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Les Barons, entretien avec Amelle Chahbi et Nabil Ben Yadir

Publié le 15/11/2009 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Le Festival International du Film Francophone de Namur a eu l'heureuse idée d'ouvrir son édition 2009 avec un film belge, jeune, drôle, atypique : les Barons de Nabil Ben Yadir. Grande première pour ce film sorti comme un clown de sa boîte à ressorts. On attendait, parfois avec scepticisme, l'œuvre d'un jeune gars qui, malgré sa formation en électro-mécanique (réparateur de machines à laver comme il dit), avait des prétentions de cinéaste ! 
Namur s'est curieusement rempli de visages à la peau basanée et aux cheveux bouclés, vestes en cuir et baskets aux pieds, affichant une allure altière dont certains pourraient se méfier. Mais dans les beaux salons du festival, ils ont été accueillis comme des héros, ne recevant qu'éloges et sourires sur leur passage. Après cette soirée d'ouverture, où l'équipe technique et artistique découvrait le résultat de son travail sur grand écran, Nabil et ses comédiens et comédiennes se sont abandonnés de bon coeur aux micros, caméras et appareils photos des journalistes.
La journée presse a commencé en compagnie d'Amelle Chahbi, Malika dans le film, une tasse de thé au nuage de lait à la main, confortablement installée dans l'élégant salon de réception du Grand Théâtre de Namur.
Une bonne occasion pour lui demander si elle s'est identifiée au personnage qu'elle incarne dans les Barons : une jeune femme qui, pour se libérer, est prête à couper les ponts avec sa famille et avec son quartier.

Amelle Chahbi : Malika veut s’affirmer en tant que femme, mais elle ne veut pas couper tous les liens. Il y a une scène où elle retourne dans son quartier en taxi. Le chauffeur lui dit : « Vous êtes sûre de vouloir descendre ici parce que c’est très dangereux ». Elle lui répond : « C’est mon quartier, Monsieur, j’y suis née ». Elle est fière de ce qu’elle est, elle est fière de sa famille. C’est son frère qui coupe les ponts avec elle et malgré elle. Elle a fait des études, elle est journaliste et présentatrice du J.T. Je pense qu’elle aimerait juste que son frère l’accepte comme elle est. Elle est très attachée à son quartier et elle aimerait pouvoir allier les deux : sa vie professionnelle et sa famille dont elle n'a absolument pas honte, au contraire !Dernièrement, j’ai reçu plusieurs scénarios où les femmes d’origine maghrébine vivaient des situations malheureuses, avec des problèmes énormes ; battues par leurs familles, etc. Je n'ai pas voulu interpréter ces rôles-là parce que je n'aime pas l'image qu'on leur donne. Par contre, Malika est une femme de 28 ans qui vit sa vie et qui n’a pas tant de problèmes que ça, finalement. Je trouve que c’est un rôle très actuel. Beaucoup de Maghrébines sont libres… Elles choisissent leurs destins. Elles peuvent faire des études, s’assumer complètement, tout en restant en bons termes avec leur famille. C’est ce que j’ai aimé dans ce scénario.

C. : Mais ses dualités ne se conjuguent pas facilement et elle a dû faire un choix qui, pour elle, est très clair !
A. Ch. : Oui, tout à fait. Elle préfère vivre sa vie de femme. Effectivement, son frère lui parle à peine, mais cela ne l'a pas freiné dans son choix de vie.

L'actrice Amelle Chahb dasn Les Barons de Nabil Ben Yadir.

C. Pourrions-nous connaître votre parcours ?
A. Ch. : Je suis comédienne de théâtre. J’ai suivi des cours à Paris, des cours d’improvisation théâtrale, des cours de clown, de mime, de chant et de danse. Je pense que dans ce métier, il faut se préparer à tout, toucher à tout pour être complet. À la base, je viens de l’humour. Je fais partie du Jamel Comédie Club. On est tous des humoristes qui présentons nos stand-up. Le stand-up, c'est l'art de la tchatche née de la rue, du rire sans fioritures : pas d'accessoires, juste un artiste, un micro et des rires. On était venu en Belgique pour notre spectacle au Cirque Royal, et c'est suite à ce spectacle que j'ai rencontré Nabil. J’ai aussi écrit une pièce que je joue au mois de novembre. Le luxe pour moi, c’est de pouvoir mêler le théâtre et le cinéma. Je suis très heureuse comme ça.

