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Louise-Marie Colon à propos de Paola, la poule pondeuse

Publié le 08/04/2009 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

« Semer des graines, arroser, récolter » et picorer !

À Anima, J’ai faim, qu’on découvrira bientôt à Annecy où il est sélectionné, coordonné par Louise-Marie Colon avec Delphine Hermans, nous avait ravis. Mais c’est Paola, la poule pondeuse, coordonné cette fois avec Quentin Speguel, qui chavira nos cœurs et emporta notre adhésion. D’une part, le film détonnait par rapport au panel plutôt déprimé que le court métrage belge nous présentait. Il était gai, joyeux, enlevé et drôle. D’autre part, il réinventait, à sa façon naïve et fraîche, une position politique forte, en proposant une alternative au monde du travail, qui nous enchantait.

Louise-Marie Colon, tranquille et douce, semble, elle aussi, réinventer une manière de faire du cinéma qui tranche avec celle des écoles. Animatrice chez Caméra etc. depuis six ans, c’est pourtant bien là une grande partie de son travail, mener des ateliers avec des enfants à qui elle apprend le cinéma d’animation. Et peut être que toute la différence est là, dans cette façon d’aborder le cinéma d’animation comme un travail commun, un plaisir qui se pratique à plusieurs, un jeu du « on dirait que… » lancé ensemble.

Parcours en pas de côté.

Cinergie : Comment es-tu arrivée au cinéma d’animation ?
Louise-Marie Colon :
C’est une grande histoire ! Je n’ai pas fait du cinéma d’animation dès le départ. J’ai fait mes études, et puis je suis devenue institutrice dans le primaire. J’ai enseigné un an et ça ne me convenait pas du tout. J’ai arrêté, et j’ai pris un peu de temps pour réfléchir et trouver autre chose. C’est à ce moment-là que j’ai participé à l’atelier Zorababel et à son premier film collectif, Barbe Bleue. J’ai découvert, pour la première fois, le cinéma d’animation et ça m’a beaucoup plu. J’ai repris mes études, et j’ai fait La Cambre. Là, j’ai fait des films qui ont pas mal marché et qui ont été sélectionnés dans des festivals.

 

C. : Lesquels ?
L-M. C. :
Il y a eu Paulette, en 2001, mon tout premier film d’école, sélectionné au Festival de Cannes. Et puis j’ai réalisé Tabernacle, Pingouin et Petit. Mon premier film professionnel, coproduit par Caméra etc. et Les films du Nord d’Arnaud Demuynck, était La Poupée Cassée, qui est aussi le premier film d’auteur produit par Caméra. Il a été récompensé à Anima en 2005. Dans le cadre de Caméra etc., je crois que j’ai fait une soixantaine de films. Paulette est encore bizarrement  un film qui parle de vache et de poule ! C’est l’histoire d’une vache qui vit dans une famille de poules et cherche un peu son identité. C’est une espèce de remake agricole du vilain petit canard ! Mais je ne fais pas que dans les vaches et les poules (rires).
Pour Paola, c’est un pur hasard. Ce film s’inscrit dans un gros projet que nous avons avec un partenaire, Miel Maya, qui vend des produits à base de miel fabriqué au Mexique et au Guatemala et qui a toute une démarche de sensibilisation au commerce équitable. Nous avons réalisé toute une série de films qui traitent de près ou de loin du commerce équitable. Ici, nous voulions aborder plutôt la condition des travailleurs, mais avec des enfants, c’était chouette de parler d’animaux plutôt que d’êtres humains. Et finalement, cela fait double emploi, parce que cela fait aussi référence aux animaux en batterie.

 

C. : Comment es-tu arrivée chez Caméra etc. ?
L-M.C :
J’ai rencontré Jean Luc Slock, le producteur, qui faisait partie du Jury à La Cambre. J’ai travaillé chez lui pendant les vacances en tant qu’étudiante et finalement, je ne suis jamais partie (rires). Je n’ai pas achevé mon cycle à La Cambre, où j’avais passé trois ans, parce que cela n’avait plus grand sens. Caméra etc., c’est chouette, non seulement on fait des films avec des enfants, des adolescents ou des adultes, mais il y a aussi des projets internationaux et des films d’auteur. Compte tenu de ces conditions (rires), je me suis dit que cela me convenait ! C’est assez varié tout en pouvant inclure des projets personnels.

