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Mr Nobody (version longue) de Jaco Van Dormael

Publié le 07/04/2010 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Odyssée de l’enfance

À lire l’épopée de la sortie de Mr Nobody, la naissance de ce film aura donc eu lieu aux forceps. Or, ce projet hors normes, en gestation depuis si longtemps, avait besoin d’espace pour s’épanouir sur les écrans de cinéma. Ce Mr Nobody, auquel a été rajouté plus d’un quart d’heure, a pris l’ampleur qu’il lui manquait pour s’alanguir confortablement sur les écrans qui le tenaient jusqu’alors trop à l’étroit.  

Mr Nobody (version longue) de Jaco Van Dormael

« Quand je s’rai grand, j’serai… »
Dans une ville totalement futuriste, en 2092, le dernier des mortels tente de raconter sa vie. Ici, de nos jours, un petit garçon, soumis à un choix impossible (ses parents se séparent, avec qui partir ?), imagine les trajets de sa future vie et leurs bifurcations. Entre ce vieillard un peu canaille, et cet enfant déchiré, un jeune homme vit trois, quatre, cinq vies...
Fable philosophique, film de science-fiction, épopée existentielle, Mr Nobody tisse les multiples chemins qu’un seul et même homme pourrait prendre, confronté à chaque pas à des événements, des choix, des hasards, des incidents et des drames différents. Monté en allers-retours spatio-temporels, entre flashbacks et flashforwards, courts-circuits narratifs, coupes improbables et glissements de plans, la première version de Mr Nobody avait des allures de fête foraine qui n’aurait pas de fin, où l’on passait de la grande roue aux auto-tamponneuses, et vice-versa. Il était difficile de suivre Nemo, et de s’attacher à l’une de ses multiples facettes tant le récit poursuivait un chemin zigzaguant où les histoires s’entrechoquaient, se bousculaient et s’éclipsaient. Avec son quart d’heure en plus, moins tendu dans sa narration, le film, plus fluide, devient plus émouvant. Rallongé par endroits, se permettant des digressions plus langoureuses et quelques explications de-ci de-là, il se laisse découvrir plus généreusement, et retrouve le centre à partir de quoi il se construit et procède : les rêves d’un petit garçon qui chuchote  « Quand je serai grand, je serai le Capitaine Nemo, écrivain, scientifique, riche, amoureux d’Anna … ». Un enfant déchiré et amoureux, donc, rêve. 

Rêves de cinéaste 
Et Mr Nobody se construit comme un rêve. Son montage prend la forme d’associations d’idées ou de sensations. Les couleurs teintent des vies, des atmosphères, mais rebondissent ailleurs. Les situations parfois folles, incongrues, absurdes, ont souvent les accents de l’improbable onirique. Les motifs reviennent, comme des traces diurnes presque oubliées que le rêve nocturne, tout à coup, vient restituer et amplifier, une main, un papillon, une feuille... Le film tisse ses motifs à plusieurs endroits, s’en ressaisit ailleurs pour les faire rimer de manière différente. Il tricote ses personnages les uns aux autres, les dédouble. Son histoire, son montage, ses rimes visuelles ou émotionnelles, procèdent des jeux de l’enfance, des « si on disait que » ou autres marelles et chou-caillou-genou. Avec ses décors reconstitués, très colorés et tocs, genre enfance bonbon acidulé, magazines de modes seventies ou décors de BD futuriste, Mr Nobody, ludique, joue à créer des univers très différents. Cousu de toutes sortes d’audaces narratives et visuelles, il devient presque expérimental, un rêve de cinéma et d’un cinéaste (« Et si on disait qu’on faisait tous les films en un seul ? ») qui multiplie les citations (Kubrick, Chaplin, les frères Cohen ou Hal Ashby…) et travaille la matière de son film comme de la pâte à modeler.

Mélodrame 
Grand film populaire aux péripéties multiples, Mr Nobody est un vrai mélodrame qui conte une seule et unique histoire d’amour, avec toutes ses impossibilités, ses ratages, ses esquives, son absence même, du point de vue fragile, naïf et émerveillé d’un petit garçon… Et cette seconde version ramène clairement tous les récits amoureux autour de la figure d’Anna. Chaque vie adulte s’échafaude autour de sa présence ou de son absence. Alors, la fin du film est bouleversante qui voit un vieillard redevenir enfant juste pour courir retrouver le présent clair et sonnant d’un instant d’amour. Car au fond, si toutes ces vies se valent parce qu’à chaque coin, la mort rôde, il reste que la vie est une « vaste cour de récréation » et le temps des jeux, de l’enfance et de ses amours. Y revenir donc. Avec beaucoup de joie et de mélancolie. 

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