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Les Survivants de Luc Jabon

Publié le 09/09/2016 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Pour son premier long-métrage, Luc Jabon, scénariste réputé (Le Maître de Musique de Gérard Corbiau, Marie de Marian Handwerker), interroge les valeurs d'une société occidentale gangrenée par un capitalisme destructeur et une surveillance généralisée des individus.

Les Survivants de Luc Jabon

Après quinze années passées en prison, Nicolas Roulet (Fabrizio Rongione) essaie de se construire une nouvelle vie. D'emblée, il trouve refuge auprès de ses anciens camarades dont John qui l'accueille dans le squat qu'il occupe avec d'autres activistes d'extrême-gauche. Les jeunes recrues ont pris la relève de ces idéaux dont Nicolas voudrait faire le deuil. Considéré par beaucoup comme un héros d'une révolte toujours en cours, Nicolas refuse ce nouveau rôle de porte-drapeau. Il s'acharne à essayer de fuir ce passé trouble qui lui a fait manquer une partie de sa vie.
Grâce à une mise en scène feutrée et un rythme doux, Luc Jabon privilégie la tentative de Nicolas de se réinscrire dans un monde qui n'aurait changé qu'en surface; les violences, les inégalités et les oppressions étant toujours à l'œuvre dans une société profondément excluante. De la cellule de prison à la cellule du squat, Nicolas va devoir faire face à ses fantômes, à ses erreurs et à son futur encore opaque. Son parcours vu par le cinéaste semble aussi être une quête de son désir. Nicolas ne sait plus ce qu'il veut ni ce en quoi il croit. En trouvant du travail, il pense peut-être se fondre dans la masse, se faire oublier pour espérer trouver une nouvelle façon de s'ancrer. Le point d'arrimage sera-t-il Nadia (éclatante Erika Sainte), sa collègue de travail dont il tombe amoureux ? La bisexualité de ce personnage en dit long aussi sur l'instabilité dans laquelle se trouve Nicolas. La grande force du film tient d'ailleurs dans cette instabilité, dans cette incapacité du personnage à se fixer. Son errance dans la ville, ses allers et venues sont les marqueurs de cette indécision mais aussi de cette exclusion. Nicolas n'est nulle part à sa place ou est toujours de trop (le plan sexe à 3, les envies violentes des jeunes). Survivant, il est aussi désormais seul.
Si le scénario s'embrouille dans l'enquête policière et un final, en répétition du trauma, plutôt attendu, le rythme flottant traduisant les états d'âme du personnage crée un climat surprenant. Le film donne surtout la pleine mesure du talent de Fabrizio Rongione, magnifique Nicolas, dont la palette de jeu s'affirme tout en finesse et intensité. Toujours juste, le comédien offre à ce personnage un peu effacé, une présence étonnante. Et rejoint le désir enfin exprimé du personnage : rester autonome, en marge. Sur les berges d'un fleuve qui emportent les vivants.

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