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Les portes de la gloire de Christian Merret-Palmair

Publié le 15/07/2001 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique
Les portes de la gloire de Christian Merret-Palmair

 

 

Portrait de groupe avec hommes


La génération Strip-tease est-elle en train de s'installer dans le cinéma de fiction? On assiste en tous cas ces dernières années à l'éclosion d'un genre de comédies sociales proches du ton et du regard qui caractérisent le magazine de Marco Lamensch et consorts. Un courant dans lequel nous, Belges, avons joué et jouons encore un incontestable rôle moteur. C'est une nouvelle fois la réflexion qu'on se fait à la vision des Portes de la gloire, premier long métrage de Christian Merret-Palmair, une comédie au vinaigre qui brosse avec beaucoup d'humanité le portrait de cinq hommes associés pour le meilleur et pour le pire dans une équipe de vente au porte-à-porte d'encyclopédies à l'intérêt pour le moins discutable. Même si d'autres influences sont passées par là, - dont celle de la comédie à l'italienne pour ne parler que de la plus évidente, - on y retrouve cette manière de regarder la société par le petit bout de la lorgnette, de s'attaquer avec un humour grinçant aux travers des petites gens pour dénoncer le malaise social. Les Portes de la gloire, c'est une histoire drôle, tendre et terrible, écrite avec beaucoup de soin et de jubilation par trois anciens des Carnets de Monsieur Manatane (dans Nulle Part Ailleurs, sur Canal +), ... et un film avec Benoît Poelvoorde.C'est étonnant comme on a l'impression d'avoir tout dit quand on a dit cela. On imagine effectivement le type de comédies noires dont Poelvoorde s'est fait une spécialité. On le voit reprendre son personnage de mythomane décalé qui entraîne les autres dans ses plans délirants, totalement inconscient de ce qu'il leur impose. On ne sait si on doit le détester à cause de son égoïsme, où être touché par sa générosité gaffeuse, terriblement humaine. Et c'est le gage d'une grande jubilation, car le comédien est imbattable, on le sait, pour jouer de cette ambiguïté dans laquelle il est comme un poisson dans l'eau. Ce serait une erreur, cependant, de réduire les Portes de la gloire à cette seule évidence.
Tandis que, dans les Convoyeurs attendent, par exemple, il occupait seul ce registre, Poelvoorde a ici du répondant : quatre comédiens formidables dans leurs personnages et qui lui tiennent la dragée haute. Le plaisir du film réside donc non dans le seul numéro de Ben, mais dans l'interaction soigneusement dialoguée de ces cinq mecs puissamment incarnés. On est en fait dans une comédie de moeurs qui dépeint avec amusement (et une pointe d'attendrissement) le comportement d'un groupe d'hommes entre eux. Même si le regard porté sur le fonctionnement de la société n'est pas des plus tendres. Dès la première scène (dans laquelle l'animateur d'un stage américain de motivation à la vente avise un retardataire, le fait monter sur scène et le met en pièces en le désignant au regard de ses collègues comme l'anti-exemple de ses théories), le ton est donné, et il ne se démentira pas. D'une part, il y a les idées de l'époque : la concurrence économique impitoyable qui transforme l'honnête homme en machine de guerre pour qui tous les moyens sont bons pour " faire du chiffre ", la religion du " winner/looser " dans laquelle réussite professionnelle rime avec cannibalisme social. D'autre part, il y a les hommes qui, bon gré mal gré, doivent se fondre dans ce discours, qui s'y conforment avec plus ou moins de foi, de bonne volonté, et de bonheur.

