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Mompelaar de Marc Roels et Wim Reygaert

Publié le 03/03/2008 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Etrange court que Mompelaar (« Le Marmonneur » en français). Seulement étrange ? Non. Curieux, intéressant, délirant, surprenant, drôle, déconcertant, inhabituel aussi. Ce premier film de deux Flamands venant de la pub, Marc Roels et Wim Reygaert, fait parler de lui dans tous les festivals où il est sélectionné (Gand, Berlin, …). Lors de la conférence de presse de Clermont-Ferrand, il s’était d’ailleurs fait qualifié d’ovni dans le registre des comédies décalées. Un mois plus tard, à Clermont précisément, il remportait le Prix Spécial du Jury et la Mention du Jury Jeunes. Rencontre avec ses créateurs extraterrestres, Marc Roels et Wim Reygaert.

Cinergie : En préambule, ce serait bien de bien faire votre connaissance et de découvrir votre parcours avant Mompelaar.
Wim Reygaert : Moi, j’ai étudié pendant quelques années le cinéma, mais je me suis arrêté avant la fin. J’ai monté ma propre maison de production avec laquelle j’ai fait beaucoup de clips vidéo et des publicités. Après 10 ans, j’ai fait faillite. Depuis, je travaille en free-lance pour une maison de production orientée aussi vers la publicité, T42 Films.
Marc Roels : Moi, j’ai fait des études d’animation à KASK, à Gand. J’ai rencontré Wim un peu par hasard, j’ai fait de la publicité avec lui. J’ai commencé à faire des fictions; au fur et à mesure, des idées de films sont apparues. 

C. : Mompelaar ne représentait donc pas une première collaboration. Comment jugez-vous la publicité par rapport à la fiction ?
Marc : La pub, c’est une dynamique et une manière de travailler totalement différente de la fiction. La pub ne nous intéresse pas vraiment : c’est une manière de gagner de l’argent, d’être sur un plateau, d’essayer des choses et de rencontrer une équipe technique, mais notre travail reste très lié aux désirs du client. Dans la fiction, il y a de la passion, dans la pub, pas du tout (rires) ! Si le client dit « chaussures rouges », on utilise des chaussures rouges (rires) ! C’est comme ça.Portrait de Marc Roels et Wim Reygaert réalisateurs de Mompelaar

C. : Vous sentiez que vous n’étiez pas suffisamment libres en pub ?
Wim : Pas vraiment non. Quand on fait des pubs, il y a peut-être 20% de créativité et 80% de diplomatie, des éléments qui n’ont rien à voir avec le film.
Marc : Il y a beaucoup de discussions. Dans la pub, il y a un produit à respecter alors que dans la fiction, ce qui est important, c’est l’histoire, l’atmosphère à suivre.

C. : Comment le passage de l’un à l’autre s’est-il effectué ?
Marc : On a commencé à penser à la fiction pour garder la santé !
Wim : Pour ce projet, on a réellement eu le maximum de liberté. La maison de production a respecté nos envies. On n’a fait aucun compromis dans ce film que ce soit pendant l’écriture, la réalisation ou après, pendant le montage. Au final, cela correspond vraiment à ce qu’on voulait faire.

C. : Avec peu d’argent, de pellicule et de jours de tournage, vous avez vraiment dû vous concentrer sur le travail en amont ?
Marc : Oui, c’était nécessaire. En cinq jours, on ne pouvait pas perdre trop de temps. On devait être très rapides, on n’avait pas vraiment le temps de réfléchir : ça devait être comme ça ou comme ça. On avait aussi très peu de 35 mm donc on n’avait pas la possibilité de faire beaucoup de prises : une, parfois deux, mais pas tout le temps. Ces contraintes exigeaient une grande préparation.
Wim : Alors, pendant des jours, on a discuté en permanence, cherché des idées ensemble, écrit et réécrit les dialogues. On a conçu aussi un story-board assez précis qui nous a bien aidé au moment du tournage et on a évidemment répété avec les acteurs. Au résultat, on était très préparé et ça a marché sur le plateau. C’était peut-être aussi lié au fait qu’on avait déjà travaillé ensemble auparavant.