 

Genèse de notre amie Paola

C. : Paola est un scénario que tu as écrit ?
L-M.C. :
Cela s’est fait avec les enfants. Nous avons travaillé avec trois classes de deuxième primaire donc une cinquantaine d’enfants de 6 ans. Il fallait faire participer tout le monde. On a donc mis en place une espèce de canevas, et on leur a proposé des choses. Ils ont choisi les personnages, ce qu’ils allaient faire et ont élaboré le scénario. Quand je fais un film avec des enfants, je ne sais jamais très bien ce qui vient d’eux ou de moi. Mais si je me souviens bien, nous sommes arrivés avec la poule et la vache... En tout cas, avec la poule, j’en suis sûre, en leur disant « Une poule travaille dans une usine, qu’est-ce qu’elle fait ? ». Ils ont fait pas mal de dessins, imaginé sa vie là-bas, si elle se sentait bien ou pas. Ils lui ont trouvé un nom. On a fait le scénario comme ça, en six parties, en voyant les classes séparément. On élaborait le scénario ici, et puis on allait le proposer aux classes. Une fois que nous étions d’accord, on continuait à imaginer l’histoire. Je n’ai pas l’habitude de travailler comme ça. D’habitude, un groupe s’approprie le scénario. Mais là, il fallait jongler avec trois classes, cela nous a donné du travail, ça n’est pas si facile avec des tout-petits. Ils ont plein d’idées, mais s’écouter reste difficile. Il y a beaucoup d’énergies (rires), plein d’idées qui viennent… Il fallait faire des choix, tout en essayant que tout le monde s’y retrouve. Ça, ça m’inquiète toujours, qu’il n’y ait pas de frustrations.
Une fois qu’on est sûr qu’il n’y en a pas, on peut repartir travailler et nourrir l’histoire. Pour fabriquer les images, par contre, c’était chouette qu’ils soient autant, parce qu’on avait plein de poules, de vaches, d’arbres, de collines !

 

C. : Quelle est la technique utilisée dans Paola ?
L-M. C. :
Ce sont des personnages en pâte à modeler écrasée sur du papier. Le papier a été picoté. Les petits ne sont pas très habiles avec des ciseaux. Ils dessinent un énorme rond, quand ils ont fini de découper, il n’en reste rien (rires). Nous avons donc utilisé une technique de la maternelle, qui consiste à picoter le papier le long de pointillés dessinés avant.

 

C. : Combien de temps vous a-t-il fallu pour réaliser le film ?
L-M.C :
Un mois, et une dizaine de jours dans l’école. Chaque classe a eu droit à 3 ou 4 jours. C’était rapide parce qu’ils sont spontanés, qu’on n’a pas le temps de réfléchir beaucoup, qu’il y avait pas mal de main d’œuvre. Et puis on a fait le son avec les enfants, on monte tout ça (cela prend une semaine en général), et on revient à l’école montrer le film. En principe, il y a 12 enfants et deux animateurs de caméra pour gérer l’atelier. Pour les stages de vacances, comme c’est le cas de J’ai faim, ça se passe sur 4 ou 5 jours, mais nous n’arrivons pas non plus les mains dans les poches ! Il y a tout de même une réflexion des animateurs. Nous proposons des choses pour déclencher l’imaginaire des enfants. En général, il y a un jour de préparation pour une journée dans l’école. Et puis il faut compter 5 jours pour le montage. Personnellement, j’ai plutôt travaillé 30 jours sur le projet que 12 (rires). Quand on fait un film personnel, on passe 6 mois dessus. Et ce n’est pas forcément mieux… Mais on est moins nombreux !


