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Luc Jabon

Publié le 15/01/2001 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Luc Jabon

Un Japonais. Pardon ? Oui, pas seulement à cause d'une touch zen qui fait partie de son charme mais pour l'oreille. Pardon ? A l'instar des Japonais (l'archipel nippon compte une population de 30% d'audiophiles, record mondial absolu), Luc Jabon s'est aménagé un salon de musique tapissé d'une vaste collection de disques (vinyles et CDs). Au centre, une chaîne hifi, avec enceintes d'un mètre cinquante ayant une image sonore lisible et précise jusque dans le grave, disposant d'un remarquable agencement des plans sonores. Bref, ils vous donnent l'impression, lorsque le flux musical s'en échappe, d'être dans le groove, à un mètre des instrumentistes.

Tout ça n'a rien de surprenant puisqu'on doit à Luc Jabon les scénarios de toute une série d'émissions consacrées à la musique réalisées par Gérard Corbiau, diffusées par la RTBF et qui ont obtenu deux Antennes de cristal (de 1981 à 1984 : Chronique d'une saison : un portrait de José van Dam, Sax, Wozzek : autour d'un opéra, À la recherche de S., La Monnaie au fil du temps : regards sur un lieu et La Voix de cristal, Prix de l'originalité à Bergame).


Un pull à col roulé gris clair, un jeans foncé, Luc Jabon, installé confortablement sur un canapé bas, fait face à votre serviteur, entouré de piles de livres comme à la FNAC, en fin d'année. Les murs sont tapissés de bibliothèques qui croulent de bouquins de philo, de récits de voyage, d'essais en tous genres, de romans, de livres de cinéma parmi lesquels on distingue l'album Truffaut-Hitchcock, le volume de la Pléiade, sur papier bible, consacré à Michaux, et le dernier recueil de nouvelles de Jim Harrisson.
Né dans les années cinquante, Luc Jabon passe son enfance, au Congo ex-belge, dans la brousse : « On avait une vie nomade. Le métier de mon père l'obligeait à se déplacer sans cesse. J'ai donc eu une scolarité floue avant notre retour en Belgique, en 1960. À mes yeux d'enfant, la réalité était double : magique (les conteurs africains, les griots, les sorciers) et effroyable (la fuite en 1960, la mort côtoyée à plusieurs reprises) », précise-t-il le front plissé. Pour ce qui est du cinéma, il a le souvenir de projections de films de Chaplin et même du Lo Seicco bianco de Federico Fellini, organisés par les missionnaires, en plein air, of course. Pendant ses humanités, ses professeurs, ayant remarqué sa passion de conteur d'histoires, lui conseillent de s'inscrire à l'IAD afin d'apprendre à les écrire. Nous sommes en 1968, l'enseignement est secoué par des vagues successives de contestations, de remises en cause du magistère des professeurs.
L'IAD est en co-gestion, Luc Jabon et Jean Mulders réclament l'autogestion. Grève. Celle-ci se termine par le renvoi déguisé des leaders du mouvement. Jabon, après un bref intermède parisien (les cours d'analyse du récit de Roland Barthes et de Jean Ricardou), ouvre une bouquinerie, rue des Chapeliers (rendez-vous de beaucoup de futurs cinéastes, dont Marian Handwerker qu'il avait cotoyé à l'IAD). « Ça m'a permis d' écrire des scénarios, sans avoir trop de soucis matériels.
Le Voyage d'hiver a été écrit avec Marian Handwerker qui l'a réalisé en 1982, mais c'est surtout ma collaboration à l' écriture du Maître de Musique qui a été déterminante dans la mesure où, le film, réalisé par Gérard Corbiau en 1987, a été une sorte d'étendard. Son succès a relancé l'intérêt du cinéma francophone auprès du public et de la critique. Il a changé l'image négative qu'avait notre cinéma ».


