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Naissance, lettre filmée à ma fille de Sandrine Dryvers

Publié le 10/01/2011 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue

Un voyage en terre d'accouchement

"Ce n'est pas rien d'être enceinte, et ce n'est pas rien d'accoucher" explique Sandrine Dryvers à sa petite Mona dans Naissance, lettre filmée à ma fille, son dernier long métrage. Enceinte pour la deuxième fois, la réalisatrice de Feu ma mère, d'Alter égaux et de Punk Pini décide d'accompagner, caméra en main, ce moment essentiel de sa vie. 
"J'avais d'abord envie de transmettre une expérience à ma fille à naître, mais ce vécu concerne tout le monde. On est tous né un jour, et cela résonne en nous. Le film suscite une émotion qui va plus loin que la simple empathie du jeune parent, mais qui touche chez tous une partie du corps ou du cerveau." Le résultat est un film atypique qui échappe aux règles formelles du documentaire et déjoue habilement les pièges de ce sujet, intime entre tous. Pas question, pour la réalisatrice, de livrer un témoignage convenu sur l'autosatisfaction et la plénitude du rapport mère-enfant. Naissance est un film ouvert à l'expérience des autres, et rempli de questions pertinentes. Désirant accoucher à domicile, Sandrine se heurte à la franche réticence de ses gynécologues. Et elle s'interroge. Pourquoi un acte aussi naturel que la venue d'un enfant est-il à ce point encadré, balisé, surmédicalisé ? Le pouvoir médical peut-il aller jusqu'à confisquer à la femme la maîtrise de cet événement si personnel ? Sans verser dans la charge anti-médicale, elle poursuit son cheminement, et prend contact avec les sages-femmes indépendantes qui acceptent d'accoucher hors de l'hôpital les femmes qui le désirent. Elle les suit dans l'exercice quotidien d'un métier difficile, car mal accepté par les structures officielles. Elle rentre en contact avec d'autres femmes qui ont fait ce même choix, et dont elle nous fait partager leur expérience, jusqu'à l'accouchement. Car si les circonstances de sa grossesse obligent Sandrine à accoucher quand même à l'hôpital, elle n'entend pas en rester là et poursuit son chemin avec ses amies pour partager ce moment magique de la venue au monde. Introduisant le spectateur dans l'attente de cette nouvelle vie qui constitue l'univers de toute femme enceinte, Naissance est un film à rebours des idées reçues et préfère interroger plutôt que de ronronner.  
Séduits par ce parcours de franc-tireur au féminin, nous avons abordé le film avec la réalisatrice au départ d'une première interrogation frappante (1).


Même si elle intitule son film Naissance, Sandrine Dryvers établit à plusieurs reprises une distinction entre l’accouchement, qui concernerait plutôt la femme et la naissance, qui relèverait plutôt du bébé. J’avais envie, explique l'auteure, de différencier ces deux actes pour bien se centrer sur le fait que, avant que l’enfant ne naisse, la mère accouche. Il faut prendre soin de ce moment-là où la femme est très vulnérable. Lors de mon premier accouchement à l’hôpital, j’étais entrée de manière tout à fait passive dans l’expérience. Pour ma seconde grossesse, j'ai eu envie de prendre soin de mon accouchement. C’est l’aboutissement de neuf mois ensemble, et j'ai voulu m'interroger sur ce que j’avais envie de faire de ce moment-là pour moi, pour mon enfant et pour ceux qui m’entourent. En prendre soin et essayer de le vivre de manière différente.

La réalisatrice choisit de faire partager son expérience par le biais d'une lettre cinématographique à sa fille, Mona. Pour elle, cette manière de parler de soi est aussi une façon de parler des autres. Bien sûr je suis présente. C’est la colonne vertébrale du film. Mais j’ai aussi un désir et une curiosité pour les gens, et d'une manière générale, j’aime partager mes expériences. Les autres m’éclairent sur mon propre chemin.

