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Maintenant d'Inès Rabadan

Publié le 01/04/2002 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Maintenant d'Inès Rabadan nous fait découvrir Else (Nathalie Richard), ouvrière dans une fabrique de jouets, qui ressemble à ce qu'elle assemble : une poupée dont la vie ritualisée à l'extrême manque à ce point d'imprévu, de bifurcation, qu'elle ne vit pas : elle survit. Pour quitter son passé soumis à l'autorité maternelle, Else a un avenir tout tracé : elle va se marier avec Hans (Jean-Luc Coulchart), un mec qui cherche l'appartement où ils vont cohabiter et le lieu idyllique où ils passeront leur lune de miel. Bref, Else se répète, se ressasse, n'arrête pas d'être ce qui n'a pas eu lieu, n'advient pas, est dans le " désêtre " comme dirait Lacan. Non seulement elle n'éprouve aucun plaisir dans le présent (hormis celui de cloper dans les chiottes de l'usine), mais elle ne ressent aucune jouissance sinon dans la déprime, l'impuissance ou le vide d'un rituel inlassablement accompli. Une jeune femme effacée, me direz-vous.

Maintenant d'Inès Rabadan

Certes, mais un petit grain de sable (sous la forme d'une fleur, n'attendez aucune explication psychanalytique de notre part) va gripper cette mécanique trop bien huilée et la dérégler. Un petit rien du tout qui va rendre Else présente à elle-même, lui donner le désir de se rebeller contre ses conditions de travail, d'envoyer promener son fiancé, en un mot le désir de vivre ce qui advient : l'imprévu. Belle séquence que celle de l'héroïne se dédoublant, se regardant elle-même et se découvrant.

 

Le film s'inspire du livre Changements de Paul Watzlawick, psychologue de l'école de Palo Alto, qui pense que peu de choses suffisent à briser les pièges relationnels que l'on vit avec ses proches, mais aussi de ces fumeux et non moins fameux Chronopes, ces insaisissables lutins créés par Julio Cortázar qui résistent à tout conformisme en s'esquivant, hop, face au rouleau compresseur du formatage. Volontairement en demi-teintes (tons pastels évoquant la grisaille de la vie d'Else), le film est construit comme une sorte de théorème à partir d'une grille carrée à neuf points et entrecoupée de séquences d'animation qui relancent à chaque fois la fiction comme un embrayage : quel est le bon trajet à effectuer pour s'en sortir ? Ce qui, les cinéphiles l'auront compris, n'est pas sans évoquer Mon oncle d'Amérique d'Alain Resnais.

 

Encore que, comme nous l'expliquait Inès Rabadan, si Laborit générait le récit dans Mon oncle d'Amérique, dans Maintenant, l'explication théorique ponctue le récit. Maintenant se place dans la continuité de Surveiller les tortues. Le quotidien est étrange mais nullement angoissant au point de l'anesthésier dans les stéréotypes sociaux. À vous d'ouvrir les yeux et les oreilles et un autre monde se déploiera devant vous. Le hasard comme contrepoint à la nécessité. Surtout ne croyez pas que la réalisatrice fait du terrorisme intellectuel. Elle aime trop la transversalité deleuzienne, l'approche biaisée et fictionnelle pour vous infliger un pensum. Un film qui lave le regard et vous fait ouvrir les yeux.

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