Il réalise De clou à clou, un court métrage quasi muet qui donne un aperçu singulier de la Biennale d'art de Venise (des ouvriers accrochent les oeuvres d'art puis les décrochent), suivi, en 1989, de Le Diable dans la philosophie, une fiction documentée sur Eric Clemens, le philosophe « dans lequel interviennent Jean-Pierre Verheggen (l'écrivain) et Marian Handwerker (un diable très convaincant) ». Après un moment de silence, il précise, avec une expression vaguement dubitative : «Au départ, il s'agissait d'un dialogue entre Éric Clemens et Max Loreau. Celui-ci étant tombé gravement malade, le projet a évolué, il s'est recentré sur Clemens qui s'est mis à nu.
J'ai voulu montrer de quoi se nourrit le philosophe pour écrire. » Trio Bravo, réalisé en 1993, lui permet de joindre l'utile à l'agréable, sa passion pour le cinéma et le jazz. La même année, il co-écrit le scénario de Marie, tourné par Marian Handwerker avec Marie Gillain et qui a eu un succès mérité chez nous. Cinq ans après, il reprend sa collaboration avec Handwerker pour Pure Fiction, un scénario auquel participe également Philippe Elhem. Rayon téléfilm, le panier de la ménagère est plein. Retenons les deux scénarios co-écrits avec Luc Boland et réalisés par ce dernier : Une sirène dans la nuit et Force 2 .


« Actuellement, je travaille avec Philippe Blasband au scénario de Le Carcajou, un long métrage pour Jean-Marc Vervoort, à La Colère du diable, un téléfilm unitaire que devrait réaliser Chris Van der Stappen et à un scénario de long métrage pour Pierrot de Heusch : Les Pièces à trou ». Tout cela ne l'empêche pas de transmettre son savoir en écrivant de multiples articles où les Écrits de Lacan gambadent allégrement avec la Rhétorique et la Poétique d'Aristote, et en enseignant l'écriture à l'IAD (ironie de l'Histoire, s'il faut mettre les points sur les i ). Il attend un moment et nous dit : « Il est important de transmettre les secrets de son art, cela a à voir avec le compagnonage. C'est un aspect qui me touche beaucoup. D'autant qu'en Belgique, par rapport à d'autres pays que je connais bien, on a un mode de transmission plus convivial, moins fondé sur l'autorité que confère la maîtrise, une sorte de solidarité entre créateurs ».


Par ailleurs, ce boulimique tranquille, co-fondateur de l'ASA (ce qui l'a amené à défendre le statut de l'auteur) et président de la SACD depuis juin 2000, se pose des questions sur la création dans nos sociétés post-modernes. « Quelle est sa place dans une société en profonde mutation. Au niveau de l'audiovisuel, tu es bien placé pour le savoir, dit-il d'un ton désabusé, créer pour qui, pour quoi ?» Heu, hum... en effet, il y a de quoi flipper sec ! Soyons optimistes : pour laisser, dans une figure ou un langage singulier une trace de notre passage ou modéremment optimiste, pour formaliser de l'imaginaire dans du symbolique. Le visage de Luc Jabon s'anime, des yeux s'éclairent, il précise d'un ton ferme et déterminé : « J'ai toujours pensé qu'un auteur devait se mouiller pour ses pairs, avoir sa part de réflexion dans l'évolution de son métier. Il faut peser sur le pouvoir politique sinon on obtient rien. On doit être leurs interlocuteurs privilégiés puisqu'ils nous subventionnent en grande partie ». (voir l'entretien que nous a accordé Luc Jabon sur le métier de scénariste, que nous avons publié sur votre site www.cinergie.be).Le scénario, son écriture, son traitement, vous aurez l'occasion d'en parler jusqu'à plus soif le vendredi 26 à 14 heures au Kladaradatsch, dans un débat animé par l'ASA et la SACD, sous la présidence de Luc Boland avec Luc Jabon et de nombreux invités.
Enfin, les scénaristes professionnels pourront consulter notre annuaire du cinéma qui indexe la plupart d'entre eux (coordonnées et bio-filmographie).

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