J’ai d’abord travaillé avec une monteuse uniquement sur les rushs, sans me préoccuper d'une voix-off. Mais ce qu'on a obtenu ne satisfaisait vraiment ni moi ni la productrice, Isabelle Truc. Etant donné que je ne travaille pas par interviews, certaines choses comme le rapport à la douleur ou mon expérience par rapport à cet accouchement-là n’apparaissaient pas. J’ai décidé d’aller les chercher, et pourquoi ne pas travailler par la voix ? J’ai repris le montage toute seule, et j’ai travaillé à la rédaction et à la mise en place de cette voix qui, forcément, allait susciter d’autres aménagements : amener certaines séquences, en faire disparaître d’autres, etc. … Je n’avais jamais utilisé la voix off, et ce n’est pas un exercice évident. Il faut trouver la bonne distance et des choses à dire qui soient suffisamment intéressantes pour que les spectateurs s'y retrouvent aussi. Ce texte, j’aurais pu trouver quelqu’un pour le lire parce que je ne suis pas comédienne, mais j’ai considéré qu’il y avait une certaine cohérence à ce que ce soit aussi ma voix, même si un comédien l’aurait peut-être mieux fait ou différemment. J’avais l’impression que l’équilibre était ainsi mieux en place.
 
Cette volonté qui se manifeste constamment de partir de l'histoire personnelle pour s'ouvrir au monde extérieur implique profondément la réalisatrice, au mépris peut–être de son intimité, de la dignité de la vie personnelle et familiale. Elle expose aussi les tiers, filmés et intégrés au film. Sandrine Dryvers en est consciente et prend un soin visible d'impliquer les personnes dans sa démarche. Je leur ai montré mon travail antérieur, on a beaucoup discuté. Je leur ai aussi parlé de mes propres craintes et de ma propre difficulté à m’intégrer. Je leur ai dit qu’il allait sans doute me falloir du temps pour trouver ma place au sein de leur famille et me situer parmi eux. Eux, ils éprouvaient le même problème, et c’est donc une difficulté que nous avons affrontée conjointement.

Les sages-femmes avaient envie de faire connaître leur métier et leurs compétences. En même temps, comme elles sont plutôt mal acceptées dans un monde où la grossesse est devenue hypermédicalisée, elles ont des difficultés à se montrer parce qu’elles ne se sentent pas en confiance. Je pense que cette crainte a été un peu balayée par le fait que, quand je me suis présentée à elles, c’était à la fois en tant que future maman désireuse d’être suivie et soignée, et en tant que réalisatrice. Les deux étaient liés, et le fait d’être dans l’expérience de grossesse a aidé à ce qu’elles acceptent d’être filmées. Elles ont joué le jeu jusqu’au bout. Mais elles ne sont pas dans des positions faciles.

Quant aux médecins, les rapports qui se dégagent du film ne sont pas vraiment positifs :
Celui qui avait accouché Pavel, mon premier fils, a refusé de me suivre si je persistais à vouloir accoucher à domicile. Ensuite, à la demande des sages-femmes qui, de toute façon, exigent un suivi médical, j'en ai vu un autre. Pour ces deux médecins, l’accouchement à domicile n’était pas du tout leur tasse de thé. Quand on informe de ce désir-là, on a plutôt de l’absentéisme au portillon. Ils se méfient de ce qui leur échappe. C’est une question de contrôle, en fait. Certains médecins, heureusement, ne voient pas les choses sous cet angle. Le docteur chez qui j’aboutis finalement est un médecin d’origine hollandaise, ce qui explique peut-être une plus grande ouverture par rapport à ces pratiques. Il ne trouve pas anormal qu’une sage-femme revienne avec une parturiente vers l’hôpital parce que le travail est trop long, que la maman s’essouffle, que finalement, elle voudrait une péridurale. Mais du côté des médecins plus traditionalistes, il y a réellement un "C’est avec nous ou sans nous" et il n’y a pas de possibilité de collaboration avec les sages-femmes indépendantes. Ils disent : "Si vous devez revenir à l’hôpital, ce sera le médecin de garde et rien de plus". Et en général, elles ne sont pas bien accueillies.

Grâce à des images d'archives (le premier accouchement de Sandrine au début des années 2000 ou la venue au monde de son frère, filmée dans les années 70), le film montre aussi que, heureusement, les choses évoluent.

