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Mireille et Lucien

Publié le 01/11/2000 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage

12 septembre, Forest

VVVvrrrriiiii. Qu'est-c'est-k'ça ? Bang ! Le crash. Une épaisse fumée enveloppe deux véhicules. Cling-clang. Une portière. Un mec furibard sort de sa bagnole. Une furie. "Alors ? !". Un dingue, (petit, un peu rond, binoclard, les cheveux en bataille), courant, non, virevoltant, speedé à la vitesse pure, genre Michael Schumacher du mollet, tandis que la conductrice choquée, pas ici, ailleurs, s'extrait de son véhicule bleu navy.

Mireille et Lucien

Au ralenti. Hébétée, un peu triste, l'âme vagabonde, genre fêlée nostalgique. " Vous êtes folle ou quoi ? Vous venez de la gauche et en plus"-il plisse les yeux ébahi et murmure : "Tu es Mireille, on a été à l'école ensemble, à Jodoigne ! ". Le mec se retrouve tout bénêt, idiot, figé sur place. La fille hébétée : " Je ne me rappelle pas, je n'ai jamais été à Jodoigne ". Elle s'évanouit dans ses bras. Etrange ballet. Putain ! Une erreur de casting. Pas du tout. Un coup de foudre. Accidentel !

 

 

" Coupez ", lance Philippe Blasband, le réalisateur du film, les yeux attentifs au moindre détail, le casque sur les oreilles. Vincent Van Gelder relève la tête de l'œilleton de La DV-Cam Sony armée d'un objectif Fujinon qui va de 8 à 120 mm. " On va la refaire, la fumée était trop dense, Lucien (Serge Larivière), reprenons au moment où tu regardes des deux côtés à la fois. Quand Mireille (Aylin Yay) s'évanouit dans tes bras , le mouvement était parfait. Bon. On va la faire ".

Elodie Van Beuren, la scripte, indique au clapman le numéro de la prise. Les badauds bavardent tout en observant ce cinéma ou cette télé qui se tourne devant chez eux à Forest. A un jet de pierre de la place Saint-Denis, pendant que les camionneurs bloquent la ville. Des enfants crient dans un immeuble. " Silence, lance Joël Vanhoebrouck l'assistant, on va tourner. Bloquez la circulation ! "

Sitôt la prise en boîte, une voiture des flics de Forest, surgit gyrophare sur le toit, mettant fin à un tournage autorisé le matin mais que les plaintes d'irascibles riverains interrompent. Deux flics à la mâchoire volontaire genre Don Johnson dans Deux flics à Miami. Le maxillaire hollywoodien. Observant. Plein d'assurance. Cchhht. Leur radio grésille. Reliés au commissariat central. Just Looking. Tranquilles. Une blonde, doc martens aux pieds, jupe de cuir ultracourte, top jaune canari, téléphone cellulaire à l'oreille, traverse ce qui fut le chant de la caméra. " Attend, Keskidic'meclà ? - d'une voix rauque - c'est dingue. " Les flics la matent. Comme Garfield son bol de lait. Invulnérables. L'équipe range les accessoires.



28 septembre, Falstaff

 

Philippe Blasband

 

" J'aime le contact avec les comédiens et avec les techniciens, nous confie Philippe Blasband en buvant son café. Je mets en scène au théâtre assez souvent mais il y a moins de risques qu'au cinéma, il y a plus de garde-fous. J'ai envie de réaliser un long métrage d'autant que pour arriver aux quatre longs métrages qui ont été réalisés d'après mes scénarios, j'ai dû en écrire une trentaine ou une quarantaine. (Je crois que c'est la proportion normale, pour Luc Jabon, cela doit être la même chose). Je trouve ça un peu épuisant. J'écris un scénario avec Geneviève Mersch, on en est à la trente-quatrième version, donc c'est éreintant et usant. J'aimerais donc continuer à écrire des scénarios mais en réaliser quelques-uns.

