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Micha Wald : Alice et moi

Publié le 01/03/2006 / Catégorie: Entrevue

J.S. : Alice et moi est (…) une comédie. Si on doit mettre un genre : une comédie assez cruelle, avec de l’ironie et de la tendresse malgré tout. Alors, une première question un peu « concierge » si vous voulez : est-ce qu’il y a un élément autobiographique dans l’histoire ?
M.W. : Non, pas du tout ! Si (…) un petit peu, quand même ! Disons qu’il y a différents éléments. J’ai tourné devant chez ma grand-mère (…) là où j’ai rencontré la fille qui ne s’appelle pas Alice mais qui a presque le même nom.

J.S. : Oui, c’est à cause de la dédicace à la grand-mère et à cette "conne" d’Alix. Peu importe finalement, c’est pour la petite histoire. Pour moi, c’est un huis clos. Tout se joue presque dans le petit espace de la voiture. Evidemment, il y a un avant, il y a des arrêts et puis, brusquement - c’est la seule distraction si j’ose dire - on voit Alice dans sa salle de danse, aussi un huis clos. Et évidemment, le drame, parce que c’est quand même une comédie très dramatique puisque il y a une incompréhension entre les générations, ce sont les lieux communs. (…) C’est un film très, très riche. Est-ce que vous avez voulu ce huis clos pour intensifier les choses ?
M.W. : J’avais envie que tout se passe dans la voiture comme dans une petite boîte, un petit théâtre en fait. Je voulais que tout soit filmé dans un seul axe avec les quatre personnages dans la voiture, de manière frontale. Je me disais que ça marcherait bien de faire comme dans une casserole à pression où il ne faut pas qu’il y ait trop de place et qu’il n’y ait pas moyen de sortir de cette voiture pour que ça chauffe bien. Et ça s’est passé de la même manière sur le tournage (…). Donc, ils [les acteurs] sont restés presque deux semaines dans cette voiture. Il n’y avait pas moyen de descendre : c’était difficile parce que la voiture était surélevée. Donc, ça chauffait réellement entre les prises, ça devenait tendu, agressif et ça se ressentait après bien dans le jeu.

J.S. : Dès le début, ça commence mal : la tante engueule son neveu parce qu'il est arrivé dix minutes en retard. Et puis les reproches, la moralisation, l’intervention continuent (…). Il y a une impossibilité pour ce garçon d’avoir une vie privée. Et finalement, [il y a] une indifférence pour son histoire. Chacun est à son niveau. C’est un conflit des générations. En même temps, d’une façon plus tragique, c’est d’un côté la «yiddishkeit» caricaturée et de l’autre quelqu’un qui prend politiquement des positions et a une relation avec une non juive. On sent qu’il y a une séparation, qu’il y a une rupture (…). Ils sont insupportables l’un pour l’autre. C’est également une parabole parce que ça peut arriver dans la vie de tous les jours qu’il y ait cette coupure de générations et que l’histoire des uns soit trop différente de l’histoire des autres. Est-ce que c’est aussi ça que vous avez voulu montrer ?
M.W. : (…) Oui, c’est clair que le personnage principal, c’est un peu quelqu’un de mon âge, quelqu'un qui me ressemble. C’est ma génération par rapport à celle de ma grand-mère et de ses amies qui est tout à fait à l’opposé. Finalement, on a peu de choses en commun. A part les liens familiaux, tout le reste, c’est de l’incompréhension, des choses qui achoppent et de la mauvaise foi des deux côtés. Moi, c’était la mauvaise foi qui m’amusait depuis le début, plus que le conflit de générations. Mais ça, ça me semblait évident.

J.S. : Alors, il y a quand même une collection de lieux communs assez extraordinaires. Tout ce discours à tous les niveaux : les lieux communs sur la goy, sur la marieuse, la «shatren» (…), les lieux communs politiques, enfin l’égoïsme. (…) Tout est bâti sur un discours de grandes banalités finalement. Pourtant, c’est dramatique.
M.W. : C’est un peu un condensé de tout ce qu’un jeune homme de cet âge-là peut entendre au cours de sa vie. En un trajet, il entend tout ce qu’il a pu entendre depuis qu’il est petit : tout ce qu’on raconte sur les « goyim », sur les copines, … C'est un petit traité de tous les sujets qui fâchent. Bon, c’est une comédie donc c’est un peu condensé; ça me faisait rigoler. (…) Je revendique que ce sont des clichés mais en même temps, trois quarts des choses qui sont dites dans le film, on me les a dites, je les ai entendues. Donc, c’est aussi une réalité.

J.S. : Oui, ça a un côté véridique. On est frappé par la justesse des choses. Supposons un instant - je me fais l’avocat du diable - que ce soit un non juif qui ait fait le film. On aurait pu le soupçonner d’antisémitisme. C'est comme les blagues juives racontées par des non juifs, ça peut être mal perçu, alors que les pires blagues juives racontées par des juifs sont bienvenues. Est-ce que vous avez eu des réactions en ce sens ? On vous a dit : « est-ce que vous n’êtes pas un peu (…) antisémite sur les bords ? ». Est-ce que vous avez rencontré cette audience-là ?
M.W. : (…) C’est clair que si je n’avais pas été juif, je n’aurais jamais fait un film comme ça. Je ne vois pas où aurait été mon intérêt et quels comptes j’aurais pu avoir à régler avec ma famille. Bien sûr, il y a des gens qui trouvent le film un peu dérangeant et [qui trouvent] que ça montre une image négative du peuple juif comme si c’était un peu une représentation, comme si c’était trois personnes pour parler du peuple juif. Alors qu’ici, le film est quand même dédié aux amies de ma grand-mère et à ma grand-mère donc à un type de femmes très précis, d’un certain âge avec tout un passé. Et moi, (…) j’aime bien ces femmes; elles me font rire et en même temps, elles me touchent. Voilà, je pense que ce n’est pas juste cruel (…). Mais, je me souviens, on a fait une projection de ce film au club Amitié, un club pour des gens du troisième, quatrième, cinquième âge où j’ai rencontré beaucoup de femmes pour faire des castings. Et les rencontres, c’était assez agréable et rigolo. Après, on a projeté le film et il y a quand même eu un débat assez tendu. A un moment,(…) un vieux monsieur s’est énervé, s’est levé et il a dit : « Si c’était trois flamandes dans la voiture, est-ce qu’il y en a une de vous ici qui aurait quelque chose à dire ?! » et puis tout le monde s’est tu et c’était réglé.

J.S. : Est-ce que la grand-mère et les copines à qui le film est dédié ont bien pris le film ?
M.W. : (rires) Ma grand-mère ne l'a toujours pas vu et je ne vais pas m’empresser de le lui montrer ! Je pense que ses amies ne sont pas au courant malgré le fait que je sois passé trois fois sur Radio Judaïca (…). Mais il doit y avoir quelque chose qui fait qu'elle se doute qu’elle n’a peut-être pas intérêt à voir le film ! Elle était là quand on a tourné devant chez elle, elle m’a dit : « c’est quoi tous ces * "gratchk"* qu’elles traînent, ces trois femmes-là, dans la voiture ?! » Donc, elle avait déjà compris qu’il y avait un truc bizarre ! (rires)

 

Jacques Socher


*ce vacarme

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