C. : Comme vous n’assistiez pas au Palmarès de Clermont, vous avez transmis un mot de remerciement [pour le Prix Spécial du Jury et la Mention du Jury Jeunes]. Une petite phrase indiquait que le film avait été un pari, qu’il avait été fait avec peu d’argent et qu’en réalité, le scénario faisait fuir plein de gens.
Marc : C’est vrai, ça s’est passé comme ça (rires) ! On a proposé le scénario à différents comédiens assez connus en Flandre et on recevait des réponses du genre : « c’est une blague ou quoi ?! Je trouve que c’est dégueulasse et que ce n’est pas du tout un film. Je ne veux pas du tout travailler avec vous. Salut (rires) !
Wim : Oui. On a eu quelques réactions de ce genre. Mais c’est normal, c’est ça qu’on veut aussi. On n’a pas envie de faire des films qui plaisent à tout le monde. Si on fait un film, je pense que c’est plutôt pour montrer un monde à des gens qui ne veulent pas le voir.
Marc :On ne veut pas faire des films chouettes, « okay », cool ou médiocres. Ça doit être intense…Illustration de Mompelaar de Marc Roels et Wim Reygaert

 C. : Quel monde vouliez-vous montrer avec Mompelaar ?
Wim : On voulait vraiment faire le portrait de la Flandre comme nous la voyons. Mompelaar, c’est un monde un peu absurde et surréaliste avec une touche de réalité qui est reconnaissable par les gens qui habitent en Flandre. Moi, je suis né dans cette Flandre qu’on a montrée, alors que Marc ne l’a découverte qu’à 16 ans en venant d’Afrique du Sud.

C. : Et toi, Marc, tu la reconnais, la Flandre que Wim pointe ? 
Marc : Oui mais pour lui, ça a toujours été une Flandre très axée sur les détails et les gens. Quand j’étais en Afrique du Sud, j’associais la Flandre à Breughel, Bosch et à tous les peintres appris à l’école. Mais aussi à Tintin, même si c’était lié à Bruxelles. Pour moi, c’était la même chose. C’était une Flandre un peu plus globale comparée à celle de Wim. Je la résumais à la culture et pas vraiment aux gens, à leur identité, à leur mentalité, à la situation politique, à l’atmosphère du pays. 

C. : Mompelaar est un court métrage plutôt atypique. Est-ce que vous pourriez revenir sur son histoire ?
Wim :Marc peut faire ça (rires) ! À chaque fois qu’on nous pose cette question, il y a un silence. Si tu lis le scénario, il n’y a pas vraiment d’action/réaction et tout ne s’explique pas. C’était un parti pris voulu, une expérience qu’on avait envie de mener. On s’est rendu compte que les gens avaient l’habitude de chercher une histoire même s'il n’y en avait pas. Ceux qui ont vu Mompelaar livrent d’ailleurs une dizaine d’explications différentes sur son histoire. Pour nous, elles sont toutes correctes parce que le spectateur voit ce qu’il veut dans ce film. Donc l’histoire change à chaque regard.
Marc : Il peut sembler que tout plan, toute scène comporte des informations nécessaires à la compréhension, mais en fait, le film même se construit dans la tête du public. Nous montrons les images, mais c’est le spectateur qui façonne l’histoire. Délibérément, on a voulu travailler dans ce sens pour écrire et construire le film. Beaucoup de films que j’estime se passent dans la tête du spectateur. Par exemple, dans L’Humanité de Bruno Dumont, il n’y a pas d’histoire. Des choses se passent, et des personnages évoluent dans le film, mais il n’y a pas vraiment de moment clé signifiant, de plot point comme on dit : « si vous n’avez pas vu ça, vous ne savez pas ce qui va se passer ». Dans Mompelaar, si une scène est abandonnée, ça reste la même histoire. 

C. : Est-ce que d’autres références vous ont guidés pendant l’écriture ?
Wim : Notre inspiration venait plutôt de peintres comme Breughel et Bosch. On s’est intéressé à l’atmosphère et aux couleurs qui se trouvaient dans leurs peintures. Je ne crois pas que des films aient vraiment été pris en compte. Il y a peut-être un lien lointain avec la comédie anglaise parce que c’est un genre qu’on connaît et qu'on apprécie depuis des années et qui reste en tête quand on fait quelque chose. Sinon, on n’a pas regardé des films ensemble en se disant : « on va faire quelque chose comme ça ». 

C. : Est-ce que le fait d’avoir fait un film comme celui-là dans des conditions particulières vous incite à continuer ?
Wim : On va continuer sans doute. Pour nous, Mompelaar a été une vraie expérience qu’on a envie de poursuivre, mais je ne pense pas qu’on aura encore la possibilité de faire un deuxième film comme celui-là. 

