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Les Enfants du Sirat de Mustafa Balci

Publié le 01/12/2000 par Philippe Deprez / Catégorie: Critique

Les Enfants du Sirat de Mustafa Balci, réalisateur d'origine turque, se penche avec autant de vérité que de complicité sur les enfants de la rue d'Istanbul. Campé sur le Bosphore, la porte de l'Orient, ville aux mille minarets a vu sa population passer de deux millions d'habitants à douze millions en à peine vingt ans. Terrible réalité d'exode rural et de paupérisation extrême dont les enfants laissés à leur sort dans la rue sont les plus criantes victimes.


Les Enfants du Sirat de Mustafa Balci

 

Les Enfants du Sirat (un pont mythique décrit dans le Coran comme une voie menant au Paradis), le film document de Mustafa Balci s'ouvre sur une vue panoramique de la ville port du Bosphore, porte millénaire entre l'Occident et l'Orient.

Plan après plan, le réalisateur zoome sur la ville de lumière jusqu'à arriver au niveau du sol là ou les enfants cireurs de chaussures, mendiants ou encore joueurs de bandonéon aumônent pour quelques pièces.

Dans le dédale des rues de la mégapole, Mustafa s'est approché de cette véritable caste des laissés pour compte qui compteront vingt ans en l'an 2000. Le gouffre de leur regard trahit beaucoup plus de souffrance que leur âge réel.
Enfants à l'existence confisquée par leur destin ils "vivent " dans la rue et la précarité depuis dix ans ou plus.

Ils s'appellent Murat, Ozcam ou encore Irkam ; mais leur tragique sort est souvent semblable comme un décalque tragique. Abandonnés depuis leur plus jeune âge, enfants de couples éclatés ou incapables d'assumer leurs responsabilités parentales, ils viennent, évadés d'orphelinats (qui mélangent souvent éducation et violence physique). Issus des contrées les plus pauvres de la Turquie ils se retrouvent en bandes dans l'Istanbul underground.

Un underground qui n'a rien à voir avec un certain romantisme à la mode en occident mais qui au contraire se rapprocherait plutôt de la lutte permanente pour la survie. Un semblant d'existence, une ombre de vie uniquement supportable " grâce " au Tiner (un solvant volatile et psychotrope extrêmement toxique pour le système nerveux et le cerveau en particulier) qu'ils sniffent en quasi permanence.

Tout au long du film on perçoit le travail d'approche et de confiance mutuelle qui permet à Balci de découvrir ces enfants dont la maturité apparente n'est qu'un masque blindé qu'ils ont dû (pu ?) se forger pour faire face au réel. Une autre réalité derrière laquelle l'enfant qui porte dans son sac ses jouets et son ours en pluches n'attendait qu'une opportunité pour resurgir.

A mille lieues du reportage choc Les Enfants du Sirat hurle silencieusement la détresse de ces jeunes instillant un regard impliquant la révolte par rapport à la dureté de leur réalité si soumise, si silencieuse.
Leur existence ? Ils la subissent, sans recul , comme résignés, hypnotisés.
Leur rêve ? L'inaccessible : que le couple de leurs parents revive et que ceux-ci les retrouvent pour vivre dans un foyer heureux où ils pourront aimer, aller à l'école, vivre.
Leur espoir ? Qu'arrive vite l'âge de leur service militaire, qu'on les désintoxique à la dure et que sur leur période on leur apprenne un métier qui leur donnera la possibilité d'exercer un métier qui les réintègre dans la société.
Mais cette nuit encore ils dormiront à quinze dans une tente que la ville a mis à disposition des sans abris.
Serrés sous deux simples couvertures seul rempart contre la nuit et le froid, maigre voile qui dissimule à peine leurs corps couverts de cicatrices, traces de violences, d'automutilations ou de tentatives de suicide.

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