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Lettre ouverte de Vincent Lannoo sur les déboires de Strass

Publié le 01/07/2002 / Catégorie: Entrevue

"S'il y a une chose que nous aura rapporté notre film Strass, c'est bien une panoplie assez complète de billets d'avion"

 

Vincent Lannoo réalisateur de Strass

 

 

En ce mois précédant juillet-août, nous entamons la publication de l'odyssée festivalière deStrass, premier long métrage de fiction de Vincent Lannoo, réalisé selon les principes de Dogma. Présenté, en Communauté, au Festival du film francophone de Namur, le film a parcouru le monde de festivals en festivals. Nous avons demandé à Vincent Lannoo de nous dévoiler l'envers du décor de ces lieux magiques qui voient un film projeté suivant un décorum particulier devant un public souvent passionné et passionnant. Dans le webzine de septembre, vous pourrez lire la suite de ces aventures et, en même temps, le découvrir en salles. S'il y a une chose que nous aura apporté notre film Strass, c'est bien une panoplie assez complète de billets d'avion. Il y a tout juste un an, Carlo Ferrante (acteur), Gilles Bissot (chef opérateur), Frédérique Broos (monteuse) et moi-même débarquions au Festival de Montréal sans savoir ce qui nous attendait. Avec Pierre Lekeux, acteur principal et producteur du film, nous avions décidé qu'un maximum de personnes de l'équipe devait profiter d'un éventuel succès en festival. Pierre n'était pas avec nous à Montréal parce qu'il préparait déjà la suite des événements à Bruxelles (je pense surtout qu'il avait peur de l'avion). Le festival ne commençait que le lendemain de notre arrivée ; nous avons donc tiré parti de notre nombre et de notre position de premiers présents pour faire « copain-copain » avec l'équipe du film (Festival des films du monde). Nos petites affiches faites maison ne pesaient pas très lourd face à celle des grosses productions en compétition... Pas grave, on en mettait partout... Surtout là où on ne pouvait pas.

 

Très vite, nous nous sommes retrouvés dans un monde que nous ne pensions pas accessible si rapidement. Après une "montée des marches" aussi hilarante qu'inattendue entre Emmanuelle Béart et Miss Canada, c'est la première projection du film qui nous a le plus surpris. La salle hurlait de rire. Ensuite, entre les Américains qui nous sautaient dessus pour avoir une interview, les Belges présents, pantois, qui nous affirmaient leur soutien et les Canadiens qui voulaient être les premiers à acheter le film, notre bonheur et notre excitation nous faisaient dépenser un argent que nous n'avions pas dans les diverses fêtes qui animaient le festival, et à côté desquelles les orgies romaines auraient fait figure de kermesse aux boudins. Magnifique.

 


Dur, très dur, le retour au royaume. Aurions-nous oublié que nous n'en étions pas les rois. Pierre nous rappela à l'ordre à notre retour : "Toujours pas de distributeur en Belgique, les gars, le boulot est loin d'être fini". La banque réclamait un argent que je n'avais toujours pas. 11 septembre, les promesses américaines s'effondrent... Notre naïveté également.
Alors que Pierre apprenait avec fierté que nous étions sélectionnés au Festival de Mannheim-Heidelberg, nous nous préparions au Festival de Namur. Une grande partie de l'équipe était présente lors de la projection de presse du dimanche matin et il semblait une fois de plus que le succès était au rendez-vous. Gaëtan (acteur) vint de Paris pour participer à la fête et les nombreuses chambres et repas que nous demandions au festival semblait entamer sérieusement le budget censé nous revenir... Courte négociation... L'équipe de ce festival était décidément sympathique. Les fêtes y étaient plus gauloises qu'à Montréal mais ç'avait l'avantage de ne pas trop nous éloigner de la réalité.

 


Je venais d'arrêter de fumer et ne buvais donc pas (l'un ne va pas sans l'autre au début). Alors, muni de la caméra avec laquelle nous avons tourné Strass, je décidai de continuer la chronique commencée à Montréal. Pierre était plus que présent cette fois et apparaissait comme une sorte de demi-star vers laquelle les journalistes se précipitaient. Jalousie ? En tout cas, un débat éclata au sein l'équipe sur la manière de communiquer sur le film... Étions-nous unis ? Étions-nous d'accord ? Fallait-il en éloigner certains qui prenaient trop de place ? On se demande comment les Spice girls ont tenu si longtemps ensemble.
Quelques professionnels du cinéma belge se pressèrent pour voir le film et, milieu oblige, cherchèrent ce qu'ils n'y aimaient pas... le pire, c'est que j'aurais fait la même chose (crétin). Certains cependant continuaient à nous encourager en voyant l'enthousiasme public suscité par le film et les mêmes regrettèrent que nous n'ayons pas le Grand Prix ou un prix d'interprétation. Nous remportions pourtant le joli Prix du scénario (SACD) qui me permit de payer la note de Montréal.
Le journal du cinéma de Canal+ Belgique existait encore à ce moment-là et fit un très beau sujet, sentant l'ambiance qui régnait dans l'équipe.