Les graines qu’on sème (plus celles qu’on picore)

C. : Paola a un thème très politique
L-M.C. :
Oui, le film traite d’un sujet engagé, à cause de notre partenaire sur ce projet. Souvent, lorsque nous arrivons dans les écoles, les directeurs ou les instituteurs nous proposent d’aborder un thème avec les élèves. Là, c’est venu de l’extérieur, mais l’école était tout à fait d’accord pour traiter cette question. Les enfants ont rencontré une personne qui leur a parlé du commerce équitable, qui a fait des jeux de rôles pour les sensibiliser au problème. Avec des tout-petits, ce n’est pas nécessaire de faire de grandes théories sur les problèmes dans le monde. J’ai l’impression qu’on sème une graine, qu’on l’arrose et qu’on récolte. On est là pour déclencher des choses. On peut très bien arriver et dire « On va parler d’une poule qui vit dans une usine » et ils ont tout de suite des images qui leur viennent. Parfois, on fait des jeux de rôles, on se met dans la peau de la poule, c’est aussi comme ça que nous avons construit les dialogues.
Cette graine, je l’ai amenée. J’essaie de venir avec quelque chose qui va leur donner des images et je récolte. Cela fait six ans que je travaille chez Caméra etc. Au début, j’avais peur que les enfants n’aient pas d’idées avec ce que je proposais. Donc, je faisais l’exercice : si je me donne ça comme graine, qu’est-ce que je vais pouvoir inventer ? Et je me rendais compte que parfois, malgré moi, j’influençais les enfants par rapport à tout ce que j’avais pu imaginer. Maintenant, je n’essaie même plus de savoir. Ils ont toujours des idées, ils n’osent pas toujours les exprimer et il faut alors travailler sur la confiance, mais c’est tout. Et ça me surprend. Parfois, je me dis « Mais oui, c’est évident et c’est génial et je n’y aurais jamais pensé ! » Par contre, quand j’écris un scénario pour moi, je me prends beaucoup plus la tête (rires). C’est un peu frustrant, c’est dingue ce qu’on arrive à faire en un mois de temps. Pour mes films, je réfléchis un an avant d’écrire un mot sur le papier !

 

Créer, seul, à plusieurs

C. : Pourquoi, à ton avis ?
L-M.C. :
Ce n’est pas le même travail. En tant qu’animatrice, je me mets au service des enfants, des projets, de ce qu’ils ont envie de dire. C’est l’occasion de donner la parole à d’autres. Quand il s’agit de prendre la parole soi-même, c’est différent. Et puis, nous sommes deux animateurs, on réfléchit à deux, on prend les décisions à deux. Je n’ai pas du tout l’impression de réaliser ces films d’atelier. D’ailleurs, dans le générique, nous n’avons pas « réalisé » ces films, nous les avons « coordonnés ». Portrait de Louise-Marie Colon, réalisatrice du film Paolo Poule Pondeuse.Paola n’est pas MON film. Je n’ai pas dit : « On va faire cette histoire-là », j’ai fait travaillé 50 enfants pour arriver au bout ! Pour moi, ce sont deux métiers totalement différents.

 

C. : Est-ce que travailler avec des enfants nourrit tes projets personnels ?
L-M. C. : Graphiquement, oui. Je trouve qu’ils font des trucs terribles ! J’adore (rires) ! Il y a une spontanéité chez les enfants ! J’aime beaucoup leur façon de colorier super trash, leur fraîcheur. Parfois on travaille avec des adolescents ou des adultes et c’est complètement différent. Les adultes se prennent beaucoup plus la tête, ils ont peur de ne pas savoir dessiner. Alors que je pense que tout le monde sait dessiner. Certains mieux que d’autres, ou avec une maîtrise différente, mais il ne faut pas avoir fait des études de dessins pour faire des films d’animations ! La preuve : on fait des films avec des enfants ! Eux, ne se posent pas la question. Les plus grands ont déjà un peu plus d’inhibition. Ils disent : « Oh, mais je ne sais pas faire une vache… » Et c’est triste parce que ce qui est chouette, c’est que, justement, quand ils font une vache sans se poser de question, on arrive à des trucs incroyables ! Je crois qu’il faut dédramatiser le côté graphique. Une vache, c’est juste deux oreilles, deux cornes et un pi. En ce moment, je suis sur un projet avec des éléphants et il y en a de formidables ! Je n’aurais jamais fait un éléphant comme ça, mais ils sont magnifiques ! C’est ce que j’aime dans le cinéma d’animation, tout est possible. Avec la vidéo, on est toujours lié à la réalité. Et puis, j’aime ce côté collectif, tous les enfants s’approprient Paola, c’est la poule de tout le monde, et le film appartient à chacun. Je ne voudrais pas cette responsabilité-là, d’ailleurs, de devoir choisir qui fait quoi.

