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Michel Baudour, l'homme à la caméra. 1 : Le cadre et la lumière

Publié le 01/11/1998 / Catégorie: Métiers du cinéma

Première partie : Le cadre et la lumière

L'index posé sur le posemètre à la recherche du bon diaph, l'oeil rivé à l'oeilleton de la Panavision pour s'assurer du bon cadrage, le directeur photo, homme de terrain et d'action donc, n'est pas un silhouette inconnue dans la petite mythologie du cinéma. Mais qui irait ternir l'image d'Epinal ? Certainement pas les actrices qui, depuis l'invention de la photogénie et du cinéma, ont toujours été soucieuses de leurs "partenaires lumière". Ni les réalisateurs qui leurs réservent la place de choix.

Michel Baudour, l'homme à la caméra. 1 : Le cadre et la lumière

C. : Le plus simple pour commencer serait de partir d'une définition du chef opérateur. Quelle est la vôtre ?
Michel Baudour : On peut dire que le directeur de la photo ou chef opérateur est le responsable de l'image. Il assure un rôle charnière entre la production, la réalisation et l'équipe technique. C'est à la fois un homme d'argent - le directeur photo doit gérer un temps de préparation qui coûte très cher, commander du matériel d'éclairage souvent onéreux -, mais c'est aussi un créateur dans la mesure où il va discuter et élaborer avec le réalisateur les options photographiques du film. Le directeur photo doit aider le réalisateur à définir le climat visuel. Et ce n'est pas toujours évident car entre les langages technique et littéraire, il peut y avoir des malentendus, de grandes imprécisions.
Le directeur photo est par ailleurs un technicien puisqu'il doit connaître les différents aspects et particularités de pellicule, d'optique ou d'émulsions, ou de laboratoire. Toute la chaîne de la fabrication d'une image, mécanique, optique, chimique, l'intéressent. Ces trois éléments, financier, artistique et technique, sont à mon sens indispensables pour faire un bon directeur photo. Ils ne vont pas l'un ne va pas sans l'autre.

 

C. : Vous assurez tantôt le cadre, tantôt la direction photo.
M. B. :
Je fais souvent les deux et j'apprécie cette double fonction. Je ne crois pas que cela prenne beaucoup plus de temps d'assurer les deux aspects dans la mesure où si je sais ce que je cadre, je sais ce que je dois éclairer. Car c'est évidemment le cadre qui va déterminer dans quelle portion d'image, de champ, nous allons travailler. Quand je suis uniquement chef opérateur, je suis obligé en général de tout "couvrir".
Par ailleurs, lorsqu'il y a peu d'affinités professionnelles avec le cadreur, les problèmes ne manquent pas de surgir. "Pourquoi tu as coupé dans la fenêtre ? C'est dommage, le bord du montant à gauche refermait l'image". C'est le genre de différents qui peuvent se produire. Évidemment payer et un directeur photo et un cadreur n'arrangent pas toujours le directeur de production.

 

Equipe

C. : Il y a aussi les interlocuteurs parallèles.
M.B. : C'est un travail d'équipe. J'ai généralement deux assistants. Le premier a des relations assez proches avec le cadreur tandis que le second assistant est plus proche du metteur en scène puisque son rôle consiste à prendre en charge tout ce qui est pellicule et à spécifier les demandes vis-à-vis du laboratoire.
Je travaille également étroitement avec le décorateur pour choisir les matériaux, les couleurs, le choix des accessoires. Si dans un plan apparaît un lit, par exemple, on déterminera le type de drap en fonction de son pouvoir réfléchissant. La costumière est donc au même titre une collaboratrice capitale. Les expériences peuvent être formidables ou catastrophiques. On m'a un jour imposé, dans des scènes costumées de nuit, des vêtements noirs, mats, sans brillance aucune. Un désastre. Le maquilleur est aussi très important pour nous. L'apport de chaque technicien qui intervient dans ce qui est visible à l'écran est essentiel.

 

C. : Remontons à votre formation. Vous avez été l'un des premiers élèves de l'INSAS.
M.B. : Je suis entré à dix-huit ans à l'INSAS, en 1962, l'année de la création de l'Institut. J'ai eu la chance de rencontrer des professeurs comme Suzanne Baron ou Ghislain Cloquet, avec qui j'ai eu par après l'occasion de travailler notamment sur Rendez-vous à Bray. L'intérêt de cette première promotion, c'est que nous avions des cours qui touchaient aussi bien à la radio, au théâtre, à la scénographie qu'à la musique. Une formation très polyvalente. Je suis entré à l'INSAS parce que je voulais faire de la réalisation. Après six mois j'étais tellement passionné par le discours de Ghislain Cloquet que je me suis orienté vers la prise de vue. La notion de cadre, de relation privilégiée avec les comédiens, l'importance du choix des focales me semblait assez proche de la mise en scène en définitive.

