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Où wallons-nous ?

Publié le 01/03/2003 par Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Premier bilan et perspectives du Fonds Régional Wallimage

Seize films en chantier pour l'année 2003, Wallimage est une structure dont les méthodes de cofinancement tournent. Les aides régionales seraient-elles une issue de secours à la crise du cinéma européen (singulièrement en Communauté française mais pas seulement) ? Ce qui nous frappe c'est qu'elles se développent sur le vieux continent qui doit se confronter à la dynamique de la jeune Amérique. Ce n'est pas pour rien que l'expert du CNC, Jean-Pierre Leclerc y consacre une large partie du rapport qu'il a remis au Ministre de la Culture français sur les pistes de redéploiement du dispositif de soutien à la production cinématographique en France. Les régions devenant un levier souhaitable d'aide à la production sous réserve que soient surmonté un certain nombre d'obstacles. Et d'idées reçues...Wallimage a deux ans. Nous avons demandé à Philippe Reynaert, son directeur de nous dresser un portrait des aides régionales et du processus qu'elles engendrent tant dans le tissu économique qu'artistique.

Où wallons-nous ?

Cinergie : Qu'est-ce que les aides régionales au cinéma ?
Philippe Reynaert : Le mouvement d'implication des régions dans la production cinématographique est relativement récent. Jusqu'il y a une douzaine d'années c'était en terme d'état nation que les pouvoirs publics considéraient le cinéma. Les choses ont évolué au fur et à mesure qu'il y a eu une prise de conscience de la dimension économique du cinéma.
Pendant longtemps, le cinéma a été regardé comme fait culturel dans les différents pays européens. Il était donc logique que ce soit les Ministres de la Culture nationaux ou fédéraux, selon les pays, qui s'en préoccupent. Il y a une dizaine d'années c'est l'Allemagne qui a inauguré le mouvement en lançant l'idée de fonds régionaux dans les "landers". Il est intéressant de constater que si les "landers" ont réussi à relancer une économie du cinéma un peu partout en Allemagne, ils n'ont pas réussi à relancer un art du cinéma. La nuance est importante! Ce n'est que depuis deux ans qu'il y a à nouveau un Ministre de la Culture en Allemagne. J'aime citer cet exemple parce qu'il démontre que l'un ne va pas sans l'autre. Qu'il faut qu'il y ait un peu partout en Europe d'une part une réflexion d'aide et de soutien en terme de culture et d'autre part une réflexion sur le financement en terme d'économie et d'infrastructure (la création d'outils qui permettent au cinéma de se faire). En Belgique le mouvement est récent puisqu'il y a deux ans, tout juste, que Wallimage a été créé à l'initiative de la Région wallonne. Cela reste un exemple isolé puisque si la Région flamande s'implique dans son cinéma, elle en a confié la gestion à la Communauté flamande et que la Région bruxelloise est curieusement - et je dirais presque dramatiquement - complètement absente du débat.

 

En ce qui concerne l'Italie - puisque vous établissez des liens avec cinéneuropa.org ! - la réflexion était inexistante jusqu'à ces derniers mois. Le gouvernement Berlusconi, sous la poussée de la Ligue du Nord, a entrepris un premier mouvement de régionalisation de la Culture. Les gens de cinéma qui sont loin d'être tous des supporters de cette sinistre Ligue !, se sont néanmoins engouffrés dans la brèche de la décentralisation. Donc, en novembre dernier s'est tenue la première assemblée professionnelle sur la régionalisation du cinéma en Italie et j'ai apprécié - y étant invité -qu'elle se tienne à ... Naples, ce qui était la meilleure manière de montrer que si on était d'accord avec la régionalisation ce ne sont pas pour les mêmes raisons qui animent Monsieur Bossi. J'y étais invité pour exposer le modèle Wallimage et à peine trois mois plus tard je suis inondé de contacts italiens parce que la région des Pouilles a décidé de lancer un fonds, le Piémont qui était déjà actif en formalise un autre... Donc il y a là quelque chose d'assez neuf parce que jusqu'ici, au niveau des aides régionales, l'Europe était coupée en deux du nord au sud. Dans le sud existait une tradition de bureaux d'accueil de tournage ou de "films commissions" (terme hérité du Canada et des Etats-Unis) qui sont des organes de facilitation de tournage qui obtiennent des autorisations et qui renseignent sur les capacités logistiques et touristiques des régions mais qui ne sont pas des fonds financiers. Plus on monte dans le Nord de l'Europe, en Allemagne, en Scandinavie, en Hollande et maintenant en Wallonie plus on est dans des schémas de fonds d'intervention économique. Quand on n'a pas les paysages pour attirer les tournages, il faut mettre de l'argent sur la table...

