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On est loin d’avoir fini ! de Véronique Jadin

Publié le 15/01/2015 par David Hainaut / Catégorie: Événement

Un dernier Adieu à Tatie Danielle

Présenté en avant-première lors du 10e et récent BE Film Festival de Bruxelles, au Bozar, On est loin d’avoir fini est le fruit de quatre années de collaboration entre celle qui fut l’une des doyennes du cinéma français, Tsilla Chelton, et une jeune réalisatrice belge, Véronique Jadin.

Ce n’est plus un secret pour personne. Depuis plusieurs années, nombreux sont les comédiens et réalisateurs français à quitter leur pays pour venir vivre à Bruxelles. "Mais en fait", tenait à rectifier Tsilla, à l’occasion de ce qui fut l’un de ses derniers entretiens, "il faut bien se rendre compte que ce sont surtout les Parisiens qui disent cela. Car vous savez, la vie à Paris est devenue usante, stressante, nerveuse. Moi j’ai adoré y vivre à une époque, je n’imaginais jamais en partir mais je l’ai finalement quitté sans le moindre regret (NDLR : en juillet 2012, elle fut néanmoins enterrée au Père Lachaise). À Bruxelles, tout est beaucoup plus calme, les gens se parlent encore, le serveur vous sourit. Les rapports sont simples, avenants et agréables. À Paris, on dirait qu’on dérange, la tasse de café est souvent servie dans la mauvaise humeur. Et puis, chez vous, mis à part aux heures de pointe, avec une voiture, on sait encore avancer !"

 

 

 Tsilla Chelton dans On est loin d'avoir fini !

 

Tsilla, une ex-Anversoise

On le sait moins, mais la vie de Tsilla reste étroitement liée à la Belgique. De 5 à 21 ans, cette fille de négociant français basé au Caire – sa mère mourut lorsqu’elle avait 6 ans - vécut une première fois à Bruxelles (où elle fut inscrite au lycée Montessori) et à Anvers, à une époque où "La nourriture était livrée à la maison avec des charrettes tirées par des chiens" et où le français était encore largement dominant. "Moi, je ne me mêlerai jamais de vos soucis communautaires, mais là-bas, il faut bien se dire que beaucoup de gens étaient polyglottes. Et ça, c’est quelque chose qui n’existe pas en Wallonie !"

 

Quatre ans de prises de vue

Au moment de cette rencontre, à son domicile ucclois, la comédienne était au cœur de La Nuit tombe et personne n’y peut rien, même pas Tsilla Chelton, titre initialdu documentaire de Véronique Jadin, que celle-ci filmera sur une période de quatre ans. Une réalisatrice de 37 ans qui est d’ailleurs elle-même à l’origine de la dernière parenthèse (belge) de carrière de Tsilla entamée en 2005, puisque En fanfare, leur premier court métrage (à chacune !) et succès international, reçut, l’année suivante, le Grand Prix National et le Prix d’Interprétation Féminine lors du Brussels Short Film Festival. Deux autres courts métrages, Comme des Héros(2011), et Ingrid fait son cinéma (2013) ont plus récemment refait parler de la cinéaste.

 

Chabrol, Coninx et les autres

Tourné au compte-gouttes, sans fil conducteur avoué et préétabli, On est loin d’avoir fini profite, durant une cinquantaine de minutes, de la personnalité attachante d’une comédienne douce et généreuse, dotée d’un sens inné de la formule. Entrecoupé par quelques aveux, pensées (sur Eugène Ionesco, son mentor théâtral) témoignages et images d’archives souvent inédites (les comédiens du Splendid, qui furent ses élèves) forcément captivantes, le document suit l’actrice à travers quelques-uns de derniers tournages : d’un épisode de Chez Maupassant pour France Télévision au film turc La Boîte de Pandore, en passant par chez nous, la série Melting Pot Café ("Je n’avais pourtant jamais voulu faire de série") ou Sœur Sourire. L’occasion, de croiser Stijn Coninx ("Un petit monsieur calme qui, l’air de rien, a une façon fantastique d’indiquer sans indiquer"). Le plaisir, encore, de voir François Berléand ou un Thierry Lhermitte hilare, mais respectueux, devant les frasques de son ancienne enseignante. Voire, le prétexte d’écouter, d’apprécier même, la vision passionnée du cinéma du regretté Claude Chabrol.

 

Quant à l’inéluctable déclin physique de Tsilla - elle mourut à 93 ans -, il se devine à peine, à l’instar d’une fin de carrière frustrante voire injuste, car freinée par les assurances (elle loupa plusieurs films majeurs pour cette seule raison, comme Ensemble c’est tout de Claude Berri). Cette appréciable suite d’images pourrait resurgir, tantôt en festival, tantôt en télé, la RTBF étant de la partie, à l’instar de la société productrice bruxelloise Eklektik et Wallonie Image Production (WIP).

 

L’importance du réalisateur

On imagine que Véronique Jadin appréciera à sa juste valeur la confiance que lui a accordé Tsilla. "J’ai tourné dans pas mal de pays, à Hollywood même, et dans pas mal de langues différentes", nous déclarait-elle, "mais s’il y a bien un point commun à tous les films que j’ai tournés, c’est le réalisateur. Grâce à lui, après cinq minutes, vous pouvez exactement prévoir comment sera l’atmosphère du plateau. Si le réalisateur est bon, alors la technique suit et c’est la détente et la joie de vivre sur le set. Et puis, un bon réalisateur sait toujours de quels acteurs s’entourer. Même s’il doit guider la barque, il sait qu’un acteur, cela ne se dirige pas, ou très peu. De nos jours, trop de réalisateurs oublient encore qu’il faut savoir faire confiance aux comédiens, qui sont des artistes à part entière."

 

"La crise, je l’ai vécue"

 

 Tsilla Chelton dans On est loin d'avoir fini!

 

Volubile et visionnaire, lucide et alerte jusqu’au bout, elle gardait un œil permanent sur l’état de ce monde : "Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique car, comme disait Cocteau, à force de chercher dans le passé, on risque d’y rester. Mais la période d’après-guerre a été quelque chose de magique à vivre. En ce moment, je me pose quand même des questions vers où va-t-on. On ressent une agressivité générale, un bouillonnement parfois effrayants. La crise, je l’ai vraiment vécue en 1929, alors que j’avais 11 ans. Et elle a duré des années, avec la soupe populaire servie aux chômeurs. Cela m’a marqué. On n’en est certes pas encore là, mais la violence de nos jours me questionne. L’Europe retient encore ce qu’elle peut, mais la libéralisation atteint ses limites partout dans le monde. Mais comment voulez-vous que les gens ne soient pas révoltés, quand ils touchent 7 ou 800 euros, alors qu’ils entendent au journal que d’autres s’en tirent avec des parachutes dorés à 32 millions d’euros ?"

 

Indignez-vous, aurait-elle presque pu ajouter. Elle qui, parallèlement, restait une éternelle optimiste quant à son art. De quoi faire un écho au débat actuel autour de la culture : "Même s’ils s’y mettent à plusieurs, personne ne réussira jamais à supprimer le théâtre, le cinéma, la musique. Ils réapparaîtront toujours quelque part, car leur fonction sociale reste indiscutable. Depuis que l’homme est l’homme, ils existent, et ils existeront toujours !"

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