 


Ce mouton noir dont il est question dans la scène d'intro, c'est Jérôme Le Tallec (Julien Boisselier), un jeune homme qui se laisse vivre, mais qui est aussi le futur gendre de Beaumont (Jean-Luc Bideau), directeur des éditions Pégase : un self-made-man tyrannique et impitoyable. Ce dernier envoie le jeune homme se faire les dents parmi ses vendeurs itinérants dans le nord de la France. La première partie du film nous donne à voir l'intégration de Jérôme au sein de cette équipe et la transformation du jeune glandeur en vendeur comme les autres, puis le projecteur bascule vers Régis Demanet, le chef d'équipe (Benoît Poelvoorde). Un cas, comme on dit : solitaire, mythomane, ambitieux, il a des idées, mais elles ne sont pas adaptées aux situations. Il dit qu'il ira loin, mais personne ne sait où. Par l'entremise de Jérôme, il convainc Beaumont de le laisser expérimenter ses techniques de vente à l'américaine pour partir à la conquête de nouveaux marchés. La deuxième partie du film montre notre fine équipe tentant de vendre ses livres dans le sud de la France en appliquant les théories de Demanet. Hélas, celles-ci foirent les unes après les autres et derrière le système de vente, derrière l'équipe soudée, les failles, les hommes, apparaissent.
Les scénaristes ne s'en cachent pas, les Portes de la gloire est un film de gars. Toute référence féminine a été soigneusement éliminée (le personnage de la femme de Demanet, originellement prévu, a été coupé au montage) ou réduite à sa plus simple expression (l'épouse de Jérôme). Entre ces vendeurs, pas de grandes histoires d'amitié virile, comme dans l'Aventure, c'est l'aventure, mais plutôt des rapports de compétition, incarnés par cette obsession du chiffre que chacun atteint selon ses méthodes, mais avec la même absence de scrupules (Etienne Chicot jouant avec subtilité de la rivalité des propriétaires de deux maisons jumelles, ou Michel Duchaussoy attribuant aux Aztèques l'invention du cramique). Il y a aussi le conformisme, plus ou moins subi, avec le discours économiste ambiant. Demanet s'en est fait une religion, mais c'est une cuirasse pour masquer son mal-être avec les autres et son vide intérieur. Ses collègues suivent, par lassitude, par vocation, ou parce qu'il faut bien gagner sa vie.
La répercussion sociale de la comédie est cependant l'endroit où fait le plus mal la seule frustration d'importance. D'un point de vue scénaristique, le film, on l'a dit, est clairement composé de deux parties articulées autour de la scène du mariage de Jérôme. Si la première, qui montre l'initiation de Jérôme à la dure condition de VRP, a une pêche d'enfer, on sent l'équipe nettement moins à l'aise dans la seconde (l'application des théories de Demanet dans le Midi). La baisse de régime est sensible, comme si les scénaristes ne pouvaient - ou ne voulaient - tirer pleinement les conclusions de leurs brillantes prémisses. Pourtant, quitte à manier l'acide, autant aller jusqu'au bout, surtout quand on peut compter en la matière sur l'abattage de comédiens tels que Poelvoorde et ses collègues. " Le film qui vous déshabille ", a écrit à son propos une de nos collègues (d'outre-Quiévrain). Ouais... Dommage qu'il vous permette de garder le slip.
Reste la comédie de moeurs, cinq acteurs savoureux, des scènes désopilantes, des dialogues frétillants, le regard caustique sur le monde, présentéq avec tout le savoir faire d'une équipe rompue au divertissement sur le mode sauvage. Largement de quoi passer un bon moment.

Les Portes de la gloire
35 mm, couleurs, 89'
Scénario, adaptation et dialogues de Pascal Le Brun, Christian Merret-Palmair et Benoît Poelvoorde. Réal. : Christian Merret-Palmair. Image: Pascal Rabaud. Mont. : Philippe Bourgueil. Son : Dominique Warnier. Int. : Jérôme Boisselier, Benoît Poelvoorde, Etienne Chicot, Yvon Back, Michel Duchaussoy, Jean-Luc Bidault. Prod. : Noé Productions, Entropie Films, Artémis Productions, M6, Bac Films.

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