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Madame Edouard de Nadine Monfils

Publié le 01/05/2004 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Belgitude

Prenez une enquête policière autour d'un étrange tueur en série qui collectionne les avant-bras droit de jeunes femmes dont il abandonne ensuite les cadavres dans un cimetière bruxellois, laissant au bon soin de quelques promeneurs égarés le plaisir de les retrouver derrière certaines tombes où reposent des peintres célèbres.

Madame Edouard de Nadine Monfils

 

Confiez la dite enquête à l'inspecteur Léon, vieux garçon à la philosophie un peu zen, adepte du tricot et pince sans rire à ses heures.
Entourez le d'une mère poule exubérante et toquée de concours publicitaires, d'un chien boulimique aux monologues caustiques, d'un adjoint touche à tout mais gaffeur patenté et d'une secrétaire psychédélique résolument rétive au travail de bureau. Plongez tout ce beau monde dans un quartier populaire de Bruxelles, les Marolles par exemple et pendant que l'inspecteur Léon se fond dans son enquête, trouvez un bistrot bien typique et remplissez-le de suspects plus étonnant les uns que les autres : Madame Edouard, un travelo-ménagère à la veille de retrouver sa fille, Rose, une poivrote à la langue bien trempée de vitriol, plus un cuistot esthète inventeur d'un nouvel art culinaire, un nain rocker représentant de commerce et un homme seul portant un oiseau dans une cage, plus un aveugle habillé de couleurs, un bistrotier philosophe de comptoir et un homme toujours de dos coiffé d'un chapeau boule. Saupoudrez le tout d'amour fou et d'une belle dose de mystère. Rajoutez en final un zeste de franche naïveté et agitez l'ensemble dans tous les sens sans peur de faire mousser. Vous aurez alors le premier film de long métrage de Nadine Monfils, Madame Edouard. Loufoque, burlesque, cinglée, cette première aventure de l'inspecteur Léon a de quoi surprendre par le côté "hénaurme" de sa réalisation. On aime ou on aime pas, on prend ou on jette, affaire de goût et de mauvais goût mais ici foin de réalisme et de bienséance, seul le bizarre, le choquant, l'incongru ont droit de cité.


L'histoire que nous compte Nadine Monfils n'est qu'un prétexte pour nous précipiter dans son univers déjanté, sorte de collage délirant fait de morceaux de photo-romans surréalistes, d'histoires drôles à la belge, de contes cruels pour midinettes, de comédies boulevardières à l'humour pétaradant, de mauvais polars à la française et de mélos grandiloquent à l'émotion sincère. Insolite et risquée, excessive et osée, Madame Edouard est traversée d'un bout à l'autre d'une vraie tendresse pour ses personnages qui s'exprime avec jubilation dans l'excès et avec passion dans la dérision. Nadine Monfils parie sur un manque de sérieux tout empreint de belgitude pour mieux faire ressortir la gravité de ses coups de coeur. Et aussi étrange que cela puisse paraître, plus elle met ses personnages dans des situations invraisemblables, plus ils gagnent en densité, en présence, en vérité. Derrière cette façon de se moquer des convenances et des attendus du bon goût, il y a la vie qui survient et qui se manifeste. Elle gonfle certains des personnages d'une belle dimension, ouvrant à ces regards particuliers, à ces éveils d'émotion, à ces complicités de spectateur.


Bourré de qualités, Madame Edouard n'échappe cependant pas aux pièges d'une première réalisation trop encline à jouer les fourre tout. La direction d'acteurs est par trop inégale et les récits secondaires à l'enquête cherchent souvent leur unité de ton. Ceci n'empêchant pas Nadine Monfils de trouver une mise en scène cohérente à son imaginaire très personnel et qui touche et intrigue. Et c'est là sans doute qu'il faut chercher le charme de son film qui a le culot de sa singularité et l'audace de ses mouvements de coeur. Une aventure qui ne laisse pas indifférent et dont on aimerait pouvoir partager une suite future plus maîtrisée et encore plus émouvante et corrosive.

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