Théâtre de la Monnaievoir un jeune chorégraphe qui donne Orphée avec des musiques de Pierre Henry… Et je trouve ça très très bien ce spectacle avec de très jolies danseuses, notamment une, que j'aimais beaucoup voir danser pour moi. Je me dis, le mieux serait de faire un film. J'ai trouvé un peu d'argent, et on a fait le film en huit jours, tourné en studio. Je prenais le son directement sur le plateau, ce qu'on ne fait plus. Je me souviens que la veille du tournage, je n'ai pas dormi de la nuit. J'ai terminé mon article sur Rocco et ses frères pour les Cahiers du Cinéma et je l'ai posté à Eric Rohmer sur le chemin du tournage. Puis, je me fais renvoyer de l'IDHEC, mon film est présenté au Festival de Bergame, et je reçois un prix d'un million de lires. J'avais 19 ans, j'ai eu 20 ans après avoir dépensé mon million de lires. Je me souviens que je vais le chercher en liquide à la caisse des Lombards et je me paie le retour en TransEurope Express, en première classe ! Et là-dessus, un producteur me propose de faire un film sur Jérôme Bosch, on arrive tout doucement vers 1962... J'accepte le projet, et on fait le tour de tous les musées européens où on filme directement les tableaux de Bosch. Le tournage dure huit jours, c'est-à-dire huit nuits puisque nous tournions de nuit dans les musées vides. Nous avions 12 gardiens qui nous surveillaient, à juste titre, parce que nous devions rester à une certaine distance des tableaux. Je me souviens d'un gardien espagnol qui mangeait des olives, et au matin, je garde l'image du sol du musée jonché de noyaux d'olives. C'était très perturbant. "

Béjart

"Il est pas si mal, ce film. Ce qu'il a de bien, c'est qu'il est sec. Le montage est sec et c'est cadré assez froid : influencé sans doute plus par Dreyer que par Bresson", ajoute Weyergans. Ce court métrage est réalisé à partir de notes et totalement axé sur les deux danseurs : "Ce film était avant tout du mouvement. Et puis, il y avait le Studio avec le miroir qui a une place essentielle. Je voulais que le film commence dans le miroir. Je vais au Studio, je m'assieds, je réfléchis pendant deux trois heures, et je me dis : on va cadrer comme ça, et puis comme ça. Lorsque Béjart est arrivé, je lui ai donné un espace précis dans le miroir où il devait danser. J'avais laissé un espace vide par terre dans lequel je leur avais demandé de ne pas sortir. Mais ce qui m'intéressait surtout, était de voir quelles étaient les sources d'inspiration d'un créateur, et en l'occurrence d'un chorégraphe. Je leur avais suggéré deux trois choses, et ils avaient donc apporté une citation de René Char, un tableau de Mondrian et puis je ne sais plus quoi. Je leur avais demandé d'improviser et ils étaient très bien. D'ailleurs, ils n'ont pas vraiment improvisé. A la fin du film, il y a donc cette phrase de René Char, dite par Delphine Seyrig en voix off. Et puis, il y a cette très jolie danseuse blonde qui a un peu inspiré mon premier roman, Salomé."

Aline

"Aline est un peu un film d'atelier, un peu un ovni dans ma propre vie. Il doit beaucoup à ma fascination de l'époque pour les films de Bresson. Il doit rester quelque chose de personnel au niveau de la distribution, ce que l'on appelle aujourd'hui le casting, ce mot affreux. Je ne comprends d'ailleurs pas que le métier "directeur de casting" puisse exister : cela veut dire que les réalisateurs sont des flemmards de première qui confient à d'autres qu'à eux-mêmes le choix des comédiens. Je trouve cela aberrant. Cela signifie aussi qu'il y a des gens qui prennent un pouvoir un peu sadique sur une série de jeunes comédiens. Mes films sont un peu basés là-dessus, des rencontres et d'abord des idées de visages. Aline a été entièrement tourné en son direct, à l'heure exacte où cela se passe dans le scénario. Je me souviens que toute l'équipe tournait à trois ou quatre heures du matin. Il y avait par exemple un plan où elle se lève pour écrire à quatre heures du matin. Il fallait que le son soit celui de trois heures du matin, qu'il y ait cette qualité de silence, le silence épais de la campagne. Parfois, je refaisais des prises juste pour le son."

Accélération temporelle : Couleur Chair, dernier film

Dernière réalisation en date, Couleur chair repose aussi sur cette "idée de visage" et notamment sur Denis Hooper rencontré à Cannes : "On passe toute une nuit à boire dans un bar et je lui dis, au petit matin, que si je tourne un film, j'aimerais bien qu'il joue dedans. Il me répond "Pas de problème. Envoie moi un mot." Je lui envoie, quelques mois plus tard, un télégramme, et 4 jours après, il débarque du Mexique, prêt à tourner. Il était d'un professionnel ! Il prenait de tout, de l'alcool, de la coke. Il était sur le tournage, dans un coin du plateau, proscrit toute la journée et personne n'osait aller lui dire qu'on allait tourner. Puis l'équipe me dit "C'est toi le réalisateur, il faut que tu ailles lui dire qu'on va tourner". Il se lève, impeccable, il se met dans ses marques et il joue parfaitement. Et puis il y avait cette très très belle jeune actrice qui avait une peau mate et qui prenait très bien la lumière… Laurent Terzieff me disait de ce film : "c'est L'Ange Bleu dans le marché commun". C'est l'histoire d'une strip-teaseuse qui travaille dans une boîte tenue par des gangsters et qui rencontre les personnages incarnés par Laurent Terzieff et Lou Castel. Ce qui est très amusant, c'est que nous étions à Cannes où nous avions réussi à trouver une salle pour projeter le film. Nino Rotta devait venir voir le film, car je voulais qu'il fasse la musique. J'avais prévenu ma mère de la projection et elle était venue rien que pour le voir. Nous arrivons avec Nino Rotta à l'entrée du cinéma, ma mère était là qui nous attendait. Nino Rotta va vers elle, lui serre la main, et lui dit : "Bonjour Madame, merci beaucoup de nous prêter votre cinéma". Ma mère se demande ce qui se passe puis on entre dans la salle, où nous étions absolument seuls. Et Nino Rotta me dit "une salle rien que pour vous, Fellini va être jaloux". Le film commence et il ajoute gentiment : "Je vous préviens, je m'endors toujours pendant les films". A un moment il se tourne vers moi et me dit "C'est Laurent Terzieff ? Comme il a maigri !" Puis, un peu plus tard : "C'est pas Lou Castel ? Il a beaucoup grossi !" Enfin bon, il a écrit la musique du film et après il est mort."

 

 

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