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Les Dardenne; un livre sous la direction de Jacqueline Aubenas

Publié le 08/09/2008 par Antoine Lanckmans / Catégorie: Livre & Publication

Henri Ingberg, secrétaire général de la Communauté française de Belgique, décédé en octobre 2007, avait voulu un ouvrage à la hauteur de la reconnaissance des Dardenne, porte-parole du cinéma francophone belge. Visionnaire et stratège, Henri Ingberg savait qu'il faut chatouiller l'intérêt du public dans ses habitudes pour l'attirer dans les salles obscures pour voir des films intitulés Le Silence de LornaRumbaVinyanElève libre ou Coquelicots. C'est ainsi qu'il s'adresse à LA spécialiste du cinéma belge; la gardienne des récits imagés du sud du pays, leur historienne, Jacqueline Aubenas. Notre confiance dans le savoir-faire de Madame Aubenas est sans faille; tout ouvrage dirigé par elle sera référencé de manière fiable, que ce soit le DicDoc, à propos des documentaristes belges, Filmer la Danse, la cinématographie de la danse, ou les monographies des réalisateurs déjà édités par le passé; Henri Storck, Chantal Akerman ou Marion Hänsel.
Pour ce dernier, en hommage au commanditaire trop tôt disparu, les partenaires ont allié plaisir et efforts dans sa réalisation. Il en résulte 340 pages richement illustrées, d'une esthétique sobre et chaleureuse, à la manière d'un livre d'art, pour habiller les nombreux articles d'analyse et les rencontres avec les protagonistes de la vie créative des frères de Seraing.
Nous avons rencontré Jacqueline Aubenas qui remonte à l'origine du désir de cinéma des frères.

  « Il faut commencer par l'archéologie et la préhistoire pour comprendre le cinéma que font les Dardenne. Jean-Pierre était étudiant à l'IAD, en section théâtre, et Luc était à l'UCL, philosophie et sociologie. Henri Ingberg, enseignant à l'IAD, invita Armand Gatti à venir donner un cours.
C'était les années ‘70, l'époque du militantisme pur et dur, de l'intervention sociale et du désir de faire un théâtre avec les gens, ne plus séparer la scène des spectateurs mais de laisser parler les témoins eux-mêmes de leur propre histoire.


Luc Dardenne et Armand Gatti

 

Et c'est ainsi que Gatti a présenté son cours de cinéma; de la vidéo d'intervention. Pour les frères qui ont participé aux ateliers, cela a été un réel apprentissage, car ils ne savaient ni l'un ni l'autre ce qu'est une caméra, ils se sont pris de passion sur les tournages d'Armand Gatti et y ont participé. Ils ont débuté « porteurs de câbles », ils ont appris avec une modestie totale, mais sur le terrain, en faisant, en se trompant, en comprenant. Une des choses qu'ils ont apprises dès le départ, c'est que les histoires ne se racontent pas toutes seules. 
Vous pouvez parler pendant deux heures avec Monsieur X ou Madame Z, il y aura certainement des choses passionnantes à dire, mais le réel doit être organisé pour prendre sens et forme. Vous ne pouvez pas laisser les choses aller leur train sans queue ni forme. Ils ont réfléchi au cinéma qu'ils voulaient faire, et sont arrivés à la conclusion suivante : d'abord partir de l'humain, ensuite, du militantisme, du social, mais il ne s'agit pas d'un social théorique, mais bien d'un social « incarné ». Au départ, il n'est pas question de postulat politique, mais bien de rencontres avec des personnes qui vivent une réalité qui les mutile ou les magnifie.


Les frères Dardenne en tournage

 

À partir de cette expérience, ils ont commencé à réfléchir, et puis, très modestement, ils ont traversé le théâtre, évidemment grâce à Gatti, dramaturge et homme de théâtre. Comme les fils doivent toujours tuer les pères, ils se sont séparés de Gatti pour prendre leur territoire propre et sont allés du côté d'autres dramaturges qui eux aussi avaient une conscience politique. Jean Louvet, en Wallonie, Kaliski avec les histoires de l'holocauste pendant la deuxième guerre mondiale, et ils ont commencé à structurer leurs histoires, à travers la dramaturgie des autres, celle de Louvet et celle de Kaliski. Ils ont pris confiance en eux, puis il y a eu l'expérience ou le passage crucifiant de Je pense à vous. Ils ne venaient pas de rien, ils avaient 3 ou 4 vidéos derrière eux, 2 courts, un long métrage, Falsch, qui est une adaptation d'une pièce théâtrale, et un portrait de Jean Louvet. Ils avaient un bagage et une besace. On leur a dit : attention, vous n'avez jamais rien écrit de précis et de personnel, le long métrage de fiction, c'est tout à fait autre chose, vous n'avez pas beaucoup d'expérience, vous ne savez pas ce que c'est qu'un plateau de fiction, et on leur a imposé un co-scénariste, des acteurs qu'ils n'avaient pas choisis, des techniciens très haut de gamme, comme le chef op’ qui venait d'Angelopoulos, d'un cinéma qui est à l'opposé de celui des Dardenne, qui n'a rien à voir avec leur esthétique. Ils ont été coincés par ce film qui a été un échec, et ils ont passé quatre ans à analyser cet échec, en disant, jamais plus. Un film c'est notre histoire, notre manière de tourner, notre manière de dépenser l'argent, nous, on a besoin de temps, pour le repérage, pour travailler avec les comédiens, et à partir de là, c'était parti ! Il a fallu à la fois ce long passage par la vidéo d'intervention, le théâtre et un échec cuisant pour qu'ils arrivent à rassembler le tout et devenir eux-mêmes ! »


Sur le tournage du Fils

 

C'est dans les pages de l'ouvrage, accompagné du portrait chaleureux de 52' réalisé par Jean-Pierre Limosin, que l'on apprend tout et plus encore sur le pourquoi et le comment du cinéma des Dardenne, côté scénario, côté image, lumière, son, direction des acteurs, agrémentés de témoignages des proches du plateau. Comme cet aveu de Jérémie Renier sur la découverte de sa personnalité d'acteur : « À la première projection (de la Promesse), j'ai eu l'impression qu'on m'avait volé des instants de vie. En revoyant le film cinq ans après, à me voir aussi bon, j'ai eu peur de ne jamais retrouver ce naturel d'enfant, de ne pouvoir jamais le recréer, l'égaler. » (p.141)
Un livre à feuilleter, à regarder, à lire... et même à visionner.


Jean-Pierre & Luc Dardenne, sous la direction de Jacqueline Aubenas, coédition C.G.R.I. et Centre du cinéma de la Communauté française de Belgique. Diffusion, Groupe Luc Pire. 338p., 49€. www.cfwb.be/avhttp://www.wbri.be/culturehttp://www.larenaissancedulivre.eu/ 

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