Naissance
est intégralement produit par Iota, une maison de production bruxelloise mais qui a également beaucoup d’attaches à Liège. Un changement pour Sandrine Dryvers qui, jusqu'ici, s'était plutôt rattachée à Dérives, l'atelier de production des frères Dardenne. Les Dardenne, c’est une école qui m’a vraiment énormément apporté. Ensuite, il y a eu un court métrage de fiction produit par eux, financé par la commission du film (La véritable histoire de St Nicolas, en 2004), puis un deuxième court métrage de fiction, également produit par eux mais refusé par la commission du film et que j’ai finalement décidé de produire toute seule (Le collier, en 2008). Après cette expérience d’autoproduction, je me suis souvenue d’Isabelle Truc parce que nous nous étions croisées à Latitudes, la toute première maison de production par laquelle je suis passée. Elle avait vendu un de mes films au Japon, et cela m’avait impressionnée. Sa personnalité m’était restée dans un coin de la tête. Je l’ai contactée. Elle s’est montrée d’emblée très intéressée, voire enthousiaste pour le projet. Elle ne se doutait pas des difficultés qu’on allait rencontrer pour rassembler les fonds nécessaires pour le mener à bien. On a déposé énormément de dossiers qui ont été refusés les uns après les autres. Heureusement, on a eu une décision positive au deuxième passage à la commission du film, sinon je ne sais pas comment on aurait terminé. Un parcours rendu difficile par l'absence d'implication des TV, mais qu'Iota a courageusement poursuivi jusqu'au bout. Vous savez, les refus font partie du jeu. En production, rien n’est jamais acquis, et il faut toujours être prêt à rebondir et prévoir des pistes de substitution. Arte était coproducteur de tous mes autres documentaires, mais pas de chance pour moi, il y a eu une collision de sujets pour la même case documentaire (puisqu’en TV, le documentaire se met dans des "cases" dans lesquelles on doit "rentrer"). Peu de temps auparavant, une réalisatrice allemande avait proposé de suivre sa grossesse, et elle aussi comptait accoucher à la maison. Du côté de la RTBF, autant la personne que j’ai rencontrée avait été séduite par mon précédent long métrage où je partais à la recherche de mon père, autant il était peu branché sur le sujet de ce film-ci. Les nanas, la péridurale etc…, il ne voyait pas trop. Ce n’est pas faute d’avoir insisté, et je pense vraiment tomber dans la ligne éditoriale documentaire que la RTBF s’est donnée, avec des films proches des gens et ancrés dans cette proximité, mais bon… C’est évidemment plus facile et plus agréable quand on dit oui, mais le non est inhérent au parcours de tout film.

Ce qui me pose question dans toutes ces rencontres où il faut convaincre, c'est que j’avais l’impression qu’on parlait surtout du sujet de mon film, et moins du traitement que j’allais donner au sujet lui-même. J'avais un peu l’impression de débats ayant lieu avant que le film ne sorte, alors que c'est le film qui devait ouvrir la porte à ce genre de débats. Je pense que c'est inhérent à la pratique de la "case documentaire" à la télévision. Le directeur du festival documentaire de Nyon m’expliquait récemment qu’un des chevaux de bataille du festival était d’essayer de sortir le documentaire de son association au thème pour davantage se centrer vers le traitement. Là, peut-être pourra-t-on enfin sortir le documentaire de ses cases et évoluer vers quelque chose de plus libre. Au lieu de s’entendre dire : "La place dans la case est déjà prise parce qu’il y a déjà un autre documentaire sur ce thème", on pourrait s’intéresser à "qu'est-ce que vous allez faire de ce sujet ?"Et puis, il y a d'autres voies que la télévision pour le documentaire maintenant. Le secteur associatif, Internet, sont des pistes. Et le fait de n'être pas "formaté télé" a peut-être offert au film une sortie en salles. Les Grignoux (exploitant liégeois du Parc, du Churchill et du Sauvenière) a qui on l’avait proposé pour une avant-première comme on le fait toujours, ont décidé de le garder un mois à l’affiche, comme ils le feraient pour un autre film produit dans des conditions plus normales. C'est une formidable opportunité pour le film de toucher son public.

(1) L'interview de Sandrine Dryvers a été réalisée avec l'émission radio de culture associative 'Sans interdit', diffusée sur 48 FM, la radio universitaire liégeoise (105 Mgz à Liège ou www.48fm.com). L'émission (diffusée le 18 décembre 2010) peut-être écoutée en se rendant sur le site www.sansinterdit.org

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