C. : Qu’est ce qui vous a donné envie de faire du théâtre ?
A. Ch. : Le fait d’aller au théâtre quand j’étais petite... la chance d’aller à la Comédie française. Quand j'ai vu ces comédiens jouer et nous donner des émotions, nous faire rire ou pleurer, je me suis dit : c’est ça que je veux faire. Je ne savais pas encore comment, mais il fallait que je le fasse.

C. : Il y a une superbe scène dans ce film où vous jouez le rôle de votre propre frère, vous y prenez beaucoup de plaisir. Est-ce une scène qui était écrite ou qui est venue en impro ?
Amelle Chahbi  Les Barons de Nabil Ben Yadir.A. Ch. : Non non, tout est de Nabil, au détail près ! Rien n'a été laissé au hasard, ni improvisé. J’ai répété plusieurs fois cette scène, d'abord avec Nabil, ensuite avec Nader. J’appréhendais beaucoup ce moment où je devais me transformer en homme. Nabil m'a poussé à me lâcher dans la voix, dans les gestes. Et finalement, ça fonctionne bien ! Je me suis vue hier sur grand écran, et j'ai vraiment eu l'impression de voir un homme, maquillée comme j'étais ! Au moment où ils s'embrassent, on a l'impression de voir deux hommes, ça fait bizarre !

C. : Hier, vous avez vu le film pour la première fois ?
A. Ch. : Oui, hier soir, c’était la première fois, et j’ai été émerveillée... bluffée ! Il a vraiment réussi son coup. C’est très frais, très actuel. C’est touchant à certains moments, on s’accroche aux personnages. Le film est à l'image du scénario que j'avais lu. 

Il était une fois un baron qui ne voulait plus l'être
Nous installons Nabil Ben Yadir que nous avions déjà rencontré pour Sortie de clown. Ce premier court métrage, écrit pour se prouver et prouver aux autres sa capacité à écrire et mener une équipe, était une belle histoire, muette, avec un Jan Hammenecker grandiose en croque-mort de nuit échangeant son tablier pour une salopette et un nez rouge pour égayer les enfants malades des étages supérieurs de l'hôpital. Nous avions déjà été impressionnés par la maîtrise du langage cinématographique de ce jeune homme bercé par Hitchcock et les glamours égyptiens. Nous le sentions talentueux, mais nous ne l'imaginions pas aussi intrépide que pour se lancer dans la comédie, art semé d'embûches !

Nabil Ben Yadir, réalisateurNabil Ben Yadir : Au départ, je voulais simplement raconter une histoire… mon histoire.Le ton devenait lourd, et j'avais l'impression de reproduire les mêmes codes des films sur les banlieues. Je commençais à tourner en rond. J'ai rencontré Laurent Brandenbourger et, à deux, on a commencé à déconner. C'était parti. Dès que j'ai trouvé le ton dans lequel je me sentais vraiment à l'aise, rien ne pouvait plus m'arrêter. Et puis, avec l'humour tout passe, même les sujets les plus tabous !
Nous avons vite trouvé notre rythme, Laurent et moi. Il est devenu comme moi, un baron dans l'écriture. Parfois, on se voyait plusieurs jours sans rien écrire, juste pour discuter.
On a travaillé en collaboration totale, en totale fusion ! Moi, je venais avec mon univers, mon vécu, et puis on essayait de structurer tout ça. On a écrit comme des barons, on ne se voyait jamais le matin, c'était trop tôt ! Mais quand on était inspiré, on pouvait finir très tard !

C. : D'où te viennent ces vannes pourries ?
N. B. Y. : C’est de l’humour bruxellois de mon quartier. Le temps ne passe pas dans le quartier, alors on se raconte des blagues. Elles peuvent durer des heures entières, ce qui compte, c'est pas qu'elles fassent rire, mais qu'elles fassent passer le temps.