C. : Pourquoi ?
Wim :Parce qu’on n’a jamais demandé de l’aide pour ce film. Je pense que dès que tu demandes de l’argent pour un film pareil, les gens diront non en lisant le scénario parce qu’ils auront du mal à le comprendre. De toute façon, pour le moment, on a envie de faire des choses séparées. Marc est en train de travailler sur un court métrage.
Marc : Le sujet est tout à fait différent : il s’agit d’un drame d’horreur. C’est encore trop tôt pour en parler; je suis en train de développer les idées et tout peut encore changer.
Wim : Et en ce moment, moi, je suis en train de faire beaucoup de musique. Je ne suis pas du tout en train d’écrire quelque chose de nouveau. Par contre, je pense que si on est amené à travailler à nouveau ensemble, on se dira que ce n’est pas parce que le film a eu un peu de succès qu’on devra spécialement conserver son atmosphère étant donné que ça a déjà marché. Je pense plutôt qu’on aura envie d’essayer quelque chose de complètement différent pour voir si ça peut fonctionner aussi. 

C. : Est-ce que vous avez l’impression d’avoir ouvert une brèche dans le court métrage flamand avec votre film ? 
Marc : Pas du tout. C’est se jeter dans un cul-de-sac si on pense tout le temps au « nouveau cinéma flamand ». Si on fait un autre film avec cette idée en tête, on ne sera pas créatif.
Wim : Des gens nous ont dit : « vous devez absolument faire la révolution dans le cinéma flamand !» mais moi, ça ne m’intéresse pas du tout. J’ai envie d’autres choses.
Marc : L’étiquette « cinéma flamand » ne nous intéresse pas du tout.
Wim : Un truc artistique et un truc géographique n’ont rien à faire ensemble. C’est quand même drôle que le film soit tout le temps présenté comme un film flamand.
Marc : Mais c’est un film flamand !
Wim : Ah non, c’est un film belge ! Extrait de Mompelaar de Marc Roels et Wim Reygaert

C. : Vos comédiens sont étonnants. Qui sont-ils ?
Marc : Quand on s’est dit qu’on allait faire un film, on a tout de suite pensé à Serge Buyse [le marmonneur mettant des pulls de femme et ayant pour ami un enregistreur]. On a construit toute l’histoire autour de lui. C’est la figure clé de Mompelaar.
Wim : Serge est un rappeur membre d’un groupe flamand qui s’appelle « ‘T Hof van Commerce ». On avait déjà tourné plusieurs clips vidéo avec lui. On s’était rendu compte qu’il avait un visage assez expressif. C’est aussi un personnage très intéressant : dans la réalité, il n’est pas très loin du personnage qu’il incarne dans le film. Ce n’est pas du tout un acteur professionnel, mais pour moi, il est le Charlie Chaplin des années 2000. Il joue très bien et il a une expressivité énorme qui attire le spectateur. 

C. : Comment les gens réagissent-ils devant le film ?
Wim : Piet De Praitere [la mère ressemblant curieusement à un homme] est un humoriste habitué aux « stand-up comédies » Lui non plus n’est pas un acteur professionnel mais il a joué dans Ex-drummer de Koen Mortier. Comme c’est un ami depuis des années, je savais ce qu’il était capable de faire.  Gunter Lamoot [un guide qui adore donner des bisous] est aussi un stand-up comédien. Et voilà, les rôles principaux du film sont tenus par deux stand-up comédiens et un rappeur !

C. : Et les autres ?
Wim : Ils rient. En France, à Clermont-Ferrand, c’est fou : si les gens aiment un film, ils rient et applaudissent vraiment et s’ils ne l’aiment pas, ils le sifflent vraiment. Ça, c’était quelque chose que je n’avais jamais vu.
Marc : En France, les gens étaient très exubérants dans la salle. En Allemagne, par contre, ils intellectualisaient et se frottaient le menton ! C’étaient des philosophes allemands !
Wim : Je pense que globalement, on a recueilli des réactions très fortes. Des gens aiment beaucoup le film et viennent nous remercier, d’autres le détestent vraiment et nous disent : « mais pourquoi vous nous montrez ça ? » Mais même les réactions négatives, je trouve ça très bien : ça veut dire qu’on a quand même touché quelque chose. On n’a jamais eu de réaction du style « ah oui, je l’ai bien aimé. Qu’est-ce que vous voulez boire ?! » Jamais. Dès que des gens commencent à en parler, les discussions durent une demi-heure au moins.

C. : Sur le même petit communiqué à Clermont, il y avait un curieux P.S. : « Désolé pour le dessin dans la chambre d’hôtel » !
Rires doubles.
Wim : On a un peu fait les rock stars dans notre chambre d’hôtel. Voilà, c’est ça l’histoire !
Marc : C’est un peu stupide !
Wim : Très stupide en fait. Mais on voulait quand même s’excuser pour ça. 

C. : Et qu’est-ce qu’il représentait, le dessin ?
Wim : Des choses normalement faites par des enfants de 14 ans et pas des adultes de 30 ans ! Mais on est un peu comme ça. Dans l’une des interviews à Clermont, le titre était « nous sommes un peu étranges » et je pense que ça nous correspond bien !

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