 

Praxis

C. : Confronté à la pratique, quel fut votre premier enseignement ?
M.B. : C'était un tournage pour Jacques Bourton. J'avais cadré un plan qui incluait un mouvement d'appareil dont je n'étais pas entièrement satisfait. Je n'osais pas vraiment le dire. Jacqueline Pierreux qui était directrice de production l'a senti et m'a encouragé à exprimer immédiatement mon insatisfaction. Car mieux vaut refaire un plan tout de suite que d'attendre les rushes et recommencer le plan deux jours après. Le coût n'est pas comparable, il faut refaire le plan de travail, cela devient très compliqué et peu souhaitable. C'est capital d'exprimer les problèmes sans délais. Bien entendu les imperfections sont relatives. Si dans une scène de fiction, le jeu est impeccable et l'émotion parfaite, il importe peu qu'il y ait une petite bavure dans le cadre. On aurait préféré un plus large, un peu plus serré, pour avoir un meilleur équilibre dans l'image ? Sans doute, mais il est évident que l'attention du spectateur sera d'abord captée par les comédiens.
Ces imperfections sont plus gênantes à mon sens dans le documentaire. Le docu, en l'absence du support que sont les comédiens, la voix, le scénario, implique une qualité irréprochable du cadre. Dans le docu, il faut montrer les choses de manière extrêmement rapide, la lecture doit être immédiate.

 

C. : Revenons à la pratique.
M.B. : Je me suis rendu compte assez rapidement que le directeur photo n'a aucun intérêt à modifier l'éclairage une fois qu'il a donné le feu vert. Il est tentant au début de changer un petit panneau, un petit spot entre deux prises. C'est extrêmement mal vu. Le directeur photo occupe le terrain le temps de la mise en place mais après il faut laisser l'espace au réalisateur et aux comédiens. On ne peut pas jouer à saute-mouton. Le temps de préparation est donc capital.
(...) Le temps qui nous est donné pour préparer le travail est beaucoup plus court qu'avant. Heureusement les techniques ont fortement évoluées et permettent en quelque sorte de raccourcir le temps de préparation. Les optiques sont plus lumineuses, les émulsions plus sensibles. L'évolution de la technologie des projecteurs raccourcit également le temps d'installation.
Quand j'arrive dans un décor, le cadreur me pose toujours la même question : "Tu dois éclairer d'ici à là, combien de temps te faut-il ?" Il est impératif de donner l'estimation la plus précise. Sans faire de l'impérialisme de l'image en réclamant cinq heures pour un plan qui devrait en prendre une. Et s'il faut une matinée entière pour l'éclairage, logiquement cela ne devrait surprendre personne, simplement parce que ces heures de préparatifs ont été - normalement- estimées bien avant le tournage, lors des repérages techniques. Dans le cas d'un décor délicat à éclairer, nous avons recours à un pré-lightning, une sorte de répétition assez précise qui se déroule très tôt avant l'arrivée de l'équipe.

 

Docus, pubs, fictions

C. : Si la fiction reste la voie traditionnellement la plus prisée, les autres chemins sont multiples.
M.B. : J'ai fait des docus, des films médicaux, des films publicitaires, institutionnels, de tout. De ces expériences, on apprend toujours quelque chose.
J'arrive toujours dans un esprit de disponibilité, et je sais que je découvrirai chaque fois quelque chose. Je n'ai jamais vraiment recours à ce que l'on pourrait appeler des ficelles. Cela ne m'intéresse pas de faire une belle image en soi. Il faut que celle-ci corresponde au climat du film ; un climat donné par le scénario et bien sûr par la mise en scène. On travaille ensemble, c'est l'unité à laquelle il faut penser. Penser au devenir de l'image après le tournage. Le travail de montage qui succédera au tournage est d'ailleurs un souci constant pour moi sur le plateau.

 

C. : Vous pensez toujours montage lors de la prises de vue ?
M.B. :Toujours. Il n'y a pas que la scripte qui veille à la rigueur de l'enchaînement des plans. L'idée de raccord est omniprésente pour moi. C'est le souci de donner au monteur une matière qui lui permettra de rythmer la scène.

 

C. : Cette attention se traduit concrètement sur le tournage ?
M.B. : Il m'arrive parfois de dire au réalisateur : "C'est un très beau plan mais tu vas être coincé au montage." C'est le cas typique du plan-séquence, qui peut-être un petit chef-d'oeuvre en tant que tel mais dont la particularité est d'être insécable. Le plan-séquence, faute de pouvoir être modifié s'il n'y a pas d'autre plan de "réserve", risque de "s'insérer" très mal car il va se placer au milieu d'un ensemble d'autres plans. Il est important de se couvrir au moment du tournage. En doublant, par exemple, la prise sous un autre angle ou en conservant le même axe mais en choisissant une autre focale. Cette dernière méthode a l'avantage d'être plus économe. C'est un système qu'utilisait Louis Malle. On refait exactement la même scène sans modifier le trajet des comédiens, ni le mouvement de caméra, sans bouger l'éclairage ni le tempo mais tout simplement avec un autre objectif. Cela pourrait être le trajet d'un comédien, une première fois filmée en pied, puis une deuxième fois en plan poitrine. Il faut un écart d'échelle de plans suffisamment important pour que le spectateur n'ait pas le sentiment d'un "saut d'image" lorsque le monteur passe d'un plan à l'autre. Cette méthode de la deuxième focale a d'autres avantages. Si le réalisateur fait six prises d'un plan sans changer de focale ou d'angle, il peut arriver qu'il soit très content du début de la première prise et de la fin de la cinquième. Malheureusement il ne peut passer de l'une à l'autre dans une même continuité. Avec un plan d'une autre échelle, le monteur pourra passer du plan A au plan B sans rupture spatiale ni temporelle.

Renaud Callebaut

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