 

C : Etant entendu que le rôle du Ministère de la Culture reste un garant artistique pour les films est-ce que vous voyez des alliances régionales s'établir ? Un réseau se constituer ?
Ph. R.: On y travaille. Je suis un européen convaincu. Si on veut maintenir un équilibre des forces dans le monde on a intérêt à avoir, face aux Etats-Unis, une Europe qui existe vraiment ce qui n'est pas le cas pour l'instant. Si on ne fait pas circuler les oeuvres européennes en Europe, elles vont disparaître. Chaque pays isolé ne peut pas résister au raz-de-marée américain. Il faut donc vraiment imaginer des stratégies pour les industries culturelles à l'échelle du continent. En même temps je ne suis pas pour un formatage européen de la culture. Au contraire il faut renforcer les ancrages. Je me vis très bien comme régionaliste et européen. Parce que le régionalisme sans Europe c'est le repli identitaire, c'est les horreurs de la Yougoslavie mais l'Europe sans régions, c'est la désincarnation ou la perte d'identité dans l'autre sens. Donc je pense qu'il faut trouver une balance entre les deux. Dès que j'ai pris la direction de ce fonds régional wallon, j'ai immédiatement embrayé sur l'idée de découvrir les autres fonds régionaux en Europe et de mettre en route une coordination entre ces fonds régionaux. Et de manière très concrète, cinq fonds régionaux viennent de se regrouper pour rentrer un projet en ce sens auprès des autorités du Feder (le Fonds des régions européennes). Nous avons demandé une aide afin de créer une coordination qui permette, au minimum d'échanger nos expériences et d'évaluer nos pratiques respectives sans pour autant gommer les particularités de chacun. Les participants sont un fonds hollandais, le fonds wallon, un fonds allemand, un fonds autrichien et celui des Pouilles, en Italie, qui est en cours de formation. Ces cinq fonds ont rentré un plan "Interreg" (inter-régional) qui devrait nous permettre d'avoir plus de moyens pour organiser des rencontres entre les différents fonds régionaux. Je pense que c'est une vraie voie d'avenir pour le financement du cinéma. En France un important rapport vient d'être rentré à la direction du CNC. Un des volets sur le refinancement du cinéma français passe clairement par les régions. On va voir, dans les mois qui viennent beaucoup de choses qui vont éclore en France sur le plan régional. Raison de plus pour être dans le mouvement.

 

