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Mordbüro - Lionel Kopp

Publié le 01/04/1999 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue

La tragédie des bourreaux

Présenté au Nova dans la section "7ème parallèle" du Festival international du Film Fantastique de Bruxelles, Mordbüro est le premier long métrage de Lionel Kopp.

Ce dernier aborde la réalisation après des expériences de comédien, de producteur, notamment des Films d'Ossang, avec à son actif Le Trésor des îles chiennes et Docteur Chance, et de propriétaire d'un laboratoire qu'il qualifie de lieu de recherche et où ont été développées notamment, des pubs de Lynch, Mondino, Goude et Fincher. 
Après quatre court métrages, il réalise ici un film qui constitue un curieux mélange de genres : un polar noir traité par l'absurde et à l'atmosphère kafkaïenne. Une tentative attachante, à laquelle ont participé deux maisons de production bruxelloises : Image Création et les Films de l'Étang. L'occasion d'un arrêt sur image et d'une rencontre avec le réalisateur.

 

Mordbüro - Lionel Kopp

L'histoire

Dans une ville où pourrissement, corruption, trafics et malversations créent un univers trouble, des "honnêtes citoyens" s'associent dans une organisation de justice immanente. Toute personne lésée par la justice d'État peut faire part de ses doléances au Mordbüro.
Celui-ci fait une enquête au terme de laquelle l'accusé peut se voir enlever et exécuter après un simulacre de procès. Hommes d'affaires véreux, avocats corrompus, petits truands en cheville avec la police sont le lot quotidien des membres anonymes du Mordbüro.
Mais à l'occasion d'une de ces affaires, ils s'apercevront à leurs dépens que l'organisation d'une justice impartiale n'est pas plus compatible avec leurs méthodes qu'avec les tribunaux officiels. Dès lors, leur machinerie se retournera contre eux.
Lionel Kopp nous plonge dans un univers paranoïde que les extérieurs tournés à Sofia permettent de rendre de manière saisissante. La référence à Kafka et aux cultures renfermées de l'Europe centrale est omniprésente, mais pour traiter de thèmes bien de chez nous: la nécrose du tissu social avec ses corollaires: perte des références morales, corruption, poujadisme. Kopp a réservé à son film un traitement technique somptueux qui fait penser aux univers de Jeunet et Caro (dont il est fan) et de F.-J. Ossang.

 

 

Cinergie : Le fait de passer à la réalisation après de nombreuses expériences dans des métiers "annexes" du cinéma est-il le fruit du hasard ou une progression logique ? 
Lionel Kopp :
C'est l'aboutissement d'une logique. L'idée que j'avais du cinéma, c'est que si on ne connaît pas un petit peu tous ses métiers, on ne peut pas maîtriser un film. Rien que la direction d'acteurs : si tu n'a pas fait l'expérience de monter sur scène, tu n'as aucune conscience de ce que tu peux demander à tes comédiens. Même chose pour la technique. Mais en fait, j'ai réalisé que c'est en faisant son premier film qu'on prend vraiment conscience du cinéma qu'on a envie de faire. On se découvre au fur et à mesure du travail. Je pensais que j'adorerais tourner certaines scènes que je n'ai pas aimées du tout; en revanche, j'ai pris mon pied avec d'autres, là où je ne l'avais pas du tout prévu. 

 

C. : Comment le projet a-t-il évolué ?
L. K. : Certains travaillent de manière très carrée, à partir d'un scénario en béton qu'ils suivent à la lettre. Je respecte cette manière, mais je ne fonctionne pas du tout comme cela. J'avais envie de mélanger les genres, de traiter une situation de film noir de manière loufoque et, d'un pur point de vue cinématographique, j'avais envie d'amener mon spectateur à quelques scènes clés qui me plaisaient particulièrement. C'étaient toutes des scènes dont l'intérêt (comique) venait de leur côté absurde, décalé. Mais pour arriver à faire passer cet aspect, il y a toute une préparation du spectateur. Le défi était donc de créer l'ambiance pour que ces scènes prennent toute leur saveur mais aussi soient des scènes clés du film. J'ai travaillé en fonction de cet objectif, très vague au départ mais qui s'est précisé au fur et à mesure que le film prenait corps. Et cela a évolué même pendant le tournage. Par exemple, il y a une scène où des femmes turques courent dans un musée. Je savais que je voulais la faire mais je n'avais aucune idée de la manière dont j'allais la tourner. C'était comme un défi lancé à moi-même : savoir comment je pouvais me débrouiller avec cette situation que je trouvais désopilante : des femmes turques, vêtues et voilées de noir, qui courent dans ce lieu solennel pour déboucher dans les toilettes pour hommes. En même temps, pour préparer le spectateur à cette scène qui, en dehors de tout contexte, paraît parfaitement idiote, il y a tout un travail d'écriture et de cinéma à faire pour créer l'ambiance dans laquelle elle va prendre tout son sel.



C. : Mais en même temps que le film est ce mélange de genres, avec des scènes tragiques, comiques, absurdes, romantiques, etc., l'univers mental, lui, est d'une cohérence absolue. Dans les conditions que vous décrivez, comment maintient-on cette cohérence ?
L. K. :
Cela, c'est justement une partie importante de la responsabilité du réalisateur : avoir constamment en vue le projet dans sa globalité et faire en sorte de garder une continuité. C'est difficile à expliquer. C'est une sorte de fil rouge en fonction duquel on évite de trop accentuer les différences et on tente de tout mettre en place en fonction d'une ambiance générale, quelle que soit l'humeur du moment.

C. : Le sujet est politique, polémique et particulièrement dans l'air du temps.
L. K. :
Il est clair que c'est une dénonciation du fascisme ordinaire. On voit que l'organisation de ces petites gens qui s'associent pour faire régner la justice à leur manière tourne au milieu du film en quelque chose de monstrueux où ils s'entre-tuent tous. Le but n'était pas de faire un film à thèse, mais il y a quand même l'idée que dès qu'on met le doigt dans l'engrenage de la justice par la violence, cela finit en un jeu de massacre dément dans lequel même les chats passent l'arme à gauche. 

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