Mireille et Lucien est une histoire d'amour complexe, comme dans la réalité. L'idée n'était pas de faire un long métrage condensé mais des éclats de long métrage ou plus précisément des éclats de vie d'une série de gens. Il aurait été possible de raconter l'histoire différemment dans un long métrage, de manière à ce que petit à petit les choses se construisent, les éléments s'emboîtent. comme un puzzle. Donc l'idée de Mireille et Lucien est de présenter une succession de petits moments ellipsés pour faire en sorte que le spectateur reconstruise lui-même l'ensemble plus ou moins consciemment ou inconsciemment, émotivement, pas nécessairement intellectuellement. Il faudra voir à quel point ça fonctionne ou ça foire. Un court métrage consiste, pour moi, à me demander comment raconter une histoire dans ce format-là, qui n'est pas un format évident (on a tous vu plus de longs métrages que de courts métrages).
Mireille et Lucien ne sera pas la maquette du long métrage qui va suivre. Je ne sais pas à quel point un court peut préparer à un long. C'est très différent comme énergie. Si quelqu'un fait un court en vue de se préparer au long, je crois qu'il risque de rater les deux. Il faut faire chaque projet indépendamment et trouver le style propre à chaque format. J'ai tendance à privilégier l'image mais c'est très difficile de vendre un scénario. Il faut séduire avec des mots parce qu'il faut que les gens qui lisent comprendre de quoi il s'agit. Donc on a tendance à être trop bavard, le scénario étant, malheureusement, d'abord un outil de production avant d'être un sujet de tournage. Dans Mireille et Lucien, il y a une tendance à privilégier l'émotion sur la parole même si j'essaye d'accélérer le tempo à certains moments alors qu'à d'autres moments j'ai enlevé des dialogues en laissant juste l'émotion à travers des gestes, des regards, à la Kaurismaki comme le souligne le monteur.

En Belgique, la culture n'est pas considérée comme une valeur. Pourtant, un pays a besoin d'une politique culturelle comme il a besoin de matières premières. Ça nous permet de faire des prototypes, des films originaux, ça reste donc un cinéma artisanal qui tient fort à des personnalités.
Pour Thomas est amoureux, au tout début je voulais tourner le film moi-même. Le problème - et Jaco Van Dormael en parlait récemment - est de porter un scénario pendant des années. Après moultes versions, j'ai passé le relais à Pierre-Paul Renders à qui le sujet convenait bien : il y a un mélange de sexe et de décalage. Pierre-Paul est quelqu'un qui a l'air d'être tout à fait normal, cérébral, sage, mais qui est en fait complètement fou, tu peux l'écrire, et complètement obsédé. Calmement fou et obsédé. Il a fait un film, pendant ses études, sur des jumeaux, extrêmement lent, absurdissime. On sent très bien son style, sa patte.



22 septembre, cafétéria du Botanique

Olivier Rausin

 

Mireille et Lucien est un court métrage que j'avais demandé à Philippe de réaliser avant Verkamen, le long métrage qu'il compte tourner en juillet 2001, nous précise Olivier Rausin, le producteur, parce que je ne voulais pas qu'il arrive avec, comme dernière expérience cinématographique, Cha Cha Cha, son dernier court métrage qu'il avait tourné quatre ans auparavant. Il a écrit Mireille et Lucien. Avec l'expérience du court très proche du long, il sera plus serein pour Verkamen. Il est écrit, le casting est en route. Il y aura Benoît Verhaert, Philippe Noiret, Yolande Moreau et Frédéric Bodson. Je suis en train de rechercher le financement (Samsa va y participer ainsi que la France). Le film passe pour la seconde fois à la Commission au mois d'Octobre.

Le choix de tourner Mireille et Lucien en DV-Cam est économique. On savait qu'on aurait peu d'argent. C'est une auto-production avec un financement minimum d'où le support DV. Il a écrit le scénario en fonction du support bien qu'il n'ait pas essayé de jouer le format pour le format comme dans Thomas est amoureux. Ce qui m'intéressait était l'expérience de réalisation. Cela étant, le film sera kinescopé, on aura donc une copie film en 35mm. Dans Mireille et Lucien, on rencontre des personnages assez intéressants et qui évoluent très très fort. Il y a Serge Larivière qu'on voit de plus en plus souvent au cinéma (il a un rôle dans Verkamen ainsi que dans Petite misère que vont bientôt tourner Philippe Boon et Laurent Brandbourger), et Aylin Yay qui m'épate et que j'ai découverte dans Thomas est amoureux. Elle y est extraordinaire. C'est une comédienne qui vient du théâtre, comme Serge Larivière. Tous les deux sont en pleine ascension. Philippe dit toujours, sous forme de boutade, qu'il faut prévoir un rôle pour Serge Larivière dans un film parce qu'il a tellement de facettes qu'il peut entrer dans des tas de chaussettes.

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