C. : Seize films sont annoncés en co-financement à Wallimage. Comment faites-vous pour survivre dans la crise que traverse le cinéma européen, en général et dans notre Communauté, en particulier ? Vous avez une bonne image parmi les professionnels de notre cinéma. Quel en est le secret ?
Ph.R. : Il faut relativiser les choses. Si la profession a une bonne image de notre manière de fonctionner c'est pour une seule raison : on a n'a jamais caché les règles du jeu. On a été assez dur, dés le démarrage, avec le type de règlement qu'on a mis en place. Ce n'est donc pas agréable pour tout le monde et tout le monde ne vient pas à Wallimage. L'indice de satisfaction de Wallimage est lié à la transparence de la mécanique. Nos critères ne varient pas. Ce sont toujours l'impact structurant sur la région et le potentiel de remontée de recettes du film. Mais au-delà des films produits ou en cours de production, ce qui fait avant tout notre satisfaction, c'est l'évolution des maisons de production wallonnes. Il y a plusieurs cas de figure. Certaines maisons de production sont quasiment nées avec nous, comme Versus, une maison de production qui, avant Wallimage, s'était fait remarquer en produisant d'excellents documentaires et courts métrages mais qui, avec notre concours, a eu l'opportunité de faire deux longs métrages sans, pour autant, solliciter l'argent de la Communauté française. Ce qui est bien parce je n'aurais pas trouvé normal qu'on appauvrisse le budget de la Communauté alors qu'il s'agit, dans ces deux cas-là de films français à potentiel commercial. Donc Jacques-Henri Bronckaert (Versus Production) a réussi à rapatrier tout ou partie du tournage en Wallonie et à faire travailler des comédiens et des techniciens wallons, ce qui est exactement notre objectif. Même chose pour Tarantula (Joseph Roushop à Liège) qui vient de terminer Folle Embellie, le dernier film de Dominique Cabrera. C'est le premier cas de figure : des maisons de production qui prennent de la surface en étant liées au mécanisme Wallimage. Puis, il y a un autre cas qui me fait particulièrement plaisir, ce sont les sociétés qui existaient avant nous mais qui prennent appui sur notre mécanisme pour donner une surface internationale à leur travail. Le meilleur exemple, ce sont les Films du Fleuve, maison de production des frères Dardenne qui, aujourd'hui, au vu du niveau de notoriété des frères, se lancent dans la coproduction internationale avec ou sans nous d'ailleurs. Ils nous ont proposé un projet de Solveig Anspach qui n'a pas été soutenu parce que ce film se passait en Islande. Mais actuellement on vient d'entrer en co-financement avec Les Films du Fleuve dans la coproduction du Mystère de la Chambre jaune de Bruno Podalydès qui va être un tout gros film, en France, dans la saison qui vient. C'est un film réunissant Sabine Azema, Pierre Arditi, la bande de comédiens fidèle à Alain Resnais, la bande à Podalydès plus Olvier Gourmet et Julos Beaucarne. Enfin, il y a le cas de figure le plus contesté au démarrage, le cas des sociétés qui ont été traitées, très confraternellement !, au démarrage de "boîte aux lettres". C'est le cas de Média-Service, la boîte de Stéphane Quinet à Huy qui, après avoir fait de la régie, s'est lancé dans la production, d'abord en tant qu'exécutif pour Artémis, la société bruxelloise de son frère Patrick, mais qui bien vite s'est affirmé comme producteur associé sur des dossiers aussi porteurs que Jeux d'Enfants  qui sera un des films événements de la rentrée de septembre. Même chose avec Sebastien Delloy qui travaille avec Diana Elbaum mais dont la société namuroise, les Ateliers de Baere, vient de nous proposer un premier dossier qu'il nous rentre seul et qui a été approuvé par nos admnistrateurs. Le tournage est 100% en Wallonie et on n'a pas fini d'en entendre parler puisqu'il s'agit du premier long métrage de Lucile Hadzihalilovic, compagne de Gaspard Noé et monteuse de Seul contre tous ou de Irréversible...

 

C. : Enfin, ce bilan ne serait pas complet si on n'évoquait pas l'ouverture fin avril, début mai de deux premières structures nées du mécanisme Wallimage. Là ce n'est plus de la production. C'est de l'offre de service...
Ph. R. : Wallimage a été créé par la région wallonne dans le but de faire naître des sociétés de service en Wallonie. Le cinéma existe chez nous, possède des talents mais il n'a pas les outils. Et donc, les artistes (c'est particulièrement le cas pour les acteurs mais aussi pour les réalisateurs et les techniciens) sont susceptibles de partir pour l'étranger pour exercer leur métier puisqu'ils manquent d'ancrage. Pendant des années des cinéastes wallons -- Jean-Jacques Andrien en est un bon exemple - ont du s'installer à Bruxelles pour faire aboutir leurs projets. La tentation était grande, au démarrage de Wallimage, de se limiter à lancer une sorte de grand appel à projets pour la construction de studios de tournage, de montage, de mixage, etc... Bien sûr, il y aurait eu des kamikazes pour venir prendre les sous (il y en a toujours !) mais sans clientèle pour faire tourner ces structures, elles étaient condamnées d'avance à la faillite. Non seulement on aurait perdu de l'argent mais on aurait aussi cassé l'espoir de voir une industrie culturelle s'implanter en Wallonie. Mes administrateurs et moi-même avons plaidé -- et le gouvernement wallon a eu le courage de nous suivre -- pour qu'on fasse un détour par les oeuvres en disant : "Il faut prendre le risque de cofinancer des oeuvres pour créer chez nous le flux de travail nécessaire au développement d'un tissu professionnel". C'est ainsi que nous avons mis au point ce fameux mécanisme qui fait que chaque fois que nous mettons un euro dans un film, on demande à la production d'en dépenser un et demi en Wallonie. L'expérience prouve aujourd'hui que ce n'est pas 150 %, mais bien 180 % en moyenne ( !) qu'on récolte en retombées régionales. Le bénéfice pour la Wallonie n'étant pas les 80 % qu'on a gagné, mais pratiquement les 180 %, parce qu'avant, rien ou presque ne se faisait ici. On vient récemment d'en faire le calcul, c'est environ sept millions d'euros qui ont été dépensés en Région wallonne en deux ans !!! Maintenant on est entré dans une seconde phase consistant à soutenir l'offre. Nous sommes dans le capital de API Services, un studio de mixage film qui s'est créé à Mons. On leur a également concédé un prêt à long terme et mieux que ça on a entraîné l'Invest Mons-Borinage à faire la même chose que nous. A doubler la somme de manière à ce qu'ils puissent s'installer dans des conditions de confort et de professionnalisme valable. Il y aura là une console de mixage parmi les meilleures du moment.

