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Patrick Hella, directeur de casting

Publié le 02/06/2016 par David Hainaut / Catégorie: Entrevue

“Trouver un talent dans la rue, c'est rare!”

Incontournable nom dans le microcosme du cinéma belge, Patrick Hella reste, à 72 ans, le plus expérimenté des directeurs de castings. Dans un paysage en pleine ébullition, ce passionné proactif, qui officie en ce moment – et entre autres – sur la série anglaise The Missing, évoque les particularités de son métier.

Cinergie : Vous vous en êtes toujours targué : vous avez appris ce métier de casteur sur le tas...
Patrick Hella : C'est vrai ! Avant de devenir directeur de casting, j'ai fait à peu près tous les métiers du cinéma, dès mes débuts en 1967 : de peintre à régisseur, en passant par assistant ou machiniste. C'est donc ainsi que j'ai tout appris. Cela m'a conduit à travailler avec des réalisateurs de renom comme André Delvaux (Un soir, un train), Pierre Gaspard-Huit (Les Galapiats), Claude Miller, Claude Chabrol (Le Sang des autres) ou encore Alain Resnais. C'est surtout avec ces deux derniers que j'ai commencé à caster des petits rôles pour les comédiens belges. Le métier n'existant alors pas vraiment en Belgique, c'est à ce moment-là, en 1978, que j'ai décidé de lancer ma petite entreprise.

C. : Depuis, votre processus de travail est toujours le même : rencontrer le réalisateur et lire le scénario, avant de solliciter les comédiens...
P.H. : Oui. Car pour réaliser un bon casting, il faut très bien connaître les personnages et surtout connaître les exigences du réalisateur. Après, c'est surtout une histoire de rencontres. Je propose des comédiens que j'estime justes pour les différents rôles, mais le réalisateur reste évidemment le seul maître à bord. Moi, je suis l'intermédiaire. Mais avec l'expérience, je travaille souvent avec des réalisateurs avec qui je m'entends bien : cela va donc en général assez vite pour savoir qui présenter à qui.

C. : En ce moment, sur quels projets planchez-vous ?
P.H. : La période est assez intense. Cet hiver, plusieurs grosses productions internationales se sont enchaînées comme Iron Sky 2 et The Shadow Within avec Lindsay Lohan, et actuellement la deuxième saison de la série anglaise The Missing. Chaque tournage est radicalement différent, mais c'est justement ce changement d'univers qui fait la beauté de ce métier. Sur certains gros projets, nous travaillons même à plusieurs de front, notamment avec Kadija Leclere ou Michaël Bier de chez ADK-Kasting.

Patrick HellaC. : Ces dernières années, le Tax-Shelter a permis de booster le nombre de productions chez nous. On imagine que cela s'est ressenti dans votre activité...
P.H. : Tout à fait. Le nombre de tournages est plus soutenu que jamais. Ces mouvements permettent enfin de proposer des rôles plus consistants aux comédiens belges. Au niveau des séries belges francophones, on est en train de prendre conscience qu'on peut aussi développer des choses ambitieuses. Et ces séries, ce sont chaque fois 10 X 52 minutes donc, cela fait un large panel de personnages à dénicher. C'est grisant pour moi, mais surtout positif pour les 6.500 comédiens francophones qui composent ma base de données.

C. : Dans le milieu, on vous voit souvent sillonner avant-premières et festivals. Vous êtes assez proactif, non ?
P.H. : Oui, car je pense que c'est important d'être au courant de tout ce qui se passe, d'être à l'affût de l'un ou l'autre nouveau talent. Entre l'IAD et l'INSAS, les Conservatoires de Bruxelles, Mons ou de Liège, on jouit quand même d'une flopée d'écoles fabuleuses. Et donc, de comédiens susceptibles d'enlever le morceau. C'est donc capital de bien les connaître. Et il ne faut pas se leurrer : pour quelqu'un n'ayant pas fait d'atelier ou d'école, c'est presque impossible de percer. Trouver un talent dans la rue, c'est rarissime !

C. : À une époque dominée par l'image, on vous imagine forcément très sollicité, par ces milliers de comédiens...
P.H. : Ah oui, et je ne demande pas mieux de l'être ! Mais il y a des choses étranges : souvent, je repère des comédiens talentueux à qui je demande de m'envoyer leur CV, mais trop régulièrement, ils ne le font pas. Bizarrement, beaucoup de très bons comédiens ont du mal à s'auto-promouvoir. Peut-être ne l'inculque-t-on pas assez dans les écoles ? Or, je pars du principe que lorsqu'on est acteur, on doit un peu oublier la modestie : on doit savoir qu'on est le meilleur, et il faut donc qu'on parle de soi ! Heureusement, aujourd'hui, il y a des réseaux sociaux comme Facebook, qui sont des instruments de promotion extraordinaires, notamment pour nous, directeurs de casting. Je les consulte très souvent. C'est même devenu un outil de travail indispensable.

C. : Chaque comédien a toujours un profil d'une futur vedette, selon vous ?
P.H.: Pour moi, oui. Pour un comédien, je dis souvent que la réussite, c'est 20% de talent et 80% de chance, de hasards et de circonstances. C'est pour cela que je conseille vivement aux comédiens de se rendre le plus souvent possible dans les événements et les festivals, de se montrer, pour ainsi provoquer une rencontre. Car une destinée se joue parfois à très très peu de choses !

Patrick HellaC. : Ce qui vous guide, après trente-huit ans dans le métier, c'est la passion ?
P.H. : On ne peut faire ce job que si on l'a. Cela reste un métier particulier, où il s'agit d'être tout le temps disponible. N'oublions jamais que ce sont les rencontres humaines qui constituent les principaux matériaux avec lesquels on fabrique un film. Et les comédiens ne sont pas des robots. Même si les rencontres avec eux sont parfois fugitives, elles sont toutes marquantes. Que je les contacte - ou non - selon les besoins, je les considère tous de la même manière. Quoiqu'ils en pensent, parfois...

C. : En parallèle, on vous connaît comme réalisateur de films de genre. Vous avez encore des projets à ce niveau ?

P.H. : Oui, j'aime rappeler que j'ai été le premier réalisateur belge à monter les marches du Festival de Cannes (sourire). C'était en 1969, avec La Tête Froide, un court-métrage présenté alors à la Quinzaine des Réalisateurs. Je n'ai malheureusement plus beaucoup de temps pour ça, mais l'an dernier, ma fille m'a poussé à réaliser un film, qui a été diffusé au Festival du Film Fantastique de Bruxelles et dans quelques festivals en France. Après, je peaufine toujours l'un ou l'autre scénario, mais j'ai conscience que le cinéma de genre se finance encore difficilement...

Site Internet: http://www.hella-casting.be/

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