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Michaël Blanco de Stephan Streker

Publié le 01/10/2004 par Dimitra Bouras et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Critique

Les sentiers de la gloire

C'est un film au ton désinvolte, élégant et plein de peps, qualité assez rare dans notre cinéma si l'on excepte Any way the wind blows de Tom Barman, que nous offre Stephan Streker avec Michaël Blanco. Le réalisateur renoue avec l'esprit de la Nouvelle Vague : le bouleversement des règles narratives, l'invention d'un espace cinématographique propre au film (entre autres l'emploi récurrent du jump cut). Ne vous attendez donc pas à voir un film formaté. Streker use du collage, de l'allusion, du tableau, de la citation cinématographique détournée. Ce qui n'empêche pas son premier long métrage d'aborder une question fondamentale que se pose tout être humain, au cours de sa vie : comment marquer notre passage sur terre, vivre pleinement une existence qui s'achève par la mort qui dure, non pas deux siècles ou vingt siècles mais l'éternité ! Michaël Blanco (Michaël Goldberg), jeune comédien bruxellois part à Los Angeles pour réaliser son rêve, devenir acteur, « une movie star  si c'est possible » et pour vivre pleinement sa vie. Le début nous le montre sortant de l'eau tel un naufragé qui aborde la terre promise. Le plan suivant nous montre le mot Hollywood se découpant en lettres géantes sur les collines de Los Angeles.

Michaël Blanco de Stephan Streker

C'est donc un récit initiatique auquel nous convie le réalisateur, celui d'un jeune homme obsédé par la quête de la notoriété. Il nous est précisé que 900.000 candidats acteurs habitent cette cité qui compte - d'après la SAG (Screen Actors Guild) - 118.000 professionnels. Le point névralgique de L.A. est Burbank dans la San Fernando Valley qui regroupe les studios de cinéma et rassemble un tiers de la population. Los Angeles est donc le second personnage du film. D'autant que c'est à Burbank que se situe les principales agences de Casting et la SAG. 

 

Pour un inconnu, étranger de surcroît, c'est la galère. Jouant de la fiction façon documentaire, Stephan Streker ne nous épargne rien du parcours du combattant de Michaël Blanco : les photos envoyées aux agents de casting qui n'en ont rien à cirer, des auditions plus vraie que nature, le coaching sur la prononciation de la langue anglaise (la mise en bouche du texte), les exercices physiques sur la respiration, le coaching sur le jeu, l'attitude corporelle et les petits boulots que Michaël Blanco se tape pour survivre : la vaisselle dans la restauration rapide, le nettoyage des voitures californiennes, le ramassage, via un aspirateur des feuilles mortes, etc. L'intimité entre les personnages et le réalisateur doit beaucoup au fait que ce dernier ait été proche du cadre de la caméra S16. Elle donne un ton juste aux confrontations et aux monologues de notre aspirant comédien. Mais Michaël Blanco c'est aussi Tintin à Hollywood, indomptable petit belge (belles séquences lorsque son coach l'oblige à mimer la Belgique et le monde) qui envers et contre tout se voit présentant l'avant-première d'un film, remerciant les spectateurs de leur confiance. Le réalisateur afin d'éviter la description d'un cas pathologique coupe son film de courtes séquences humoristiques ou deux noirs branchés se renvoient la balle dans des dialogues pleins d'humour sur ce métier d'acteur qui fait tant fantasmer les gens. De la même façon, Stephan Streker a l'art de la citation (pas du tout pour faire cinéphile m'as-tu vu) mais pour être cohérent avec son propos. 

 

 Son personnage reproduit en live ses souvenirs cinématographiques marquants. Ainsi le prégénérique n'est pas sans évoquer Jaws et 1941 de Spielberg (mais à l'inverse puisque Michaël Blanco sort habillé de l'océan) voire même nous offre un clin d'oeil à l'un des plus célèbres plans de Lawrence d'Arabie de David Lean, celui du puits. On ne vous en dit pas plus. A vous de découvrir les autres hommages. Tout cela donne une respiration au film, une sorte de contrepoint à cette question qui hante Michaël Blanco : Que faire de sa vie avant que l'éternité ne la happe? Belle séquence que celle où Michaël court à fond de train, la caméra suivant son parcours en travelling latéral, le dépassant et nous menant au Hollywood Cemetery, juste devant les studios Paramount. Un lieu ou les stars mythiques de Hollywood n'existent plus que dans des petits casiers à leur nom. Est-ce cela l'éternité ? Son coach (Larry Moss) lui dit : rentre chez toi, sois toi-même et apporte-nous, ici, cette qualité-là. Elle n'appartient qu'à toi! Précisons que Stephan Streker a tourné deux courts métrages de fiction (Shaddow Boxing, La femme de Pierre) et un documentaire (Le Jour du combat) et que sa profession de journaliste à Télé-Moustique l'envoie fréquemment à Los Angeles pour y faire des reportages sur l'actualité du cinéma. C'est dire si le milieu ne lui est pas étranger. L'étonnant, et c'est une des forces du film, c'est qu'il en parle sans le moindre cynisme avec une passion d'explorateur.

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