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No Man's land humain de Danis Tanovic

Publié le 01/05/2002 / Catégorie: Critique
No Man's land humain de Danis Tanovic

Critique retenue par Cinergie.be parmi les dix lauréats du Concours des Jeunes Critiques organisé chaque année par la Confédération Parascolaire.

C'est avant tout l'histoire de deux hommes. Deux hommes que tout semblait opposer : l'un est Bosniaque et l'autre est Serbe ; et en 1993, ils sont en guerre. Ces deux hommes vont pourtant se retrouver face à face dans une tranchée abandonnée dans cette zone hostile située entre deux lignes ennemies : le no man's land. Ciki, le Bosniaque a perdu sa compagnie à l'aube d'une nuit brumeuse, décimée par le feu serbe. Nino, le Serbe, est u jeune soldat envoyé dans la tranchée pour tuer Ciki. Les deux personnages, dès lors coincés entre deux feux, vont tenter de s'allier. La présence d'un troisième homme, sorte de médiateur, couché sur une mine qui l'empêche de bouger sous peine d'explosion, permettra de tempérer la confrontation tantôt tendre tantôt violente entre les deux hommes. Telle est la situation au moment où arrive un blindé de l'ONU destiné à aider les trois hommes mais qui ne fera que ramener à la réalité et à la haine ces personnages qui commençaient à s'entendre...

 

Le scénariste-réalisateur-compositeur Danis Tanovic aborde ici une guerre toujours proche tant dans le temps que dans l'espace, une guerre aussi méconnue qu'amplifiée par les médias dont l'action est ici fort critiquée. Ces médias qui, à la recherche du scoop, créent des tensions et manipulent en sortant des éléments de leur contexte et en faisant des slogans. Il dénonce aussi l'inutilité, l'égoïsme et l'inaction des forces de l'ONU (surnommées ironiquement les schtroumpfs par les belligérants) qui s'occupent plus de leur image de neutralité aux yeux de la communauté internationale plutôt que d'agir efficacement sur le terrain. C'est un film politique sur un conflit que Tanovic a vécu, où tout le monde est remis en question, aussi bien les Serbes que les Bosniaques, aussi bien l'ONU que les médias ; un film pacifiste qui dénonce l'absurdité de la guerre ; une guerre qui détruit tout sentiment humain parmi les gens. Ce huis clos en plein air bénéficie d'un scénario blindé qui s'ouvre le matin sur le brouillard d'une situation confuse à la base, et qui se ferme le soir sur la lumière sanglante d'un conflit irrésolu. Il réalise une métaphore où chaque personnage représente un camp, et montre le caractère calme en apparence mais au fond explosif de la situation actuelle laissée par l'ONU.

 

La lumière éclatante d'une journée d'été fait ressortir les couleurs habilement utilisées par Walter Van den Ende et les décors magnifiques de Dusko Milavec qui mettent en relief et s'opposent à l'horreur de la guerre. On remarquera aussi la spontanéité et l'humanité des acteurs (et la remarquable engueulade de Nino et Ciki sur l'origine de cette guerre) et le montage qui nous fait partager la tension d'un déminage, la violence d'une fusillade ou le silence pesant du no man's land. Certains personnages témoignent aussi d'un certain décalage par rapport à leur quotidien. Ce qui donne lieu à certaines scènes cocasses dues soit à un article de presse sur le Rwanda, soi à la multiplicité des langues parlées par tous les intervenants. Le belgo bosniaque Tanovic envoie ici une bombe sur la guerre en Bosnie et fait un sans-faute où rien ne semble avoir été négligé, ni la construction, ni le script, ni les personnages. Un résultat violent et sensible... Un film de guerre différent où les héros ne sont pas des soldats mais des hommes condamnés par la guerre...

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