 

C. : C’est pour cela que tous les enfants font la voix-off du film ?
L-M. C. :
Oui, ça c’est quelque chose que j’aime vraiment faire quand c’est possible, comme ici et dans J’ai faim, par exemple. Avec la voix-off, tout le monde peut dire un bout de phrase, ça met tout le monde au même niveau. C’est aussi cela qui rend le film collectif.

 

C. : À voir les films d’auteur produits par Caméra etc., on a le sentiment que vous êtes tous nourris par ce travail avec les enfants.
L-M.C. :
Effectivement, cela nous nourrit. Je pense que si je travaillais tout le temps en atelier, j’aurais des frustrations, j’aurais envie de dire des choses, et à l’inverse, sans atelier, si je devais tout le temps dire des choses, cela me fatiguerait (rires). J’aime avoir cette liberté, de dire quelque chose quand j’ai envie de la dire, et pas avec un couteau sous la gorge. Pouvoir alterner les deux, c’est important, c’est une alchimie, un équilibre que je veux garder. J’ai travaillé six mois comme assistante sur L’Enveloppe jaune de Delphine (Hermans). Je me souviens que j’avais hâte de finir mes projets scolaires avec les enfants pour me retrouver devant ma table à dessin. Au bout de six mois, j’avais vraiment hâte de retourner dans une école ! Et puis j’aime que ça aille vite. Dans mes films, je veux que mes dessins soient assez simples parce que je dois les refaire 5000 fois  !

 

C. : As-tu des projets personnels en ce moment ?
L-M.C. :
Oui, j’écris un scénario que j’aimerais déposer à la Commission en septembre, mais rien de très clair pour le moment.

 

Faire ensemble et chambouler

C. : Finalement, tu es restée à l’école, alors ?
L-M.C. :
Oui, mais je n’apprends pas les maths ou le français aux enfants !

 

C. : Tu leur apprends le cinéma ?
L-M.C. :
Je ne sais pas si je leur apprends le cinéma. Ils apprennent le cinéma, mais je ne fais pas de cours de cinéma. Je leur donne la possibilité de faire un film. Et ce que j’aime beaucoup dans le métier que je fais, c’est que ça touche effectivement à plein de choses. On fait tout du début à la fin : le scénario, la fabrication des personnages, des décors, l’enregistrement des voix et des bruitages et il faut déployer plein de patience et de précision. Je pense que les enfants, après avoir fait un film, ne voient plus les images de la même façon. Ils savent comment ça se passe, le boulot que ça représente. Au niveau de l’histoire, ils décortiquent certaines choses plus facilement. Ils ne sont plus tout à fait les mêmes. S’il y a une éducation, c’est par la pratique.
Et puis, ce que j’aime bien, c’est que cela chamboule les hiérarchies dans la classe. Souvent, il y a le bon élève, l’intello qui fait toujours tout bien, et ceux qui sont à la traîne. L’instit et les élèves ont cette vision de la classe. Je remarque que souvent, quand on quitte une classe après un mois de travail, les choses ont changé. Celui qui était à la traîne va peut-être avoir des idées géniales pour le scénario, super bien dessiner ou faire des voix super pour la bande son. L’intello, si ça se trouve, ne saura rien faire de ses 10 doigts et trouvera son bonheur dans autre chose. Lorsqu’on fait nos évaluations en quittant une classe, on leur demande ce qu’ils ont préféré et ce qu’ils ont le moins aimé. Ils ont toujours forcément trouvé leur plaisir quelque part. Et puis il n’y a pas un seul projet qui n’ait pas abouti. Certains films sont mieux que d’autres, parce qu’une alchimie a pris corps, mais il y a toujours un film à la fin et les enfants sont toujours fiers. Les instituteurs sont souvent surpris car lorsqu’on arrive, ils doutent que leurs élèves en soient capables. Ce qui est bien, c’est qu’ils changent d’avis (rires).

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