Cinergie.be

Les Démineurs (The Hurt Locker) de Kathryn Bigelow,

Publié le 02/04/2010 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Sortie DVD

démineurs

Bienvenue dans le monde de l'adrénaline d'un chien fou de la guerre. Bienvenue dans Démineurs, le film de Kathryn Bigelow, réalisatrice « musclée et intellectuelle ». Les Oscars du meilleur réalisateur et du meilleur film qu'elle vient d'obtenir pour The Hurt Locker (Démineurs) à la place d'Avatar ne sont pas usurpés, bien au contraire.

Kathryn Bigelow (Point Break) est la réalisatrice américaine la plus stimulante depuis cinquante ans, après Ida Lupino (Le voyage de la peur), la reine des films noirs, mais avec un monde de codes masculins plus forts que la violence des thrillers, celui de la guerre. Autrement dit, la fascination de la mort, provoquée jusqu'à l'extrême limite de la vie. Démineurs nous introduit parmi une équipe de soldats américains en Irak, une unité de trois hommes chargée de déminer les bombes à Bagdad. Une partie de poker avec le jeu d'une mort qu'ils frôlent dix fois par jour du bout des doigts. Mais aussi une drogue, la dépendance toxique avec la mort, telle que la vit, de manière radicale, sorte d'Ajax des temps modernes, le sergent-chef James (Jeremy Renner) revêtu de son scaphandre de protection lunaire.

Redacted, le film de Brian de Palma, nous présentait, à la manière de ses films sur le Vietnam, l'épouvante de cette guerre d'Irak. Qu'en dire d'autre, à part  Dans la vallée d'Elah  qui traite du retour en Amérique de Mike Deerfield, disparu et soi-disant déserteur. Justement, le scénariste de ce film de Paul Haggis, Max Boal, est aussi le scénariste et le co-producteur du film de Kathryn Bigelow. Boal est reporter pour Playboy, un mensuel dans lequel il n'y a pas que des chaperons rouges dévoilant leurs dessous à tous les coups, mais aussi des reportages fouillés sur des événements de société (l'écoute des oreilles de lapin sur toutes les cover). Boal a donc passé un an avec une brigade anti-bombes en Irak, afin d’écrire un texte sérieux sur les démineurs. Il ne s'agit pas de conscrits, mais de volontaires qui ont choisi l'intensité d'un métier qui, pendant la guerre, fait monter l'adrénaline comme dans le bac d'une F1 sur le circuit de Francorchamps, ou dans les essais d'un avion supersonique. Sauf qu'en Irak, les petites unités travaillent tous les jours pendant six mois.

Le grand art de Kathryn Bigelow n’est pas de sans cesse faire monter l'angoisse en crescendo dans les embûches des démineurs, mais de passer rapidement du silence de l'attente aux instantanés de l'explosion. Dans cette attente, dans la chaleur et la possibilité d'une explosion, Bigelow désynchronise l'image (les flammes) et le son (détonation). Passionnée par la peinture, la réalisatrice possède un sens aigu de l'image, du choix des axes (raz du sol) pour obtenir ce qu'elle veut. Outre une caméra principale, souvent dans l'axe du personnage ou des personnages, que ce soit en travelling ou sur l'épaule, elle utilise plusieurs caméras qui se baladent sur la scène (en extérieur dans le sable de la Jordanie) se déplaçant à la manière des Ninjas (dixit les acteurs).

Lorsque le sergent-chef James, essayant de s'extraire de son défi permanent avec la mort, échoue dans une relation avec l'autre, l’Oriental, ce qu'il voit proliférer autour de lui, ce sont des mercenaires bien mieux payés que lui ou des spectateurs (la planète médiatisée) qui se servent de leurs caméras pour en capter des images. Un horizon qui est l'horizon de la mort ou de la survie. Mais que signifie survivre ? Retrouver sa femme et son bébé voués à la surconsommation dans un super marché ? Ce que nous montre, avec ironie, la réalisatrice, pose la question de l'avenir d'une Amérique qui a remplacé son utopie de la conquête de l'espace par la conquête du monde. Du scaphandre des cosmonautes au scaphandre des démineurs.

Le sergent-chef James est-il une sorte d'Ajax, courageux et fou, comme son modèle, tel que nous le décrit Homère dans l'Iliade ?
«James a une aura d'icône, il nage dans les eaux mythologiques de l'archétype américain classique. L'audace et la démesure». (Kathryn Bigelow in Les Cahiers du Cinéma n°648).
Certes, Ajax est proche de la folie, mais ses successeurs ne paraissent pas mieux lotis.

Les Démineurs (The Hurt Locker) de Kathryn Bigelow, édité et diffusé par Belga home vidéo.