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Mille Mois de Faouzi Bensaidi

Publié le 01/02/2004 / Catégorie: Critique

Galerie de portraits au milieu du désert

 

Mille Mois de Faouzi Bensaidi

 

Nous sommes en 1981 pendant le mois du ramadan au Maroc, dans un petit village perdu au coeur de l'Atlas. Mehdi, sept ans, s'installe avec sa mère chez son grand-père Ahmed. Il pense que son père est en France, sa famille sait qu'il est en prison mais veut le préserver. A l'école, Mehdi est ce qu'on appellerait ici le "chouchou" du prof : il a le privilège de veiller sur la chaise de l'instituteur. Des gens qui attendent debout sur une colline à la tombée de la nuit, un homme qui décide de construire une mosquée, un garçon en charge de la chaise de son instituteur sont autant de moments, d'idées qui ont permis la genèse de ce premier long métrage de Faouzi Bensaïdi, un comédien et metteur en scène, co-scénariste de Loin de André Téchiné, qui s'est un jour mis derrière la caméra avec une aisance qui ferait pâlir les étudiants des écoles de cinéma. Loin de se contenter de dresser le portrait d'un garçon de sept ans et de sa famille, Faouzi Bensaïdi met en image une mosaïque de portraits, avec de multiples personnages permettant un enrichissement des points de vue. Il y a Mehdi, sa mère et son grand-père, mais aussi la cousine, la cadette des voisines d'en face et ses histoires d'amour, l'instituteur, le nouveau caïd du village, l'homme qui arrose son champ, etc., tous merveilleusement interprétés par des acteurs professionnels et amateurs. Chacun de ces personnages est traité avec la même intensité, la même valeur afin de dresser une véritable galerie de photographies de vies.

 

Mille Mois de Faouzi Bensaidi

Ces vies se déroulent devant nous dans des espaces soigneusement sélectionnés. Le réalisateur déclare avoir fait passer un casting aux décors...et on le croit ! Leur importance est telle qu'il a dû désherber des collines entières, désertiques au moment des repérages mais verdoyantes au moment du tournage. Les lieux ne sont jamais gratuits et dégagent une émotion qui sera mise en rapport avec l'évolution des personnages. De fait, les cadrages sont essentiellement constitués de plans larges, afin de permettre l'exploitation maximale du décor, la diversité des sensations et l'augmentation des niveaux de lecture du spectateur. Cette diversité des personnages, des lieux, s'inscrit dans un pays en évolution, tiraillé entre traditions et modernité. La religion occupe ainsi une place importante dans le film, qui se déroule durant le mois du Ramadan, autant par l'observation des rituels qui régissent la vie durant cette période que par leur transgression. Point de femmes martyres de la religion ici. Au contraire, elles sont libres, fortes, dures, tantôt gardiennes des traditions face à certains hommes plutôt laxistes, tantôt ferventes admiratrices de la culture occidentale, à l'image de la cousine de Mehdi, critiquée par d'autres hommes et femmes, pour son maquillage et ses tenues outrancières. La religion n'est pas un poids ou un carcan dans ce film, mais une toile de fond, un décor par rapport duquel les personnages interagissent.

Mille Mois, c'est la 27ème nuit du Ramadan, celle où commence le jeûne des enfants, où l'on est censé être protégé de la tentation, mais qui révèle les faiblesses. C'est aussi une variété de vies, celle d'un garçon, d'une famille, d'un village, d'un pays, en un subtil mélange de tragique et de comique, de sacré et de profane, un film qui laisse la place aux personnages, à leur environnement et à l'imaginaire du spectateur.

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