 


Photo dans la presse. Ma grand-mère est fière et les distributeurs belges s'en foutent. On signe avec Remstar, deuxième distributeur canadien. Le film sortira en mars à Montréal.
Deux jours après le bon souvenir du Festival francophone de Namur, il était temps de payer la note de notre langue maternelle au Festival de Gand, car le communautarisme nous apparut comme extrêmement présent dans cet événement à paillette. L'accueil y était inexistant et ne justifiait en rien la gigantesque dépense de la Communauté flamande. Dans ce festival voulant être la vitrine du cinéma belge, on ne nous aimait pas. Là où le premier film Dogme argentin avait droit aux honneurs... Strass, premier dogme belge, était transparent. Nous gueulâmes... on nous offrit une bouteille de champagne.


Cinessone... Festival charmant en périphérie parisienne... Mention spéciale du Jury... Hôtel pas terrible... Pierre nous présentait enfin sa femme et Hélène Ramet (actrice) ralliait notre équipe de combat.
Abitibi témiscamingue... Le festival imprononçable du fin fond du Québec accueillit, à la fin octobre, deux comédiens courageux : Carlo et Gaëtan. L'accueil y était apparemment fantastique. Une bande de jeunes y déifia Gaëtan tandis que Carlo installa avec habileté la sortie du film en mars. Pierre et moi recevions des coups de téléphone tard, le soir, décrivant l'euphorie que nous manquions.


Retour heureux, quoiqu'un peu difficile pour Gaëtan qui, à son tour, avait du mal à redevenir un simple mortel.
Le mois de novembre devait être le mois de Pierre avec le festival de Manheim-Heidelberg en Allemagne. Notre stratégie s'était légèrement affinée depuis Montréal ; Pierre n'avait pas perdu son temps en ayant peur de l'avion et avait fait des dizaines d'envois et de contacts pour préparer notre invasion au pays de l'ordre. Carlo, Pierre et moi fîmes un voyage d'adolescent, écoutant la musique très fort et riant à des blagues salaces. Superbe hôtel post-fasciste, Marianne Sagebrecht dans l'ascenseur, accueil souriant et prometteur. Pendant la première projection (il y en eu onze), le publique riait tellement que Carlo et moi ne cessions de nous regarder pour nous faire des grimaces, affichant notre étonnement et notre bonheur.

 

À la sortie, une surprise m'attendait, la jeune soeur de Lionel (acteur du film et ami d'enfance) affichait un large sourire, fière de pouvoir me présenter aux amis qui accompagnaient son séjour d'échange universitaire.
Cette rencontre fut une véritable aubaine car la jolie blonde et ses amis nous aidèrent à rameuter des jeunes susceptibles de venir voir le film. Elle nous fit également visiter la coquette ville d'Heidelberg ainsi que ses hauteurs qui nous apprirent que Pierre était sujet au vertige. Ce soir-là, il y avait une procession d'enfants avec des lanternes en papier... Nous bûmes du vin chaud pour trouver le courage de tricher pour le Prix du public. Nos jeunes amis étaient ravis de pouvoir nous aider en remplissant de faux bulletins de votes pour en bourrer les urnes.

 

Carlo, qui avait quitté Mannheim pour rejoindre sa troupe de théâtre en tournée en Corse, ne nous accompagna pas au Forum européen de Strasbourg qui devait couper notre présence à Mannheim-Heidelberg en deux. C'est à Strasbourg que j'ai grossi le plus. Nous redevenions des rois cette semaine-là. Je ne fumais toujours pas, mais je mangeais les soupes à la crème alsaciennes ainsi que les desserts à la crème et de succulents plats en sauce à la crème. La salle était bondée grâce l'incendie d'un autre cinéma et de l'annulation des séances qui y étaient prévues, et ce fut l'une des plus des belles projections que nous ayons eues, prouvant que le public français comprenait le film et de surcroît, l'appréciait.

 

Ce fut en plus une très belle rencontre avec les membres du jury : Said Taghmaoui, Émilie Dequenne, son charmant copain, le troublant Christopher Lee et Andrzej Zulawski qui m'avait déjà remis le Grand Prix du Festival de Bruxelles pour J'adore le cinéma(ça ne fait pas de mal de se faire plaisir).
Pas de prix, mais plein de bonheur et la promesse de Suzelle Piétri de me placer à la table d'Emmanuelle Béart aux rencontres de l'Adami, un mois plus tard (détail important pour la suite de l'aventure).
Prise de position au parlement européen devant les caméras de BBC World contre l'hégémonie d'un cinéma fast food qui ne laisse plus de place au cinéma à la crème que nous aimons tant (et qui ne coûte pas plus cher aux spectateurs).
Notre retour au festival de Mannheim nous fit vite déchanter... Mais ça, je le raconterai dans le prochain numéro...

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