 

L'autre très beau projet qui est vraiment taillé sur mesure pour Wallimage s'appelle Ciné-service. Il est implanté à Namur, à Saint-Servais, exactement, où dans une seule maison on va trouver à peu près tout ce dont on a besoin pour un tournage : la location de machinerie, de caméra, de la pellicule, le visionnement des rushes, etc. Plus une unité de montage virtuelle et d'autres choses encore qui vont rendre cette maison trop petite avant son inauguration parce qu'il y a un effet boule de neige ! On a fait la même chose qu'a Mons : on a investit en capital et on a concédé un prêt, accompagné cette fois par Namur Invest. L'excellente surprise c'est qu'une boite aussi importante que B&L (fusion de Bulterys et Locaflash) s'est déjà portée acquéreur de la moitié de nos actions. Avant même l'ouverture officielle de CinéService, NamurInvest et nous avons revendu 50% de nos parts dans la société en dégageant une plus-value. C'est extrêmement encourageant parce que là ce sont les "poids lourds" professionnels de l'audiovisuel qui montrent de l'intérêt pour la Wallonie...

 

C. : L'avenir semble assuré si je vous entends bien.
Ph.R. : On entre dans la troisième année de fonctionnement et tout le monde sait - cela a toujours été dit -- qu'il y aurait une période d'essai de trois ans suivie d'une évaluation. Elle se fera donc à la fin de cette année-ci. La volonté était d'aller vite, pour pouvoir évaluer le plus vite possible les pistes de faisabilité du projet. Et donc faire des expériences, de tenter des choses, quitte à se casser la figure sur certains projets... Or cette évaluation arrive à un moment charnière dans notre développement. L'ouverture des premières sociétés de service dont on vient de parler fait qu'on va devoir serrer la vis sur les dépenses qu'on considère comme éligibles. Depuis le début de Wallimage il y a des dépenses que nous savions bien ne pas être wallonnes mais comme il n'y avait pas d'autres alternative on se conservait une marge de discussion. Dés le moment où il y a de vraies alternatives en Wallonie, le travail de ma collaboratrice Stéphanie Hugé, coordinatrice des dossiers "OEuvres" et à ce titre vérificatrice des dépenses éligibles, va devenir de plus en plus exigeant. Certains studios bruxellois qui sont de bonne volonté sont prêts à décentraliser tout ou partie de leurs équipements mais ça demande de gros investissements. Leur problème est donc de savoir si Wallimage va continuer à exister au delà de sa période "test". Vu la réussite globale de notre entreprise, nous avons toutes les raisons de penser que ce sera le cas mais il faut rapidement que le gouvernement wallon arrive à anticiper sa décision parce que nous devons donner des signes forts à la profession que le mécanisme Wallimage va se pérenniser.

 

La moins bonne nouvelle est que le "Tax-Shelter" que nous attendons et sur lequel on voulait s'articuler tarde. Les informations sont contradictoires mais je crains que les arrêtés d'application ne puissent être votés sous cette législature-ci or, du point de vue des professionnels, le tax-shelter aurait eu pour premier effet de jouer « crédit de pont » en attendant le refinancement promis de la Communauté française... Ce ne sera pas le cas. Alors si en plus Wallimage devait s'arrêter... Vous savez que depuis sa création, Wallimage est accompagné dans sa stratégie globale par un "collège cinéma" composé de professionnels nommés pour deux ans. Ce collège vient d'être renouvelé et ce sont les associations qui ont elles-mêmes proposé les personnes qui les représenteraient. On a donc un "collège de choc" composé de J.-H. Bronckart, Joseph Roushop, Jean-Jacques Andrien, Pierre-Paul Renders, André Fonsny, (représentant des techniciens) et Pierre Dherte (pour les comédiens). J'y vois le signe que la profession a compris que Wallimage est un organisme à suivre voire à supporter et qu'elle nous délègue à cet effet ses éléments les plus volontaristes. On en aura sans doute bien besoin dans les mois qui viennent…

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