C. : Comment t'est venue l'idée que tu te sentais capable de faire un film, alors que tu ne sortais d'aucune école de cinéma ?
N. B. Y. : Avec mon diplôme d'éléctro-mécanicien, je n'avais pas le choix. Soit je réparais des machines à laver, soit je tentais de faire du cinéma. Les machines à laver pouvaient attendre, il y en aura toujours à réparer. J'avais envie d'écrire, j'ai essayé, sans trop y croire. J'ai eu l'immense chance de rencontrer Diana Elbaum de la maison de production Entre Chien et Loup qui a cru au projet et qui m'a soutenu jusqu'au bout, même si j'ai mis du temps pour terminer l'écriture.
Les acteurs du film des Barons de Nabil Ben Yadir, Julien Courbey et Mounir Ait Hamou Les acteurs du film des Barons de Nabil Ben Yadir, Nader Boussandel et Amelle Chahbi

C. : Comment as-tu choisi tes comédiens ?
N. B. Y. :
 Je connais Mourade Zeguendi depuis qu'on est gamin, c'était un vrai fouteur de merde. Et quand je l'ai vu dans des grosses productions comme Dikkenek, je me suis dit qu'on avait quasiment le même parcours. On vient du même milieu et, l'un comme l'autre, on a essayé de faire notre petit bonhomme de chemin.
Mounir Aït Hamou, c’est un pote à moi. Il m’accompagnait pour les castings quand je partais à Paris parce que je n’aimais pas être seul. On castait, mais c'était pas vraiment ça. Puis je l'ai casté lui, et il a été pris.
Pour Hassan, le premier rôle, j'ai reçu 300 photos et j'en ai choisi 15. Nader n'y était pas : il avait envoyé une photo floue! La directrice de casting m’a dit que 15 candidats, ça n'était pas suffisant, alors j'ai pris un paquet de photos, au hasard, et dans ce paquet, il y avait la photo floue. Au moment du casting, dès que j'ai vu entrer Nader Boussandel, j'ai su que c'était lui. 
J’ai rencontré Amelle Chahbi, qui n’avait jamais fait de cinéma, au Jamel Comédie Club, lors d'une tournée à Bruxelles. C’est tellement rare de voir des filles monter sur scène et faire un stand-up. Pour le personnage de Malika, je voulais une comédienne qui soit la présentatrice télé parfaite, mais je la voulais avec une petite note d’humour dans le regard. Elle m’a bluffé !  

C. : Comment as-tu travaillé avec les comédiens ? Tu leur as proposé de travailler en improvisation sur des idées ?
N. B. Y.
 :
Non, j’ai toujours eu peur de l’impro. Les dialogues  du film sont très écrits. Si tout le monde met son grain de sel, son humour à lui, on finit par se perdre. 

C.: Le sketch qu’Amelle joue face à Nader, maquillée en garçon, n'a pas dû être facile à jouer pour elle. Comment l'avez-vous préparé ?
N. B. Y. 
C'est pour cette séquence que j'ai choisi Amelle pour le rôle de Malika. Parce qu'il fallait une fille qui n'ait pas peur du ridicule, qui ait de l'humour. Quand je l'ai vu sur scène, je savais qu'elle avait ces qualités, même si elle flippait à la préparation. J'étais persuadé qu’elle allait déchirer dans cette séquence. J'ai voulu indiquer par cette scène, que même quand on est seul, que personne ne nous regarde, pour se parler sincèrement, on doit se maquiller, on passe par la comédie, on n'arrive pas à être simplement sincère, on sent toujours le poids du quartier, de la famille. Tu as toujours l’impression que tu trahis.

Nabil Ben Yadir, réalisateurC. : Mais ce n’est pas ton cas ?
N. B. Y. : Non, parce que moi je raconte l’histoire en disant « je ». C’est ma vie, ce sont mes potes. Je vais un peu schématiser, mais en gros, pour tourner mon film, j’ai ouvert la porte et j’ai tourné dans ma rue. Les gens, je les connais, les quartiers aussi.

C. : Tu n’as pas senti le poids de ce quartier, de tes copains qui aurait pu te bloquer, t'inhiber ?
N. B. Y. : Toutes les personnes qui auraient pu m’empêcher, ce sont les mêmes qui auraient rêvé de faire ce film et m’ont envoyé leurs photos et leurs C.V pour le prochain. Il y a une espèce de Baronsmania à Molenbeek, et je suis heureux d'avoir contribué à ce que maintenant, on parle aussi de Molenbeek dans la page culture.

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